Recherche

Margot Deage

Extraits

ActuaLitté

Monographies

Gaston Boyer, l'africain

Cet ouvrage présente les oeuvres de Gaston Boyer exposées, en avril-mai 2014, à la Mairie du VIe arrondissement de Paris puis, en mai-juin 2014, à l'Ecole nationale d'administration. Gaston Boyer (1922-2012) était l'un de ces hommes de passion à l'insatiable curiosité, féru d'ethnographie qui, parallèlement à une carrière d'administrateur de la France d'outre-mer puis de diplomate, a choisi de s'engager dans une quête artistique. Doué de multiples talents : peintre et dessinateur, mais aussi graveur, ethnographe, architecte et caricaturiste, il a souhaité saisir l'intimité des êtres qu'il côtoyait et interroger la vie plus silencieuse des formes. L'Afrique lui fournit l'occasion d'une longue et féconde rencontre. Peintures et dessins s'offrent dans la diversité des portraits et des scènes de genre sans jamais verser dans la tentation de l'exotisme. Du chasseur Bambara à la marchande de poisson, des maternités aux portraits de chefs de tribus, c'est le respect du sujet qui s'impose, l'évocation vive et colorée, souvent sensuelle des postures qui le séduisent. Le réalisme d'une attitude, lui sert souvent à isoler un motif pour exécuter "des séries" qu'il travaille en variant alors techniques, couleurs et supports. La fascination de la terre d'Afrique n'exclut pas chez Gaston Boyer d'autres quêtes : celles des formes abstraites. Si l'influence des peintres modernes y transparaît, elle est chez lui l'enjeu d'autres défis et révèle des compositions inédites où se dégage avant tout un attrait pour l'art du visuel. Grands aplats de couleurs, objets en volume et en plan au sein d'un espace idéal. Mais l'artiste se réfère aussi à l'exercice obligé et délicat des nus et des natures mortes, car il s'agit pour lui d'explorer tous les genres de peinture. Il témoigne alors d'une parfaite maîtrise des formes, des dégradés et du sens de la couleur. Les sardines aux figues et l'Odalisque en sont d'éloquentes illustrations. Le talent de caricaturiste qui ponctue l'ensemble de sa carrière, constitue une facette plus discrète de l'artiste. Les nombreuses satires humoristiques qu'il réalise des personnages historiques côtoyés, témoignent de l'acuité de son regard sur ses contemporains, mais elles dévoilent surtout une aisance dans la vivacité du dessin au trait, une maîtrise des valeurs de contrastes, procédés qu'il réutilise amplement dans l'expression des corps et des visages de ses innombrables dessins. La quête des formes, la détermination à saisir l'Autre dans son épaisseur et son mystère font de Gaston Boyer un artiste à part entière et un humaniste dont les oeuvres suscitent autant une vision stimulante et rafraîchissante du monde qu'une subtile émotion.

01/2024

ActuaLitté

Manga

Collection Yaoi Pack N° 25. 5 mangas

Ce pack manga contient : Love GO GO ! (192 pages - Volume : One Shot) : Rui, étudiant à l'université, est secrètement amoureux de son voisin et ami d'enfance, Takuya, un peu plus jeune que lui. Un jour, il surprend ce dernier à demi-nu en train de se changer, et ne peut s'empêcher de s'imaginer ce qu'il ressentirait s'il le prenait dans ses bras. Alors que Rui, envahi de désirs, s'adonne à des plaisirs solitaires dans sa chambre, c'est au tour de Takuya de le surprendre totalement par hasard ! Naive Wolf et Lamb (176 pages - Volume : One Shot) : Hayasaka-senpai, délinquant d'après les rumeurs, embarque un jour chez lui le petit agneau Kusakabe-kun. Pourtant, au lieu de le dévorer, il lui demande de l'aider dans ses études... Kusakabe-kun se rend alors compte que les rumeurs sont fausses et trouve que son Senpai est plutôt gentil... C'est alors que celui-ci lui saute dessus...! Mais pourquoi ses caresses sont-elles si agréables...? ! Physical Lesson (175 pages - Volume : One Shot) : Izutsu, qui essaye en vain d'avoir du succès auprès des filles, aimerait avoir une relation amoureuse avant de quitter le lycée. Son voisin de table, l'innocent Tanaka, écoute pourtant ses conseils en drague avec attention. Mais un jour, Izutsu découvre que Tanaka est en fait très populaire et qu'il dégage de fabuleuses phéromones ! Que doit-il faire devant ce garçon si classe dont l'aura fonctionne sur lui aussi ? ! Tale of love awkward with words (160 pages - Volume : One Shot) : Naoki Takuma, 26 ans, écrivain de romans d'amour. Un soir, en pleine dépression depuis que son ex (un homme marié) l'a quitté dix jours plus tôt, il fait la rencontre de Kanae, un jeune homme timide qui éprouve énormément de difficultés à communiquer. L'ayant pris à tort pour un étudiant, et persuadé qu'il doit passer un entretien d'embauche le lendemain matin, il décide de venir à son secours et lui prête un costume. Quelle n'est pas sa surprise de découvrir le lendemain qu'il s'agit en fait d'un jeune créateur qu'il est censé interviewer ! La passionnante histoire d'amour d'un écrivain au coeur brisé et d'un sculpteur maladroit avec les mots ! La Table des douceurs (177 pages - Volume : One Shot) : Tsuyoshi est orphelin et a été recueilli par son oncle, Minoru. Chez lui, c'est la maison du bonheur : un appartement qu'il partage avec son compagnon, Shun, et son meilleur ami, Yûki. Ensemble, ils vivent au-dessus du petit restaurant qu'ils gèrent eux-mêmes. Tsuyoshi y découvre la douceur de l'éducation prodiguée par Yûki, le pâtissier, qui exhale une douce odeur de gâteau. Mais que se passera-t-il pour Yûki et Tsuyoshi lorsque la senteur sucrée se transformera en parfum de danger ? ! Découvrez le style doux-amer de Nica Kitabeppu à travers ce recueil d'histoires courtes publiées dans le magazine de prépublication japonais Gush.

