Décidément, Edgar Poe revient sur la scène littéraire avec une régularité sans faille. Déjà dans Un Œil bleu ciel, le soldat Poe faisait ses armes artistiques et de détective à l’Académie de West Point (authentique, d’ailleurs), et revoilà que dans Mausolée, il surgit comme un marionnettiste, tout prêt à tirer les ficelles de crimes bien sordides. Note à l’attention de ceux qui l’ignoreraient, Poe est né à Boston et à vécu à New York. Où il rédigea quelques-uns de ses textes les plus connus.
L’agent Alex Cooper, de la Section Spéciale, est adjointe du procureur à Manhattan. Elle se charge des cas de viols dans la Grosse Pomme. Et des meurtres qui peuvent s’en suivre. Et ce matin, pour elle, les oiseaux ne gazouillent pas : le tueur au bas de soie a fait son come-back. Après cinq années durant lesquelles il a disparu, ce retour sur le devant de la scène n’enchante personne.
Surtout qu’en parallèle, Alex découvre inopinément un autre cadavre, plus ancien celui-ci : daté de la fin des années 70, il s’agit d’une femme. Emmurée vivante derrière des briques bien solides, dans un immeuble en cours de rénovation, là où personne ne pensera à la trouver ? Car enfin, nul n’ignore l’Ensevelissement prématuré, une œuvre d’Edgar Poe qui cadre précisément avec les circonstances du meurtre.
Et tout ne serait que coïncidences si d’autres meurtres n’avaient lieu, reproduisant tout ou partie des crimes imaginés par l’écrivain. L’écrivain ou un le criminel ?
Deux affaires, que tout distancie, et qui d’ailleurs n’ont de commun que les pages qu’elles partagent au sein du même livre. Accordons à Linda Fairstein qu’elle a une connaissance du sujet, qui s’appuie sur trente années de direction de la brigade des crimes sexuels, ce qui confère au récit une froideur méticuleuse parfois dérangeante. Mais dans l’ensemble, on s’en accommode très bien puisque le fil du texte est fluide, peuplé d’anicroches humaines (un équipier de Cooper qui perd sa femme, un ex-petit ami journaliste qui reste dans l’esprit de l’adjointe…). Seul le « je » de la narration m’a quelque peu dérangé. Ensuite, hein, ce n’est qu’un avis.
Pour ce qui est de ces enquêtes, elles ont bon goût. Pas vraiment dans les crimes décrits, mais dans l’attente qu’elles entretiennent. Entremêlées sans créer de confusion, on passe un moment de polar sympathique et distrayant. Sans rien vous révéler d’ailleurs, il faut parler pourtant de la seconde affaire : on en vient vite à démasquer le meurtrier, dans ce qui s’apparenterait à une faute d’écriture. De fait, c’est le seul à qui l’on ne donne pas l’occasion de s’expliquer. Les regards convergent droit alors sur lui, tapi dans l’ombre des pages, et qui n’attend que les dernières pour confirmer sa culpabilité. Après, les motivations nécessitent effectivement de finir le livre pour comprendre le geste. Mais enfin, le mal est fait…
En revanche, on appréciera d’autant plus le quadrillage, l’élimination méthodique des pistes et des indices dans l’une et l’autre affaire. Mais elles sont si distantes l’une de l’autre que l’on se demande pourquoi les avoir liées dans un même ouvrage. Probablement l’effet télévisuel dont nous sommes coutumiers, que de toujours avoir deux enquêtes pour le prix d’une au sein d’un même épisode. Ah, sacrée télé.
Et justement, des lecteurs m’ont reproché un jugement corrosif dans Faux Semblants, trouvant que j’allais loin en comparant cela à un épisode de série américaine. Au risque de choquer, je vais récidiver. Sauf que Mausolée est mieux construit, avec une architecture très différente, mais une absence de linéarité agréable et, bon, une résolution pas franchement folichonne, mais au moins bien amenée. Bon épisode, donc, mais épisode tout de même, articulé autour d’une société secrète vénérant le poète Poe, et de crimes passablement infâmes, dont les ramifications plongent loin dans le passé…