Première partie
La forêt dans la ville
1
« J’ai dans ma famille assez de sang noble pour faire trente kilos de boudin. »
LORD BYRON
J’avais laissé la fenêtre ouverte pendant la nuit. Il avait plu à l’intérieur de la piaule. Le parquet était tout taché, ça sentait le bois mouillé. Les toits brillaient, les pigeons roucoulaient, la matinée était froide mais ensoleillée, une belle journée de fin d’automne. Je ne sais pas pourquoi mais j’avais l’impression qu’elle était pleine de promesses pour moi. J’ai rempli le lavabo d’eau froide, j’ai plongé ma tête dedans, j’ai soigneusement peigné mes cheveux mouillés, je me suis habillé et je suis descendu.
À peine le patron m’a-t-il vu qu’il s’est mis à tapoter de ses gros doigts sur le comptoir de la réception d’un air agacé. Il avait une gueule d’hippopotame, des chemises jaunes puantes en lin froissé et se croyait à la tête du Georges-V. Un vrai con.
– Salut, patron, belle journée en perspective, j’ai dit d’un air enjoué.
– Te fous pas de ma gueule, par-dessus le marché, petit salaud ! il a répondu. J’en ai plein le dos de tes boniments ! C’est pas l’Armée du salut, ici !
– Ben alors, en voilà des manières ! Et la politesse ? La courtoisie ? Piliers de la civilisation !
– Tu veux mon pied au cul, dis ?
Il y avait une lettre dans mon casier. Je l’ai saisie d’un petit geste élégant.
– Du calme, j’ai dit. Figure-toi qu’il n’est pas exclu que je devienne millionnaire avant la fin de la journée... J’attends une grosse somme d’argent...
J’agitais la lettre sous son nez. L’hippopotame secouait la tête en levant les yeux au ciel.
– J’en ai rien à renifler que tu soyes millionnaire ! Tout ce que je veux, c’est que tu paies tes nuits ! C’est tous les jours le même baratin ! T’émerges à midi, tu dis que tu vas être millionnaire et tu rentres bourré à pas d’heure ! J’en ai marre, si tu veux savoir...
– Pas de problème, patron. Fais-moi donc un petit café, s’il te plaît.
– Va te faire foutre.
J’ai décacheté l’enveloppe et lu la lettre.
« Cher petit enculé, non content de m’avoir arnaqué comme une ordure que tu es, voilà que tu tournes autour de ma femme. Alors écoute-moi bien parce que je le dirai pas deux fois. Si je te croise à moins de cent mètres de chez moi, je te pète la gueule sans sommation. Cent mètres, pas un de moins. Signé : qui tu sais. »
Les emmerdes, ça arrive généralement par nuées, comme les sauterelles dans la Bible.
– Eh ben en voilà une bonne nouvelle ! j’ai dit en remettant la lettre dans l’enveloppe. Jackpot, mon joli patron ! Reste plus qu’à aller chercher le nougat !
L’hippopotame me regardait sans rien dire, les bras croisés.
– Ce soir, t’auras plein de beaux billets étalés sur ce putain de comptoir, oui, monsieur. Tout ce que je te dois plus deux mois d’avance ! Et une bonne boutanche pour la patience du patron !
Extraits
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