03/2015

ActuaLitté

Droit

Les accords internationaux de l'Union européenne. 3e édition

Le présent volume est consacré aux accords internationaux de l'Union et aborde des thèmes qui traversent les divers domaines des relations extérieures de l'Union : les compétences externes, la procédure de conclusion des accords internationaux, les accords d'association et les accords mixtes. L'ouvrage s'ouvre sur un chapitre consacré aux compétences externes, sujet d'une importance déterminante sur le plan institutionnel dans les rapports entre l'Union et ses Etats membres. Malgré les efforts de systématisation du traité de Lisbonne, l'auteure déclare que "la situation en matière externe reste toujours d'une redoutable complexité". Cette complexité porte tant sur le fondement que sur la nature des compétences. Un des mérites de cette étude panoramique, menée avec grande maitrise, est de précisément recomposer les pièces du puzzle. Le chapitre II se penche sur la négociation et la conclusion des accords internationaux. Cette question a été abordée par le traité de Lisbonne dans un double souci à la fois de simplification et d'harmonisation. Au terme d'une description précise et instructive, l'étude conclut que la procédure mise en place par l'article 218 TFUE parait bien adaptée à la nature particulière de l'Union, établissant/atteignant un véritable équilibre institutionnel. Le chapitre III analyse le phénomène des accords d'association, dont la pratique a brouillé les contours, au point que l'on peut se demander à qui ils s'adressent vraiment et quelles sont leurs finalités. L'auteure dégage des critères - socle politique commun, réalisation progressive d'une intégration économique des parties, établissement d'une coopération multisectorielle -, qu'elle applique et conjugue à une analyse des différentes associations que l'Union entretient avec des partenaires, géographiquement proches comme lointains. Le chapitre IV concerne les accords mixtes, dont l'examen est effectué en partant de certains thèmes, encore d'actualité. Les arrêts et avis récents de la Cour de justice en témoignent. Parmi les problèmes signalés et leur solution, il convient de relever les difficultés posées par l'application provisoire des accords avec l'Afrique du Sud et l'Ukraine, la question de la compétence de la Cour de justice en matière d'interprétation d'accords mixtes et celle des violations d'accords mixtes par des Etats membres. Chaque chapitre traite la matière de façon approfondie et s'appuie sur un ensemble impressionnant de références à la pratique décisionnelle, à la jurisprudence et à la doctrine. C'est un ouvrage de référence qui sera particulièrement utile aux chercheurs et aux praticiens du droit. L'ouvrage réunit, autour de Jacques Bourgeois, avocat et professeur au Collège d'Europe et à l'Université de Gand, coordinateur de la grande matière "Relations extérieures" et du présent volume, une équipe d'éminentes universitaires : Catherine Flaesch-Mougin, professeure émérite à l'Université de Rennes I, Nicki Aloupi, professeure à l'Université de Strasbourg, Cécile Rapoport, professeure à l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, et Christine Kaddous, professeure à l'Université de Genève.

08/2019

ActuaLitté

Sciences politiques

Europe, l'atout à défendre

Qui ne connaît la fameuse réplique de César à Escartefigue lors de la partie de cartes marseillaise du film de Korda et Pagnol, Marius (1931, Acte III, scène 1), où il le presse de jouer son atout, de "se fendre" comme on dirait en escrime : "Tu me fends le coeur" ? On y songe en pensant à l'Europe, atout incomparable pour l'humanité comme pour les Européens, mais dont la situation, de quelque manière qu'on la prenne, fend le coeur. Non que les Européens soient vraiment à plaindre, comparativement à d'autres. Mais, comparativement aussi ils éprouvent un sentiment de déclin relatif : la Chine, les USA, les BRICS, l'Islam, l'Afrique occupent désormais une place croissante et comme en surplomb d'eux, qui les voyaient depuis si longtemps comme en contrebas. Eminente comme elle est toujours, l'Europe pourrait pourtant faire face à ces nouvelles configurations, et pourquoi pas en dominer plus que d'autres le cours. Cependant, elle s'égare et s'abime dans des doutes sur elle-même, dont le referendum anglais du 23 juin 2016 a donné toute la mesure. L'atout est galvaudé, souvent par ceux-là mêmes à qui il donnait une bonne main. A travers un cycle d'entretiens ayant comporté une mission à Bruxelles, des rencontres avec plusieurs ambassadeurs à Paris, un séminaire de bilan, la Fondation Prospective et Innovation s'est attachée en 2018 à examiner ce paradoxe européen d'un certain délitement interne à l'heure où le besoin d'Europe s'affirme de toutes parts dans le monde - n'est-elle pas la charnière articulant l'Eurasie qui se dessine à l'Eurafrique qui s'esquisse ? Le présent ouvrage en rend compte. L'idée directrice qui s'en dégage est que l'axe du débat doit se déplacer de l'intérieur et du passé vers le dehors et l'avenir. L'affaire n'est plus tant de disserter entre Européens sur la meilleure manière de l'être, et de cultiver à cet effet l'acquis des décennies passées, que de discerner en quoi, dans le monde tel qu'il est, être Européen est une chance, une ressource, un devoir aussi envers l'avenir. "Nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde" disait déjà le général de Gaulle le 4 septembre 1958 pour en conclure que "Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent, par conséquent, commander nos institutions". Mutatis mutandis, soixante ans plus tard, la formule s'applique parfaitement à l'Union Européenne de demain. Celle-ci reste un atout majeur pour le monde. Un atout à défendre par les Européens unis. L'imperfection n'est pas une tare, pourvu que l'union l'emporte indéfectiblement sur les discordances. Comme le dit encore le César de Pagnol (Marius, III, 2) "Si on ne peut plus tricher avec ses amis, ce n'est plus la peine de jouer aux cartes", pensée plus profonde qu'il n'y paraît.

12/2018

ActuaLitté

Bas Moyen Age (XIVe au XVe siè

Les états généraux de France de 1468 et 1484. Recherches prosopographiques sur les députés

La synthèse de James Russell Major, qui a eu le mérite de sortir l'histoire des assemblées représentatives en France de la double ornière de l'histoire institutionnelle et du corporatisme pour la réorienter vers l'histoire sociale, n'en concluait pas moins à l'échec des états généraux du XVe siècle. Mais ce diagnostic ne reposait sur aucun fondement, l'étude sociale du groupe des délégués n'étant même pas ébauchée, faute d'une indispensable enquête archivistique. C'est le défi que relève ici Neithard Bulst, en analysant la composition des assemblées de 1468 et de 1484 en se fondant sur un recours rigoureux à la méthode prosopographique. Pour cela, il est remonté à chaque élection, assemblant toutes les sources disponibles, y compris inédites surtout quand elles proviennent des archives départementales ou municipales, scrutant la procédure (elle varie d'un lieu à l'autre : ce n'est qu'en 1484 qu'on commence à lui porter attention), et établissant ainsi pour la première fois une liste fiable des délégués : si grâce au "Journal" de Masselin ceux de 1484 étaient à peu près connus, il n'en allait pas de même pour 1468. Les représentants du Tiers Etat prennent de ce fait une importance nouvelle. Il analyse ensuite l'enracinement familial, professionnel et social des délégués sans perdre de vue les membres les plus influents de la région où a lieu l'élection ou la désignation (le terme s'avère souvent mieux adapté). Il met ainsi en évidence tous les liens de clientélisme, de patronage, de partenariat ou de protection qui structurent les sociétés locales, donnant ainsi à voir une sorte de "bastard feudalism" à la française. La réunion des états est donc une circonstance exceptionnelle où le roi (en 1468) ou les puissants du moment quand il est mineur (les Beaujeu, la faction Orléans en 1484) rencontrent l'ensemble de la société politique du royaume, un temps fort de la communication politique en une époque où elle occupe une place de plus en plus importante dans la gouvernance de la France : de ce point de vue, tout l'ouvrage questionne le concept de "représentation" dans sa définition médiévale. Une autre impression se dégage de l'étude, la place qu'occupent déjà dans cette structure les officiers royaux, alors que Russell Major ne les voyait s'imposer que dans les assemblées du XVIe siècle. Du coup, le soi-disant échec des états généraux devient très relatif : certes, ils n'ont pas eu d'effets immédiats, mais ce qui devait être dit l'a été, et Louis XI comme les Beaujeu ont su en tenir compte dans leur gouvernance. D'ailleurs, la référence fréquente aux états dans les ordonnances royales révèle leur portée légitimante. Et ce sont les procédures mises en place en 1484 qui ont ensuite été reprises et développées dans les assemblées du XVIe et même du XVIIe siècle.

