Même si ce récit se déroule dans les années 2000, le deuxième roman de entre cruellement en résonance avec l'actualité immédiate des migrations vers l'Europe de l'Ouest et frappe par son caractère documentaire et extrêmement sobre, tout en retenue.
Intensément réaliste, comme dénué de toute puissance romanesque, l'histoire se livre au lecteur sans emphases ni soubresauts, sur un rythme continu, presque toujours égal, où l'émotion reste à distance.
Une sorte de détachement inhabituel dont le lecteur saisit d'emblée la force car, à travers lui, c'est toute l'indifférence et la résignation d'une société qui s'expriment, sont mises à nu, nous interpellent et nous indisposent aussi.
Une écriture au plus près de l'ordinaire, au plus près des faits, au plus juste où chaque personnage semble authentique, avec ses forces et ses faiblesses, jamais héroïque. Absolument réel, un peu lointain, comme sur ses gardes.
"Etre debout, un corps entier en dépit des images qui tournent dans la tête."
Mirko et sa sœur Simona sont Albanais du Kosovo, et ont une vingtaine d'années lorsqu'ils fuient leur pays en guerre. Exilés à Lyon, ils démarrent une nouvelle vie loin du chaos, loin de la peur de Milosevic. Mirko est maçon, Simona, manutentionnaire dans un magasin de vêtements bon marché.
Chacun de leur côté mais souvent ensemble, comme la plupart des réfugiés ils franchissent les étapes du parcours d'intégration, le centre d'accueil, le foyer, les cours de français, les emplois précaires, expriment leurs doutes, les manques et par bribes, quelques souvenirs furtifs de l'horreur à Mitrovica, "oublient d'être tristes […] mangent leur rage, leurs regrets."
Parcours d'apprentissage difficile, parfois incertain et fragile dans une ville somptueuse où s'invitent la rencontre amoureuse et amicale, l'art urbain, la nature secrète et inattendue, chargée d'Histoire, les quartiers populaires.
Pas à pas, au fil des mots français qui s'assimilent, Simona et Mirko, glissent dans une autre vie. Sans magie ni éclat. Toute empreinte de doutes, de déceptions, de victoires et de joies. De tristesse également. Une vie comme les autres, finalement.
Le français hésitant de Mirko, les mots étrangers insérés au récit apportent une vitalité et une véracité à l'histoire, sans volonté d'embellir ; les phrases souvent courtes, les énumérations ("s'amuser, manger, marcher, dépenser") traduisent aussi l'absence de fluidité de la langue encore approximative, adhèrent aux personnages sans décalage.
Une tonalité juste, un propos convaincant, une écriture incisive mais, au final, Mirko et Simona sont restés insaisissables, trop effleurés sans doute pour créer l'attachement et permettre au lecteur de s'immiscer en plein cœur et avec force dans ce drame de l'exil.