#Bande dessinée jeunesse

Tout doit disparaître

Mikaël Ollivier, Mikaël Ollivier

Hugo a suivi ses parents en poste pour quatre ans à Mayotte, petit bout de France perdu au cœur de l'océan Indien. Seul élève blanc de sa classe, il a du mal à s'adapter : les bidonvilles, la chaleur, la façon d'appréhender le monde, les relations amoureuses. Pourtant c'est au retour en métropole que le choc est le plus brutal. Frénésie des soldes, invasion des marques, publicités tapageuses et surconsommation... Au regard de ce qu'il a vécu sous les tropiques tout révolte Hugo et le dégoûte. Il entre en résistance.

Par Mikaël Ollivier, Mikaël Ollivier
Chez Thierry Magnier Editions

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Genre

12 ans et +

Être vivant suffisait à son bonheur.

Mendiants et orgueilleux,

Albert Cossery

J’aurais aimé avoir le sens de la répartie. Dire ce qu’il faut sans hésiter, trouver les mots sans bafouiller, au moment précis où j’en ai besoin. Clouer le bec à mon interlocuteur, lui fermer sa gueule, calmement, pertinemment, spirituellement.

Il y a des gens qui font ça très bien. Moi pas.

Je rougis, je m’énerve et je boude. Dix minutes plus tard, une heure ou même le lendemain, la réplique qui tue me vient soudain comme une évidence. Toujours trop tard, quand il ne me reste plus qu’à me traiter de gros abruti, de nul, de tache, de bouffon. Quand il ne me reste plus qu’à me rejouer la scène, à me rêver audacieux et fort, à réécrire les dialogues en me donnant le beau rôle. Quand il ne me reste plus que des regrets.

L’eau du bain est si chaude que c’en est presque insupportable. Délicieusement insupportable. Comme quand j’étais petit. Ça faisait un bail. J’ai pris l’habitude des douches, sous les tropiques. C’était mon luxe, là-bas, tellement j’avais trop chaud tout le temps. J’en prenais au moins cinq par jour, même si c’était pire après et que je me retrouvais en sueur à peine l’eau coupée.

Ici, en métropole je veux dire, quand j’étais gosse, je me faisais couler un bain chaque dimanche matin, dans lequel je restais jusqu’à temps que ma peau soit fripée comme celle d’une pomme oubliée au fond d’une cagette. Je m’y racontais des histoires, je transformais la mousse en icebergs, mes genoux en îles volcaniques, mon sexe en monstre du loch Ness pointant son nez de temps en temps à la surface de l’eau. J’y faisais aussi des concours d’apnée, tête en arrière, nez pincé entre le pouce et l’index. Je me demandais toujours s’il était possible de mourir ainsi, de se noyer dans son bain juste par la volonté de garder la tête sous l’eau.

Comme à cette époque, ce matin, je suis presque complètement immergé, à l’exception de mes pieds que je suis obligé de poser contre les carreaux froids du mur car mes jambes sont maintenant beaucoup trop longues pour que je tienne en entier dans la baignoire. Ça n’a pas que des inconvénients : quand l’eau commence à refroidir, je peux manier le robinet avec mes orteils pour faire couler du chaud.

De mon visage, il ne reste que le nez et les yeux à l’air libre. Ma respiration résonne à l’intérieur de moi telle celle d’un astronaute en sortie dans le vide sidéral. J’entends aussi mon cœur qui bat et je me dis que le monde devait se résumer à ça quand j’étais dans le ventre de ma mère : les bruits extérieurs à la fois lointains et précis et, plus proche, la percussion régulière d’un cœur. Trois fois rien. La vie.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas pris le temps de laisser mes idées partir ainsi à la dérive. C’est dingue la vitesse à laquelle fonctionne le cerveau, le nombre de pensées qui se superposent, d’images qui se télescopent, passées ou présentes. Aucun film n’est capable de retranscrire ça. Aucun livre. Là, à l’instant, en même temps que je formule cette idée, sautant d’une époque à l’autre, je vois mentalement des images de Mayotte, des sensations de mon enfance me chatouillent, les événements de ces dernières semaines défilent et la phrase que j’aurais dû répondre ce matin à mon père vient se percher sur le bout de ma langue comme à l’extrémité d’un plongeoir.

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11/05/2007 157 pages 8,70 €
Scannez le code barre 9782844205681
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