10/2022

ActuaLitté

Autres

Philosophie N° 150, juin 2021

La conférence d'Emil Lask "Hegel dans son rapport à la conception du monde des Lumières", traduire et présentée par Emmanuel Chaput, clarifie le rapport ambivalent que Hegel entretint avec les Lumières. Pour Lask, l'idéalisme allemand (dont Hegel fait aussi partie) est l'héritier des Lumières, pour lesquelles la réalité donnée doit être subordonnée à une valeur rationnelle absolue, mais à la différence de Kant et Fichte, Hegel refuse de penser cette valeur comme un simple devoir-être (Sollen) ou un idéal asymptotique. Lask dépeint ainsi Hegel comme un penseur non pas de la Restauration, mais de la valeur contre la simple norme ou le simple devoir-être. En faisant des monades les particuliers de base de son système, Leibniz propose une métaphysique concurrente, rivale de celle défendue par Strawson dans Individuals. Dans "P. F. Strawson et la critique des monades , Paul Rateau montre que les critiques soulevées par Strawson reposent sur deux interprétations contestables : l'assimilation de la notion complète de la substance individuelle à une description exhaustive en termes généraux, et la réduction de la monade à la conscience pure. B répond aussi au reproche qu'il adresse à Leibniz d'introduire des considérations extra-logiques dans son traitement de la question de l'individuation. Dans "Bergson et le schématisme cinématographique de l'intelligence", Arnaud Bouaniche élucide le rôle du cinéma dans le quatrième chapitre de L'Evolution créatrice de Bergson, à la lumière d'un rapprochement précis avec la doctrine kantienne du schématisme des concepts purs de l'entendement. Il dégage la thèse selon laquelle le cinéma n'est pas seulement pour Bergson une machine à produire de l'illusion (l'illusion du mouvement) mais cet "art caché", désormais rendu visible, qui commande notre connaissance spontanée du réel. Dans "Levinas : la sensibilité ou la vie de la raison", Paula Lorelle éclaire l'ambition lévinassienne d'un élargissement de la rationalité. Sous les termes de raison et de rationalité, il est aussi bien question d'une raison suspecte qui ne survit qu'en ant l'altérité, que d'une raison nouvelle qui s'ouvre en son épreuve. B s'agit dans Autrement qu'être de comprendre cette autre rationalité comme une raison sensible, décrite en termes d'éveil dans Entre nous et De Dieu qui vient d l'idée ; l'équivocité du terme raison désigne les deux moments d'un seul et même procès d'endormissement et d'éveil de la raison. Dans "Texte de l'espace — espace du texte", Ai Maeda détermine l'expérience spatiale propre à la littérature à partir d'une analyse phénoménologique de l'acte de lecture, qu'il reformule ensuite selon les axiomes de la topologie, et il replace son analyse de l'espace vécu au sein de la représentation littéraire de la spatialité concrète qu'est l'espace urbain moderne. Ce faisant, sa démarche théorique se double d'une critique culturelle de la modernité japonaise. On peut ainsi lire la spatialité pensée par Maeda comme l'une des premières réponses, de la part de la pensée critique contemporaine japonaise, au basée de Kitarô Nishida et des philosophes de l'école de Kyôto. D. P.

06/2021

ActuaLitté

Poésie

Poésies d'Emily Dickinson illustrées par la peinture moderniste américaine

Au XIXe, dans un village de la côte est américaine, une femme invente un univers à elle, inspirée par l'immensité des petits rien et la légèreté de l'éternité. Emily Dickinson s'adonne à ce qui la fait vibrer : l'écriture. Dans la première moitié du XXe, des artistes américains expriment leur amour pour leur pays en peignant l'immensité de ses paysages, de ses ciels, ces vibrations de couleurs... Un désir affirmé : s'affranchir de l'influence de la peinture européenne. Le texte Au xixe siècle, dans un village de la côte est américaine une femme crée son destin, invente un univers à elle, inspirée par l'immensité des petits rien et la légèreté de l'éternité. Emily Dickinson s'adonne entièrement à ce qui la fait vibrer : l'écriture. Du regard qu'elle porte sur le monde depuis sa fenêtre se dégage une spiritualité et une sensibilité universelle qu'elle retranscrit dans ses poèmes. Au cours d'un siècle et sur un territoire marqué par le puritanisme et le classicisme, elle se démarque en imposant un style audacieux et libéré de toute contrainte : des vers rythmés mais non rimés, des majuscules aléatoires, des tirets comme respiration. Une modernité étonnante. La poésie d'Emily Dickinson se contemple comme un tableau. De multiples teintes se côtoient au creux de ses mots : le pourpre de l'aube ou du crépuscule, le vert du brin d'herbe rencontrant le papillon, le bleu céleste de l'infini. Des couleurs qui s'assombrissent lorsque la perte, la mort et la souffrance de ceux qui restent s'invitent dans ses vers, ou qui s'égayent à l'idée d'une danse, d'un sentiment amoureux, d'une musique ou d'une impertinence sur la religion. Son écriture, espiègle et pleine d'ironie, nous touche par la véracité de ses ressentis. La vie d'Emily Dickinson (1830-1886) est entourée de mystères. Elle vécut toute sa vie dans la maison familiale d'Amherst (Massachusetts), sans être mariée ni avoir d'enfant. C'est dans l'espace clos de sa chambre qu'elle écrit des centaines de poèmes et de lettres. Elle est aujourd'hui considérée comme l'une des plus grands poètes des Etats-Unis d'Amérique. L'iconographie Dans la première moitié du xxe siècle, des artistes américains expriment leur amour pour leur pays en peignant l'immensité de ses paysages, de ses ciels, les vibrations de couleurs propres à la terre qui les nourrit. Avec un désir affirmé : s'affranchir de l'influence et des codes de la peinture européenne, en vogue depuis si longtemps. Ainsi Charles Burchfield, Arthur Dove, Edward Hopper, Georgia O'Keeffe, Agnes Pelton, Charles Sheeler, Henrietta Shore, Marguerite Zorach et tant d'autres cherchent dans les émotions émanant de la nature une réponse sensuelle au formalisme conceptuel qui émerge des mouvements d'avant-garde européens du début du xxe siècle. Anna Hiddleston, attachée de conservation aux collections modernes du centre Pompidou, dirige la sélection iconographique et présente dans son introduction la peinture moderniste américaine.

