« L’histoire est un mensonge que personne ne conteste. »
Napoléon Bonaparte
21 septembre 2001, France.
Un brin d’herbe coincé entre les dents, allongé sur la lande, la tête calée contre son cartable qui rendait là un service pour une fois incontestable, Hugo, onze ans, contemplait la course des nuages dans le ciel de Haute-Garonne en cette dernière journée de l’été.
Une baleine. Ou un éléphant, ça dépend. Là un aigle avec son aile déployée, et même un Hieraaetus fasciatus, dit aigle de Bonelli (du nom de son découvreur en 1815), reconnaissable à sa tête, petite par rapport au bec. Là une tortue de mer, genre luth. Un mouton sans pattes, marrant. Une face d’Athene noctua, dite chouette chevêche.
La rentrée avait eu lieu trois semaines plus tôt, mais comme il redoublait sa sixième, Hugo se sentait moins encore que d’habitude investi d’un devoir d’assiduité envers l’école, une institution dont il ne niait pas l’utilité mais qui le barbait. Ce matin-là comme beaucoup d’autres, il avait dévié du droit chemin pour emprunter celui plus escarpé qui menait à sa véritable passion : les oiseaux.
Elle lui était venue l’année précédente, lorsqu’il avait trouvé devant chez lui un martinet noir tombé du nid. Il faut savoir – lui-même l’avait appris à cette occasion – qu’un martinet noir à terre est pour ainsi dire un martinet mort. Pourvu de pattes très courtes, il a besoin de s’élancer d’une certaine hauteur pour prendre son envol et ne se pose qu’en conséquence. Là où d’autres auraient vu un handicap, Hugo, qui se sentait également des ailes mais pas assez de hauteur lui non plus, y avait vu une communauté de destin qui lui avait rendu le volatile sympathique. Il avait accepté cette responsabilité, dévorant les ouvrages de référence, questionnant les grandes personnes, étudiant comme aucun professeur ne l’en aurait cru capable.
Un après-midi, alors que l’animal avait forci et que du duvet lui avait poussé au bec, il l’avait emporté dans une boîte tout en haut de la colline de Pech-David qui dominait la vallée jusqu’à Venerque. Il l’avait observé, embrassé et, en lui parlant doucement d’une voix qui s’étranglait un peu, il s’était approché du bord de la falaise. La Garonne serpentait à ses pieds, l’oiseau à son poing frémissait à l’appel du vent. Dans un élan douloureux, il l’avait projeté en l’air.
Surpris par sa liberté, le martinet avait plongé comme une pierre, planant si longtemps au raz des cimes des arbres que les poumons d’Hugo avaient manqué d’air. Dix mètres avant de percuter le miroir du fleuve, au niveau de l’îlot des Lapins, il avait redressé sa trajectoire et était revenu décrire des cercles au-dessus de l’enfant, l’un et l’autre s’étonnant de se voir d’aussi loin. Riant à travers ses larmes, Hugo avait scruté l’azur jusqu’à ce que le point disparaisse à la frange d’un nuage enflammée par le couchant.
Extraits
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