S'il y a bien un objet qui est passé entre toutes les mains, c'est le Bic à quatre couleurs. Vous voyez lequel ? Le modèle traditionnel qui permet l'écriture en vert, rouge, noir et bleu. Celui avec lequel vous avez joué pendant les interminables heures de cours. Celui avec lequel vous avez gribouillé dans les marges de vos feuilles. Celui dont le cliquetis répété irritait vos voisins de banc... Voilà qu'un tout jeune auteur de bande dessinée lui offre ses lettres de noblesse. Blaise Guinin déploie toutes les ressources graphiques offertes par cet outil dans son troisième album, Quatre couleurs graphiquement très réussi.
Au départ, une idée très bête : deux copains décident d'échanger leur identité pour être certains de réussir au moins un cours. Grégoire Legrand étudie l'histoire de l'art et déteste la géo ; Pierre Petit, son meilleur ami, étudie la géo et n'a aucune envie de suivre le cours d'histoire de l'art qui lui est imposé. Ils décident d'échanger leurs places respectives pendant toute l'année, le temps d'un seul cours, s'entend. Sauf qu'en cours il y a des filles, des profs, et que tout se complique un peu. Il y aura donc quatre filles, comme les quatre couleurs du Bic, et une morte, pour ne rien arranger. Ce qui devait n'être qu'une banale histoire de triche se transforme bien vite en love story et en enquête policière.
L'histoire se déroule alors chapitre par chapitre, entre les salles de cours, les terrasses de café, la piscine et la bibliothèque. À chaque fois, une couleur de base sert à lancer le narrateur, Grégoire Legrand, dans le récit de ses exploits de Don Juan pas toujours heureux en amour. Celle qui lui court après n'est pas celle qu'il veut, celle qui lui donne cours ne devrait pas être celle qui finit dans son lit, et ainsi de suite. On croit d'abord assister à un exercice formel un peu gratuit, mais c'est une fausse impression : l'histoire tient debout et le quiproquo finit par entraîner le récit dans des recoins plus tordus qu'on ne l'aurait imaginé dans les premières planches.
Un bouquin plein d'hommages
Blaise Guinin ne s'est pas contenté d'avoir une bonne idée, il parvient à l'exploiter au mieux. La pauvreté des moyens mis en œuvre (un bête Bic à quatre couleurs, vous l'avez compris, maintenant) est largement compensée par une virtuosité visuelle et de nombreux clins d'œil à l'histoire de l'art, depuis la Vénus de Boticelli jusqu'aux buveurs solitaires de Hopper, en passant par Picasso, Van Gogh ou encore Lautrec.
La colorisation et le trait sont entièrement réalisés avec les quatre stylos bille aux couleurs tranchées et pourtant le dessinateur parvient à jouer de la nuance, à trouver des envolées de mise en scène, une dynamique de plans et de perspectives qui rendent l'histoire à la fois ultra lisible et surprenante.
Retrouver un extrait de Quatre couleurs
Une fois de plus, les éditions Vraoum ont déniché un nouvel auteur qui vaut vraiment le coup. On avait parlé il y a quelque temps de Sylvain Mazas et de son premier album virtuose, le deuxième tome vient de sortir, il est beaucoup plus poussif et décevant, sans renouveler sa recette, il nous ressert les mêmes plats sans qu'on ne parvienne à sortir de l'impression de... réchauffé (« Ce livre devrait me permettre de résoudre le conflit au Proche-Orient, d'avoir mon diplôme et de trouver une femme », Vraoum, 2014, 12,20 EUR). Espérons que Guinin rebondira mieux pour son prochain projet, que j'ai déjà hâte de découvrir.