10/2023

ActuaLitté

Critique littéraire

Epigrammes/epigrammata. 1606-1612, Edition bilingue français-latin

Il est difficile d'imaginer aujourd'hui la vogue dont jouirent pendant plusieurs siècles les Epigrammes de John Owen (1564-1622), qui en leur temps firent saluer leur auteur comme le "Martial anglais" , le "second Martial" , "Martial ressuscité" . Plus exclusivement intellectuel que son modèle latin, Owen n'eut jamais sa richesse de dons, ni son puissant réalisme, ni inversement sa grâce et sa tendresse, ni ses raffinements d'artiste. Mais dans le domaine volontairement restreint de la satire morale et dans le cadre étroit du distique, son instrument privilégié, il porte l'épigramme à un point d'achèvement qui ne devait plus être égalé : jamais l'épigramme n'a été aussi proche de la maxime au sens que lui donnera bientôt notre La Rochefoucauld et avec laquelle elle partage le brillant et l'étincelante netteté. Le propos est exclusivement celui d'un moraliste. Observateur fin et spirituel du train du monde, Owen livre son expérience en une multitude de traits caustiques qui fusent dans toutes les directions : égratignant les caractères et les âges, insistant sur les travers de quelques professions et conditions (juristes, médecins, théologiens, courtisans) ; quelques traits acérés contre le sexe faible et les inconvénients du mariage pourraient le faire soupçonner de misogynie si le sujet était original. En tout cela, nulle illusion, mais nulle méchanceté ; pas d'attaque personnelle, seulement les défauts universels de la nature humaine ; quelques remarques sont plus directement inspirées par des sujets d'actualité : loyal sujet anglais à l'époque du complot de la poudre à fusil, Owen décoche quelques pointes à l'adresse de l'église catholique, il intervient malicieusement à propos de la querelle du vide. Une sagesse ironique se dégage, qui fait comprendre aisément l'influence qu'il exerça sur l'âge classique, habitué à privilégier l'analyse morale. . Le premier volume des épigrammes, dédié à Lady Neville, a paru en 1606 ; encouragé par son succès immédiat, Owen publia l'année suivante un second volume, dédié à une Stuart ; les troisième et quatrième volumes parurent en 1612 et 1613 : en tout, dix livres d'épigrammes dont l'édition d'ensemble sera publiée en 1622, l'année même de sa mort. Une editio locupletior et emendatior a été publiée à Paris en 1794 par Antoine Augustin Renouard. Premier à ouvrir notre collection à l'humanisme du Nord, Sylvain Durand nous offre dans ce volume le texte et la première traduction française intégrale de cette oeuvre. Exécutée avec une parfaite exactitude, une aisance et un plaisir évident et même quelque gourmandise, cette traduction nous est offerte dans une prose serrée, quand elle n'accueille pas la coquetterie d'une traduction rythmée. L'édition bilingue est, comme dans tous les volumes de la collection, précédée d'une introduction, cinq grandes parties progressant de la biographie et du contexte historique et culturel à l'oeuvre elle-même, analysée ensuite dans son aspect formel (le travail sur la matière des mots, feu d'artifice et fête étourdissante du langage) et dans les liens qu'elle entretient avec l'actualité et la société de son temps, enfin et plus profondément, avec les options intellectuelles et spirituelles de son auteur.

04/2016

ActuaLitté

Sociologie

Disparaître de soi. Une tentation contemporaine

Nos existences parfois nous pèsent. Même pour un temps, nous aimerions prendre congé des nécessités qui leur sont liées. Se donner en quelque sorte des vacances de soi pour reprendre son souffle. Si nos conditions d'existence sont sans doute meilleures que celles de nos ancêtres, elles ne dédouanent pas de l'essentiel qui consiste à donner une signification et une valeur à son existence, à se sentir relié aux autres, à éprouver le sentiment d'avoir sa place au sein du lien social. L'individualisation du sens, en libérant des traditions ou des valeurs communes, dégage de toute autorité. Chacun devient son propre maître et n'a de compte à rendre qu'à lui-même. Le morcellement du lien social isole chaque individu et le renvoie à lui-même, à sa liberté, à la jouissance de son autonomie ou, à l'inverse, à son sentiment d'insuffisance, à son échec personnel. L'individu qui ne dispose pas de solides ressources intérieures pour s'ajuster et investir les événements de significations et de valeurs, qui manque d'une confiance suffisante en lui, se sent d'autant plus vulnérable et doit se soutenir par lui-même à défaut de sa communauté. Dans une société où s'impose la flexibilité, l'urgence, la vitesse, la concurrence, l'efficacité, etc., être soi ne coule plus de source dans la mesure où il faut à tout instant se mettre au monde, s'ajuster aux circonstances, assumer son autonomie. Il ne suffit plus de naître ou de grandir, il faut désormais se construire en permanence, demeurer mobilisé, donner un sens à sa vie, étayer ses actions sur des valeurs. La tâche d'être un individu est ardue, surtout s'il s'agit justement de devenir soi. Au fil de ce livre, j'appellerai blancheur cet état d'absence à soi plus ou moins prononcé, le fait de prendre congé de soi sous une forme ou sous une autre à cause de la difficulté ou de la pénibilité d'être soi. Dans tous les cas, la volonté est de relâcher la pression. Il s'agit ici de plonger dans la subjectivité contemporaine et d'en analyser l'une des tentations les plus vives, celle de se défaire enfin de soi, serait-ce pour un moment. Sous une forme douloureuse ou propice, cette étude arpente une anthropologie des limites dans la pluralité des mondes contemporains, elle s'attache à une exploration de l'intime quand l'individu lâche prise sans pour autant vouloir mourir, ou quand il s'invente des moyens provisoires de se déprendre de soi. Les conditions sociales sont toujours mêlées à des conditions affectives. Et ce sont ces dernières qui induisent par exemple les conduites à risque des jeunes dans un contexte de souffrance personnelle, ou qui font advenir la dépression, et sans doute la plupart des démences séniles. Si souvent les approches psychologiques occultent l'ancrage social et culturel, celles des sociologues délaissent souvent les données plus affectives, considérant les individus comme des adultes éternels, n'ayant jamais eu d'enfance, ni d'inconscient, ni de difficultés intimes. La compréhension sociologique et anthropologique des mondes contemporains peut ressaisir la singularité d'une histoire personnelle en croisant la trame affective et sociale qui baigne l'individu et surtout les significations qui alimentent son rapport au monde. Telle est la tâche de ce livre.

