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Genre
Sociologie
3. À QUOI PENSENT LES CHINOIS DEVANT MONA LISA ?
p149-155
W : Voyez-vous, c’est le genre de tableau (Les
Époux Arnolfini par J. Van Eyck) sur lequel je ne
m’arrêterais jamais sauf si le guide ne m’y invitait
en me disant qu’il s’agit d’un de vos chefsd’oeuvre.
Mais, franchement, je n’y vois rien qui
attire mon regard ou ma pensée. Nous nous trouvons
devant un homme qui a l’air terrible, plus terrifiant
encore que le chancelier Rolin, et une
femme dont le ventre laisse supposer qu’elle
attend un enfant. Alors peut-être s’agit-il encore
un fois de la Vierge Marie rendant visite à un bourgeois
enrichi ?
CC : En effet, ce tableau n’a rien d’évident. Moi-même,
j’ai appris à en saisir la beauté lorsqu’un de
mes professeurs de Lettres supérieures m’en a
révélé le sens. Avant, j’étais comme vous devant
l’image, bouche close, regard distrait.
W : D’où la nécessité de regarder « ensemble ».
Je m’aperçois en effet que le regard comme la
parole a besoin de l’autre pour avancer. Vous avez
eu la chance d’avoir un professeur du regard ! Ces
personnages sur ce tableau ont l’air si triste… On
dirait pourtant qu’ils sont chez eux. J’y retrouve le
lit rouge dont nous avons déjà parlé.
CC : Le couple s’appelle Arnolfini. Giovanno
Arnolfini, riche commerçant qui a fait fortune dans
le commerce des draps ; il est accompagné de sa
femme, revêtue, dans un style gothique, de ses plus
beaux atours. Elle n’attend pas encore d’enfant, mais
la mode à l’époque fait remonter les robes juste en
dessous des seins, ce qui produisait l’effet d’un ventre
portant la vie. C’était sans aucun doute de bon
augure pour les mariages. Car nous avons bien affaire
à une union non plus entre Dieu et l’humain, mais
entre ces deux personnages que vous observez.
La conquête de l’individu
ou la fusion avec la nature ?
W : Pourquoi cette posture ? Ils n’ont pas l’air
très heureux de leur mariage.
CC : Ils nous regardent et « posent » de manière
un peu raide, il est vrai. En tant que Chinois vous
êtes bien placé pour savoir ce que cela signifie.
Quand vous vous prenez en photo, vous pratiquez
la pose et la cultivez avec soin et, qui plus est, vous
ne souriez pas beaucoup non plus.
W : C’est parce qu’il s’agit de consigner un instant
important. Même lorsque nous faisons du tourisme,
en famille ou avec des amis, nos photos
gardent une connotation officielle, elles attestent
que nous avons été présents en tel lieu, à tel
moment, elles nous relient à l’événement. Ce rituel
des photos qui peut vous sembler un peu naïf comporte
un sens très profond. Il ne s’agit pas tant de
montrer notre visage que d’attester de notre présence
sur un lieu important, avec des gens qui
comptent.
CC : Ici il s’agit de la même chose : le tableau
atteste d’une union devant Dieu et devant les
hommes. C’est la raison pour laquelle ils se tiennent
par la main. La tradition voulait que les époux
s’engagent main droite dans la main droite, mais
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