Quand on n'a pas le physique de l'emploi et qu'on se fait embaucher comme gardien de nuit dans un hôtel de luxe parisien installé loin du centre, et qu'on a un prénom compliqué que personne ne retient – Lénaïc semble en effet un peu trop original pour les collègues vigiles – on finit par se sentir très seul dans le paquebot endormi et... on pense à la BD amusante que l'on pourrait dessiner pour raconter tout ça. Voilà, vous savez tout ce qu'il faut savoir sur « R.A.S. » de Lénaïc Vilain, publié par les très jeunes et très dynamiques éditions Poivre et Sel (dans la collection Romarin) : c'est la BD d'un gars qui a été vigile dans un grand hôtel.
Inutile de s'attendre à un tour de force narratif ou à des révélations croustillantes. Tout le monde ne peut pas être de service au Sofitel de New York ou au Carlton de Lille. Comme son titre l'indique,« R.A.S. » est plutôt une tranche de vie, témoignage à hauteur d'homme sur un métier sans grand intérêt, ni vraiment pénible ni terriblement passionnant. Si l'album fonctionne bien, c'est parce que son auteur le raconte sans prétention, mêlant le quotidien le plus banal avec les quelques anecdotes plus relevées qui ont ponctué la carrière du dessinateur dans les coulisses de l'hôtel.
Habile du crayon, Vilain réduit son dessin à l'essentiel : avant tout sa propre silhouette barbue, perdue dans les couloirs, les escaliers et les ascenseurs. Durant la nuit, dans le calme qui enveloppe l'hôtel assoupi, le moindre bruit se transforme en événement : une tasse renversée, une porte ouverte, la fumée d'une cigarette, un cri, voilà qui suffit à ponctuer le silence permanent du bâtiment, hanté par les courants d'air. Lorsque surgit un de ces épisodes, le dessinateur n'hésite pas à tordre son dessin par les agrandissements, les déformations et les répétitions. Il s'agit de rendre passionnants à la fois l'ennui et le silence, ce qui n'est pas une mince affaire. Lénaïc Vilain s'en tire bien et l'on se dit que s'il a réussi a nous faire apprécier un album au si maigre propos, il devrait faire merveille en s'attaquant à un sujet plus costaud ou un récit plus palpitant.
Egobiographie pudique
Drôle, voire émouvant, par petites touches, l'autoportrait de Vilain en gardien de nuit (à y regarder de plus près, l'auteur s'est dessiné dans presque toutes les cases : il n'y en a qu'une quinzaine sur tout l'album dont il est absent) est un récit intimiste, sorte d'égobiographie d'un timide qui se soigne par le dessin. C'est peut-être là le véritable tour de force de ce « R.A.S. » : ne parler que de soi de la première à la dernière planche et n'en rien révéler du tout !
On attend avec impatience de découvrir les prochains titres de ce Lénaïc Vilain et on lui souhaite de changer de boulot alimentaire rapidement. Gardien de nuit, d'accord, mais pas en ronde permanente, ça ne permet pas de dessiner confortablement.