02/2015

ActuaLitté

Monographies

Hans Emmenegger (1866-1940)

Du 25 juin au 31 octobre 2021, la Fondation de l'Hermitage consacrera une importante rétrospective au peintre lucernois Hans Emmenegger (1866-1940) – une première en Suisse romande. A travers une centaine de tableaux, l'exposition dévoilera l'oeuvre de cet artiste qui, malgré un fort engagement au sein de la communauté culturelle suisse alémanique, reste méconnu du grand public. Fin observateur et amoureux de la nature, Emmenegger est un peintre d'une originalité frappante, tant dans le choix de sujets insolites que dans l'audace de ses compositions, qui compte parmi les artistes suisses les plus importants de sa génération. Formation artistique Emmenegger commence sa formation à l'école des arts appliqués de Lucerne (1883-1884). Il la poursuit à Paris, à l'Académie Julian auprès de Jules Lefèbre et Gustave Boulanger, puis dans l'atelier de Jean-Léon Gérôme. Dans cette effervescence artistique, il se lie d'amitié avec Cuno Amiet et Giovanni Giacometti. En hiver 1885-1886, il séjourne à Munich, où il rencontre Max Buri, avec qui il voyagera en Afrique du Nord en 1891. En 1893, Emmenegger hérite du domaine de son père à Emmen, près de Lucerne, où il vivra et travaillera jusqu'à sa mort. En 1895-1896, il passe un second hiver à Munich. Il y pratique la gravure avec Albert Welti et s'initie à la peinture de plein air avec Bernhard Buttersack. Fasciné par le travail d'Arnold Böcklin, il séjourne à plusieurs reprises au Tessin et en Italie entre 1897 et 1903. Un artiste singulier Au début du 20e siècle, Emmenegger s'affranchit de l'influence de Böcklin et développe son propre langage artistique en s'attardant sur des thèmes d'une étonnante modernité – intérieurs obscurs de forêt, fonte des neiges, ombres portées ou reflets à la surface de l'eau. Son style réaliste, qui plonge le spectateur dans des décors au cadrage serré, parfois sans horizon, génère une atmosphère aussi étrange que mélancolique. Grâce à de subtils agencements d'aplats de couleur et à la fragmentation de l'espace pictural par de puissants contrastes d'ombres et de lumière, une grande tension se dégage de ses compositions. Dès les années 1910, Emmenegger se passionne pour la question de la représentation du mouvement et livre des toiles, inspirées de la chronophotographie, qui ne sont pas sans rappeler les expérimentations des artistes futuristes. Engagement dans le milieu artistique Emmenegger était notamment Président de la section lucernoise de la Société des peintres, sculpteurs et architectes suisses (1902 à 1913 et 1928 à 1930) et membre du comité de la Société des beaux-arts de Lucerne (1904- 1926). Philatéliste et collectionneur averti, il possédait, entre autres, des oeuvres de Ferdinand Hodler, Cuno Amiet, Max Buri, Giovanni Giacometti et Albert Trachsel ainsi qu'un ensemble de photographies, de minéraux et de fossiles. Il exposait régulièrement ses tableaux en Suisse et à l'étranger. En dialogue avec d'autres artistes L'époustouflante modernité de l'oeuvre d'Emmenegger sera mise en évidence par une sélection exceptionnelle d'une centaine de tableaux, qui dialogueront avec des peintures de ses mentors, amis et contemporains tels que Cuno Amiet, Arnold Böcklin, Giovanni Giacometti, Ferdinand Hodler, Félix Vallotton et Robert Zünd. Le parcours sera également ponctué d'oeuvres d'artistes contemporains inspirés par son travail : Albrecht Schnider, Silvia Bächli, Nicolas Party, Alois Lichtsteiner, Stefan Banz et Caroline Bachmann. Une carte blanche sera confiée à l'Ecole cantonale d'art de Lausanne (ECAL), pour mettre en résonance l'oeuvre d'Emmenegger avec la nouvelle génération.

07/2021

ActuaLitté

Esotérisme

Collision avec l'infini. Une vie au-delà du moi

Un classique de la spiritualité contemporaine enfin traduit Voici un livre extraordinaire (1re édition originale en 1996). Il s'agit du témoignage unique d'une femme, d'une Américaine qui vit sans s'y attendre une expérience spirituelle fulgurante. Alors qu'elle séjourne à Paris en 1982, elle s'éveille à la vacuité et découvre une dimension au-delà du moi personnel. Mais n'ayant pas les connaissances spirituelles pour l'intégrer dans son quotidien, seule et sans maître, sans lien avec une tradition particulière, elle devra traverser de difficiles épreuves psychologiques et un sentiment angoissant de dépersonnalisation. Errant de thérapeute en thérapeute, essayant désespérément de se guérir du fait de n'être personne, parce que personne dans son monde ne savait que faire de son expérience, après une douzaine d'années de traversée du désert de ce qu'elle décrit comme un hiver spirituel, elle a émergé dans le printemps radieux de la pleine réalisation non-duelle. Il lui faudra de longue années pour qu'elle comprenne enfin qu'elle était en train de vivre en fait une expérience spirituelle d'éveil et pour l'intégrer dans sa vie. Parce qu'elle s'est éveillée sans enseignant ni tradition, et parce que ses descriptions détaillées de la façon dont le Soi opère à travers les corps-esprits pour se réaliser sont puissamment originales, ce livre est d'une valeur inestimable. Dans cette autobiographie profonde, claire et précise, Suzanne fait la chronique de son voyage vers l'éveil et, ce faisant, elle transmet la sagesse qui s'est révélée à elle. Suzanne n'a jamais prétendu être une enseignante, préférant se présenter comme descriptrice de ce que signifie vivre dans l'immensité. Un classique de la spiritualité. Témoignages " Le livre que vous tenez entre vos mains est en feu, et les étincelles qu'il dégage ont le potentiel de déclencher une conflagration qui fait voler en éclats votre monde (un monde confortable et illusoire construit autour d'un moi séparé inexistant) et qui révèle l'immensité et le mystère de qui vous êtes vraiment. Je suis impressionné par la puissance de pénétration de l'histoire de Suzanne Segal, ainsi que par la profondeur et l'autorité de ses paroles. " Stéphane Bodian " La question de savoir si une expérience traumatisante est nécessaire pour que l'illumination se produise est discutable, mais c'est ce qui est arrivé à Suzanne Segal. Dans son livre, elle décrit toute l'histoire de manière sincère et lucide, avec des mots simples et un style fluide qui m'ont fasciné. A toute personne intéressée par le sujet, je dirais : "Lisez ce livre ! " " Ramesh S. Balsekar " Le récit fascinant et profondément émouvant d'une puissante ouverture spirituelle et du processus de compréhension et d'intégration qui s'ensuit. Ce livre dissipe certains de nos mythes les plus chers sur l'éveil spirituel, en particulier celui selon lequel il s'agit d'un processus facile et plein de béatitude. L'éveil n'est pas la fin du chemin, mais le début d'un voyage parfois difficile. " Steve Taylor " Collision avec l'infini est comme un diamant en feu avec un esprit vivant, et un témoignage sur les façons étranges et merveilleuses dont l'éveil spirituel peut éclater de façon imprévisible chez n'importe lequel d'entre nous, à tout moment. Lisez ce livre pour ce qu'il est, une révélation contemporaine de la façon dont la présence spirituelle a pris vie chez une femme extraordinairement ordinaire, et comment elle l'a incarnée tout comme le ciel incarne une étoile filante. " Adyashanti " Collision avec l'infini est un livre important qui nous donne une description fascinante et directe d'un éveil spontané. Il s'agit d'un récit très personnel de l'expérience de la dimension impersonnelle de notre réalité. Susanne Segal décrit magnifiquement sa rencontre avec différents enseignants et enseignements pour l'aider à passer de l'absence et de la perte du moi au déploiement du vide et de la plénitude. " Loch Kelly

