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Genre
Littérature française (poches)
Il y a plus de mille ans vivait en Bretagne un Enchanteur qui se nommait Merlin.
Il était jeune et beau, il avait l'œil vif, malicieux, un sourire un peu moqueur, des mains fines, la grâce d'un danseur, la nonchalance d'un chat, la vivacité d'une hirondelle. Le temps passait sur lui sans le toucher. Il avait la jeunesse éternelle des forêts.
Il possédait les pouvoirs, et ne les utilisait que pour le bien, ou ce qu'il croyait être le bien, mais parfois il commettait une erreur, car s'il n'était pas un humain ordinaire, il était humain cependant.
Pour les hommes il était l'ami, celui qui réconforte, qui partage la joie et la peine et donne son aide sans mesurer. Et qui ne trompe jamais.
Pour les femmes, il était le rêve. Celles qui aiment les cheveux blonds le rencontraient coiffé d'or et de soleil, et celles qui préfèrent les bruns le voyaient avec des cheveux de nuit ou de crépuscule. Elles n'étaient pas amoureuses de lui, ce n'était pas possible, il était trop beau, inaccessible, il était comme un ange. Seule Viviane l'aima, pour son bonheur, pour son malheur peut-être, pour leur malheur ou leur bonheur à tous les deux, nous ne pouvons pas savoir, nous ne sommes pas des enchanteurs.
Pour tous, il était l'irremplaçable, celui qu'on voudrait ne jamais voir s'en aller, mais qui doit partir, un jour.
Quand il quitta le monde des hommes, il laissa un regret qui n'a jamais guéri. Nous ne savons plus qui est celui qui nous manque et que nous attendons sans cesse, mais nous savons bien qu'il y a une place vide dans notre cœur.
Le grand cerf blanc sortit d'un fourré d'aubépines sans déranger la moindre fleur. Son poil était pareil à de la neige fraîchement tombée et tandis qu'il traversait la clairière sa ramure se balançait comme la voilure d'un vaisseau.
Merlin aimait prendre cette apparence quand il se déplaçait dans la forêt. Il s'arrêta sans bruit au débouché du sentier qui menait à la source de l'Œil, ainsi nommée parce que, par les beaux jours, le ciel se reflétait à la surface de la vasque qu'elle s'était creusée dans le sable et le fin gravier, et elle prenait alors la ressemblance d'un grand œil bleu entre des cils de menthe et de myosotis.
Une fille était en train de s'y baigner, blonde et nue. Le cerf la voyait à travers le feuillage. Elle était très jeune, douze ans, treize ans peut-être. Dans l'eau jusqu'aux genoux, elle y puisait avec ses mains en coupe, et s'en éclaboussait. Elle riait pour ne pas frissonner, poussait des exclamations, chantait des bribes d'air sans paroles. Le soleil jouait sur ses courts cheveux dansants et sur les perles d'eau qui roulaient sur sa peau rose et dorée. Ses seins qui hésitaient à s'arrondir devenaient pointus sous la provocation de l'eau fraîche. Quand elle riait, l'éclat de ses dents était blanc comme la chair des amandes nouvelles. Ses longues cuisses n'étaient plus les tiges maigres de la fillette qui pousse, et pas encore les branches galbées de la jeune fille. Esquisses exquises, promesses qui seraient tenues, ses courbes légères en mouvement annonçaient la perfection du plus grand chef-d'œuvre de la Création : le corps que Dieu a fait à la femme, de ses mains, avec un morceau d'homme.
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