#Polar

Allmen et les dahlias

Martin Suter

Après deux enquêtes menées avec succès, le dandy détective Friedrich von Allmen est passé maître dans l'art de la recherche d'oeuvres d'art volées. Toujours secondé par Carlos, son fidèle domestique guatémaltèque, c'est sur les rives d'un lac suisse qu'il est appelé pour retrouver un tableau de Fantin-Latour dérobé à Mme Gutbauer, milliardaire excentrique qui occupe tout l'étage d'un vieil hôtel de luxe. Elisant domicile sur les lieux du délit, Allmen devient partie prenante d'un habile huis clos au sein duquel Martin Suter combine à la perfection suspense, élégance et ironie.

Par Martin Suter
Chez Christian Bourgois Editeur

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Genre

Policiers

Pour Toni

C’était l’un de ces matins où il devait nouer sa cravate trois fois de suite avant d’obtenir les bonnes longueurs.

Allmen avait mal dormi. Il avait déserté l’ennuyeuse inauguration d’un club pelucheux pour aller s’ensabler avec quelques autres renégats dans les locaux du Goldenbar, puis au Blauer Heinrich. Lorsqu’il avait enfin regagné son lit, une conférence nocturne avec la Colombie organisée par María Moreno l’avait arraché à son tout premier sommeil.

Carlos, lui aussi, conférait fréquemment avec sa famille au Guatemala, mais il le faisait toujours avec discrétion. Lorsque c’était María, en revanche, dans la maison mal insonorisée du jardinier, on aurait juré que sa chambre était pleine de Colombiens venus faire la fête.

Juste après l’heureuse conclusion de l’affaire du « Diamant rose », il avait voulu proposer un emploi fixe à María Moreno. Cela lui paraissait pure logique. L’argent, désormais, ne manquait pas, Allmen aimait avoir du personnel et Carlos aimait María Moreno.

Mais, une fois de plus, il n’avait pas compté sur la pingrerie de ce dernier. Même à présent que les réserves bancaires de Carlos dépassaient largement celles de son patrón, il mégotait sur le moindre sou. Il n’avait pas voulu accepter l’offre d’Allmen, qui proposait de l’employer non plus à temps partiel en échange du gîte et du couvert, mais à plein temps et moyennant un bon salaire. Il préférait rester à mi-temps comme jardinier et concierge chez K, C, L & D Fiduciaire, la société qui avait acheté la villa Schwarzacker et laissé à Allmen l’usufruit emphytéotique de la maison de jardinier. « Nunca se sabe », avait-il dit : on ne sait jamais. Allmen savait parfaitement de quoi il était question : on ne savait jamais à quel moment Don John serait de nouveau en faillite. Et il s’avéra bientôt qu’on y était presque.

Il avait également réussi à faire échec à l’embauche fixe de sa María. Il lui conseilla de continuer à travailler à l’heure et de garder la main sur le reste de sa clientèle. Nunca se sabe.

Pour ce qui concernait sa situation domestique, Carlos était moins strict. L’entrée de María Moreno dans les lieux s’était déroulée par étapes. Ce furent d’abord des visites féminines occasionnelles chez Carlos, visites qu’Allmen, en homme du monde, toléra bien sûr comme si cela allait de soi. Non sans être effleuré par une émotion désagréable, toutefois, ses vidéoconférences avec la Colombie n’étant pas la seule occasion pour María Moreno de se manifester bruyamment. Elle n’avait pas tardé à rester le week-end, ce qui ne le dérangeait pas plus que cela, car elle offrait un spectacle réjouissant. Le jour où Carlos était venu expliquer à Allmen, avec ses circonvolutions habituelles, que María était provisoirement sans domicile, il n’avait vu aucune objection à ce qu’elle trouve refuge un moment auprès d’eux, dans la maison du jardinier. Et lorsqu’il la vit, un soir, assister Carlos en robe noire et petit tablier blanc, Allmen sut qu’il avait laissé passer le moment d’intervenir. Depuis, il hébergeait deux immigrés clandestins. Pas seulement « por mientras », c’est-à-dire provisoirement, comme le disait Carlos.

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trad. Olivier Mannoni
02/05/2014 188 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782267026511
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