03/2023

ActuaLitté

Essais - Témoignages

L'art de tremper. Manuel à l'usage des Français et des étrangers qui trempent

Tremper serait-il une spécificité française de l'art de se mettre à table pour le petit déjeuner, le goûter ou le souper ? Que signifient " tremper sa chemise ", " tremper la soupe ", un acier " trempé ", prendre une " trempe " ? Exercice littéraire jubilatoire, foisonnement baroque sur un geste quotidien, un presque rien appétissant où les mots se savourent. " Alors que nous quittions la cuisine, George posa sa dernière question : - ; Is there any book about dipping ? Qu'il ne se soit pas exprimé en français, langue qu'il parle couramment, donnait du poids à sa parole. Je répondis "Non, il n'existe pas de livre sur le trempage' et décidai d'en écrire un. " Dès cet extrait reproduit en quatrième de couverture, le ton est donné : l'auteur a pris beaucoup de plaisir à composer cet essai original. Les problématiques de l'acte de tremper surgissent dès le début de l'ouvrage en un faisceau de questions : " Trempe-t-on différemment à Paris, en province, à l'étranger ? Assembler, est-ce cuisiner ? Tremper, est-ce de la gastronomie ? Existe-t-il des recettes de trempage ? Si vous êtes insensible à ces questions et les considérez futiles, vous ne tremperez jamais. " " Cette pratique humaine et quotidienne concerne davantage les collations que les repas ; les trempeurs exercent le matin au petit-déjeuner et au goûter vers dix-sept heures. " De quoi est donc fait ce petit ouvrage en forme de digressions, dans une pâte quasi mangeable tant sa forme incite à le saisir comme une tartine ? De mots solubles dans des boissons chaudes ou froides ? Tremper serait-il une spécificité française de l'art de se mettre à table pour le petit déjeuner, le goûter ou le souper ? Moins franchement pour le déjeuner ou le dîner. Café, madeleine, soupe. Que signifient des expressions comme " tremper sa chemise ", " tremper la soupe ", un acier " trempé ", prendre une " trempe ", etc. L'auteur nous entraîne dans un voyage étymologique et s'interroge sur un mot qui s'est forgé au cours des siècles. Tantôt invitation à la juste mesure : tremper pourrait signifier tempérer, tantôt affirmation virile (un caractère bien trempé), le mot a évolué dans son sens et son genre, passant du féminin au masculin. " Dans ce dictionnaire, les records de solidité et de liquidité appartiennent pour un extrême à " Acier trempé " (quoi de plus solide ? ) et pour l'autre à " Tremper son vin, par exemple avec de l'eau ", car rien de plus liquide que le trempage d'un liquide dans un autre ". " Le plus dérangeant pour un non-Français, même francophone, restant l'expression " Tremper sa soupe ", qui consiste à verser du bouillon sur des tranches de pain ; c'est alors le liquide qui est plongé dans le solide et non l'inverse ". Est ce une réponse à Perec qui s'interroge malicieusement sur cette expression dans son Je me souviens ? Le texte vante les mérites des matières : de la baguette à la biscotte et n'hésite pas à philosopher sur le boudoir. Le style est vif. Parlant des croissants, Roy les qualifie d'un trait : " droit au beurre ou arqué ordinaire " ; " le chocolat fait penser à un marigot exotique, dont la tartine serait le crocodile ". Sur la madeleine de Proust (rien ne lui échappe), l'auteur considère l'art du repêchage des miettes et on pourra se reporter au passage de La Recherche concernant l'effritement de la madeleine. C'est un exercice littéraire jubilatoire, foisonnement baroque sur un geste quotidien, un presque rien appétissant où les mots se savourent et qui fait appel à tous les sens : la vue (cf. " le contrôle optique ! "), le goût, l'odorat, le toucher et l'ouïe. " Son ouïe enregistre le ruissellement en cascade dans le récipient. Son toucher identifie la température, brûlante, tiède ou glacée. Son odorat décèle l'arôme du café, le fumet du chocolat, la vapeur du thé, le parfum du vin, l'odeur de la soupe. Enfin sa vue autorise l'imaginaire, car semblable à la Pierre de Rêve du lettré chinois, chaque liquide libère les mondes engloutis. " Subtil, l'auteur esquisse une anthropologie de l'acte de tremper (dont il rappelle l'anagramme : " permet ") comme un fait social total et un marqueur de distinction. Ainsi le trempage se différencie du sauçage (acte pour lequel le trempeur " a pied " dans un récipient de faible profondeur). S'il évoque la mouillette, c'est pour la mettre entre parenthèses car n'est pas tartine qui veut et la coque de l'oeuf n'a " pas de bol ". Sucré, salé ou sacré, l'art du trempage appelle une observation fine et ne peut être assimilé sans une technique classificatoire pouvant aller jusqu'à l'esquisse typologique. Certains barèmes sont appliqués : pas de véritable trempage si l'action se fait au bout d'une pique (comme dans la fondue, mêmes les croûtons ou les morceaux de viande sont bel et bien immergés). Le livre se poursuit par des conseils à un jeune public de trempeurs et un cours serré d'apprentissage auprès des jeunes publics. Le livre est enfin et surtout un pastiche de ce que serait une publication universitaire et académique et il en a pourtant la teneur. Très réussi l'exercice tord le texte sur lui-même et se retourne sur plusieurs registres jusqu'à plus soif. Le jeu s'arrête ainsi comme dans un générique (de faim ? ) avec des acteurs qu'on sait proches de l'auteur et qu'on imagine attablés autour de lui pour des séances en forme de leçons. Défense et illustration de l'art de tremper à la française - l'auteur est aussi architecte et collectionneur - et il se dévoile dans une pseudo intimité comme grand amateur des manières de faire et comme grand gourmand. Joyeuse dissertation sur l'origine et l'art de goûter, ce petit livre malheureusement inclassable mais très classieux se déguste du bout des doigts comme un mets précieux. Les chapitres : George O. / Quid ? / Supports / Stabilisateurs / Garnitures / Liquides / Récipients / Invitation au trempage / Basse école / Haute école / Le trempage pour tous / Happy épilogue.

08/2023

ActuaLitté

Littérature française

De l'impossibilité de devenir français. Nos nouvelles mythologies nationales

« La France est un grand pays, ma fille ; elle a réhabilité le capitaine Dreyfus ». Ainsi parlait mon père, Juif d’Istanbul amoureux de la France parce qu’elle était pour lui le pays des droits de l’homme, et aussi celui de la liberté et de l’égalité. Ce qui ne l’empêchait pas de continuer en me citant quelques vers de Shakespeare… Ainsi dus-je, dès ma prime enfance, apprendre le français, avec une préceptrice arménienne, ce qui me valut longtemps de parler la langue du pays rêvé avec un accent arménien. Je pris ensuite, comme il se devait, le chemin d’une école congréganiste pour m’initier aux finesses de la culture qui avait produit Molière et Zola (et aux bonnes manières). Longtemps, la France a incarné des valeurs qui faisaient rêver des populations entières hors, et parfois très loin, de ses frontières. La Révolution, la République et ses principes, les lettres, la culture françaises avaient investi les imaginaires au point que pour beaucoup la France était devenue le symbole même de l’Occident « civilisé ». Ce pays qui avait émancipé ses Juifs avant toutes les autres nations européennes était l’espérance en marche. Ainsi les Juifs français n’eurent-ils pas de mal à conjuguer harmonieusement les valeurs de la République avec celles des Prophètes bibliques, créant ce « franco-judaïsme » qui permit à des générations entières de s’intégrer à ce qu’ils tenaient réellement pour leur patrie. Plus tard, à leur tour, les immigrés juifs d’Europe orientale diront cela en une formule pleine de saveur : « heureux comme Dieu en France ». Que s’est-il donc passé pour que la France ait cessé d’être ce pays rêvé et peine à intégrer ses immigrés ? Le patriotisme français lui-même s’est délité avec la fin du rêve, un délitement touchant autant les Français « d’origine » que les autres. Les guerres coloniales, une décolonisation non digérée, les ruptures, telle Vichy, du contrat passé par la République avec ses minorités, la non-adaptation aux nouvelles conjonctures économiques, le rabougrissement des élites, le vieillissement du pays ont progressivement terni son image. En fait, ceux qui l’habitent, nationaux ou « étrangers », ont cessé de croire en lui et dans son énergie créatrice. Comme le reste de l’Europe, et plus peut-être que d’autres pays européens, la France semble frappée d’une sénescence aggravée. Elle n’insuffle plus d’énergie. Les récents débats sur l’identité nationale ont montré que les vieilles recettes barrésiennes et maurrassiennes elles-mêmes ne parviennent pas à donner un peu de substance au type de Français imaginé par la xénophobie ambiante. Une xénophobie qui, à défaut de vrai projet de société, s’érige en pure rhétorique politique. Cette xénophobie a connu ses beaux jours d’abord à la fin du XIXe siècle, puis dans l’entre-deux-guerres, principalement sous sa forme antisémite. Aujourd’hui, c’est l’islam qu’elle prend pour cible. Alors que chacun sait qu’elle a mené à l’une des plus immenses catastrophes du XXe siècle, elle resurgit cette fois pour viser une population arrivée massivement pendant les Trente Glorieuses, et s’attaque sans vergogne à ses descendants, nés sur le sol français, et français de nationalité. Au lieu de nourrir le terreau d’où devrait naître le Français de demain, la xénophobie l’assèche, l’appauvrit, l’asphyxie. Elle pousse les Français « de fraîche date » à se replier dans leur « communauté », en un mouvement exactement parallèle à celui du nationalisme qui enferme lui aussi dans un entre-soi fatal les Français « de bonne souche », créant ainsi plusieurs catégories de citoyens, et les hiérarchisant, « aristocratie » légitime d’un côté, vassaux suspects de l’autre. Dans cet environnement d’Ancien Régime restauré, et de surcroît agressif, les valeurs de la République s’étiolent évidemment. Et beaucoup de ceux qui s’en réclament encore les convertissent en idéaux d’un fanatisme cherchant à mieux humilier ceux qu’on considère comme des Français de second rang. Républicanisme et laïcisme en sont les dérives les plus patentes. Et pourtant, être français aujourd’hui pourrait être bien autre chose : redevenir un citoyen du monde, aimant la planète et tous ceux qui la peuplent, œuvrant pour la « résurrection » d’une France internationale, cultivant plusieurs identités, traversant les frontières, tout en restant un vrai patriote, fier de sa culture, de son pays et de son ouverture. On n’est pas français parce qu’on est né dans ce pays. Et même lorsqu’on y est né, on le devient, en le réinventant sans cesse, en le recréant non dans l’isolement et le rejet, mais dans un flux incessant, dans le paradoxe et les contradictions, dans la reconnaissance et la promotion d’une pluralité ethnique, culturelle, religieuse, sexuelle, de genre, qui est sans doute la clé d’un vrai progrès et d’un rayonnement authentique. Être français, c’est vouloir une France combattive, renonçant à son pessimisme, ouvrant largement ses fenêtres, avec l’avenir en vue, non cette France repliée sur elle-même qui, à force de remâcher ses vieilles rengaines, dégage une inquiétante odeur de renfermé.

01/2012

ActuaLitté

Notions

L'incommensurable, l'inouï, la vraie vie

L'incommensurable, l'inouï et la vraie vie Présentation L'incommensurable, l'inouï, la vraie vie sont les titres d'ouvrages de François Jullien. Ce sont trois concepts qui forment un triangle isocèle dont l'incommensurable et l'inouï sont les deux angles de base et la vraie vie le sommet. L'incommensurable dit la fêlure qui se découvre en beaucoup de points de notre expérience : tout n'y est pas bord-à-bord ou de plain-pied. Comme dans les nombres incommensurables, un hiatus y subsiste qu'on peut vouloir boucher mais qui ne se réduit pas. L'incommensurable dit simplement que cela n'entre pas dans la commune mesure que constitue l'ordre des nombres. Ainsi entre le plaisir et la jouissance, qu'on dit pourtant synonymes : le premier laisse mesurer sa satisfaction, l'autre a versé dans l'oubli de toute satisfaction. Il y a de l'incommensurable également entre la relation sociale et la relation intime : on fait un saut irrésorbable de l'une à l'autre. Parce qu'elle est irréductible, cette fêlure d'incommensurable ouvre un infini dans l'expérience. L'infini n'est donc pas seulement aux extrémités de l'expérience (l'infiniment grand ou l'infiniment petit), comme on se le représente d'ordinaire. Il se découvre au coeur de l'expérience un infini irréductible qu'on ne peut éliminer : notre existence est traversée de ces fêlures d'infini. Ces ressources d'incommensurable sont à détecter, mais à garder comme des ruptures, sans vouloir les boucher par autre chose, par du Sens et de l'idéologie. En regard de l'incommensurable, l'inouï dit, non la fêlure, mais le débordement de notre expérience. L'inouï est ce qui reste à la lisière et que d'ordinaire on n'entend pas. Car l'expérience ne devient " expérience " qu'en se rangeant dans des cadres déjà constitués : elle laisse donc échapper ce qui n'y trouve pas d'emblée sa place et qui par-là demeure " in-ouï ". Cet inouï n'est pas pour autant l'extraordinaire ou l'exceptionnel avec lesquels on le confond, car il peut être au contraire le plus ordinaire. L'inouï, autrement dit, est plutôt l'autre nom du " réel ", mais du réel auquel on n'accède pas parce qu'on ne peut le ranger dans l'expérience balisée ; et c'est pourquoi on le projette par commodité à l'extrémité de notre expérience et qu'on en fait de l' " extraordinaire " ou de l' " insolite ", comme le fait dans sa définition le dictionnaire pour nous en débarrasser. Que l'inouï puisse être le plus ordinaire, se vérifie d'ailleurs le plus simplement : vivre est de tout le plus inouï. Nous ne cessons de vivre, mais sans nous rendre compte de l'inouï de vivre, parce que vivre ne se laisse pas enfermer dans les cadres et les cases de notre expérience. Aussi faut-il fêler ces cadres figés de notre expérience pour pouvoir en déborder et commencer d'en entendre l'inouï. Tel est donc l'inintégrable qui relie l'incommensurable et l'inouï et les instaure en vis-à-vis. C'est pourquoi aussi, fêlure et débordement allant de pair, il faut fêler notre langage ordinaire pour le faire déborder dans sa capacité de dire, comme notre vie dans sa capacité d'exister, et pouvoir y dire l'inouï - ce que fait la poésie. Comme l'in-commensurable, comme l'in-ouï, la " vraie vie " est également un concept à entendre en creux, de façon négative ou plutôt nég-active, même s'il s'affirme en plénitude. Car le concept de vraie vie n'énonce pas quelque vérité sur la vie ni n'indexe la vie sur une vérité, mais fait ressortir ce qui est l'opposé de la " non-vie ", de la vie qui " ne vit pas ", de la vie qui n'est pas " une vie ", qui n'est au fond qu'une apparence de vie. Sa logique n'est pas celle de la fêlure comme l'incommensurable ou du débordement comme l'inouï, mais elle est celle du dé-couvrement : retirer ce qui masque la capacité de la vie à vivre et qui l'étiole. La vraie vie, autrement dit, se révèle quand s'y dégage ce qui recouvre l'expérience de la vie au point qu'on n'en perçoit plus ni l'incommensurable ni l'inouï. C'est pourquoi le concept de vraie vie est l'aboutissement des deux autres comme à leur départ, à la fois leur horizon et leur condition. Auteurs Jean-Pierre Bompied, enseignant de philosophie, a publié récemment Penser par écart, le chantier conceptuel de François Jullien, Descartes& Ce, 2019. Linda Branco, artiste (art souterrain et art collaboratif), anime l'association Décoïncidences Pascal David, philosophe, a publié de nombreux ouvrages, Penser la Chine, interroger la philosophie avec François Jullien, Hermann, 2016 Alain Douchevsky, philosophe, collabore à la revue Approches Patrick Hochart enseigne la philosophie à l'UniversitéParisVII-Paris Diderot Etienne Klein, physicien, philosophe des sciences, a publié de nombreux ouvrages et récemment Le goût du vrai, Gallimard, 2020 François L'Yvonnet, philosophe, éditeur (Editions de l'Herne), a publié récemment François Jullien, une aventure qui a dérangé la philosophie, Grasset, 2020 François Jullien, philosophe, a commencé son travail en Chine avant de déployer sa puissance conceptuelle et sa singularité dans de multiples domaines. Il est l'un des penseurs contemporains les plus traduits dans le monde.

01/2023

ActuaLitté

Biographies

Charles de Foucauld, homme de science

Assassiné le 1er décembre 1916 alors qu'une insurrection de grande ampleur avait soulevé la majeure partie des populations du Sahara et du Sahel contre l'occupant français, Charles de Foucauld a inspiré dès avant sa mort les fabricants de littérature sulpicienne. Leur représentant le plus encombrant reste René Bazin, qui a publié en 1921 Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara, monument de componctueuse et fate médiocrité dont Louis Massignon devait écrire dans une lettre du 16 septembre 1959 à Jean-François SixA : " Foucauld coule dans le gouffre de la bondieuserie S. A Sulpice. [... ] Il y a des jours où je regrette de n'avoir pas été réquisitionner pour sa "Vie" Louis Bertrand au lieu du mélibéen René Bazin. [... ] Il nous aurait épargné les bonbons de candi bénit de la rue de Sèvres. A " Le grand arabisant se faisait quelques illusions sur Louis Bertrand, si l'on en juge par un lamentable Saint Augustin publié en 1913. Quant à Jean-François Six, sirupeux et prolixe biographe de Foucauld, s'il a complaisamment rapporté la mise en garde de Massignon dans son Aventure de l'amour de Dieu (1993), il n'a pas su l'entendre. Le flot sulpicien ne s'est jamais tari jusqu'à aujourd'hui, charriant année après année des ouvrages qui ont épaissi plutôt qu'éclairci l'énigme d'une âme qu'on devine hantée par la mélancolie, la haine de soi, l'intransigeance et une sombre démesure. Quelques procureurs leur ont fait face, beaucoup moins nombreux mais pas plus respectueux des faits. On pouvait espérer que les choses changeraient une fois la béatification acquise, puisqu'il n'était dès lors plus besoin ni de défendre ni d'attaquer une cause désormais entendue, mais il n'en a rien été. La célébration du centenaire de sa mort a même transformé la cohorte des thuriféraires en une légion où le mélibéen a voisiné avec le savonarolesque. Plus récemment, les procureurs, jusque-là relativement discrets, ont vu leur zèle avivé par la vogue actuelle de déboulonnage de statues et la perspective de la canonisation prochaine de l'ermite de Tamanrasset. A en croire certains d'entre eux, Foucauld aurait été le " défenseur d'une guerre totale contre l'Allemagne lors de la Grande Guerre " ; pour d'autres, il aurait eu une " implication directe dans les opérations militaires coloniales contre les tribus rebellesA " et aurait été " l'auxiliaire incomparable " de Laperrine, commandant supérieur des territoires sahariens jusqu'en 1910. Il y a aussi ceux selon lesquels il aurait avancé des " idées en faveur d'une désorganisation des structures sociopolitiques touarèguesA ". Foucauld " défenseur de la guerre totale " ? Plaisante formule. Totale, la guerre l'était, et Foucauld ne pouvait qu'en prendre acte. Il est un fait qu'il envoyait des lettres exaltées à ses amis engagés sur le front, mais son exaltation restait épistolaire, car l'essentiel de son temps était consacré à la mise au net de ses travaux linguistiques. Ses journées de travail duraient souvent plus de onze heures, et le résultat en est une oeuvre dont il est difficile d'affirmer comme le font certains qu'elle est " indissociable de la conquête coloniale ". Car, dans les faits, elle s'en dissocie parfaitement. Ses lettres à ses amis sur le front, tout comme ses relations avec les officiers sahariens, font partie de l'époque et elles sont banales une fois remises dans leur contexte. En revanche, ses travaux linguistiques, c'est-à-dire, pour l'essentiel, les deux tomes de ses Poésies touarègues et les quatre tomes de son Dictionnaire touareg-français, sont encore une référence pour tous les spécialistes, y compris touaregs. C'est pour une bonne part à cette oeuvre qu'est consacrée le présent ouvrage. Quant à l'implication " directe " dans les opérations militaires, c'est une pure invention. Et les lettres à Laperrine ne justifient pas le qualificatif d'" auxiliaire incomparable " que Foucauld s'est vu décerner après leur parution. Surtout si l'on songe qu'elles datent d'un temps où Laperrine, revenu en France, n'avait plus aucune responsabilité au Sahara. L'ermite avait l'habitude d'informer ses amis officiers de la situation du Sahara, mais il n'était guère en cela qu'une sorte de gazetier dont les " renseignementsA ", qui mettaient plusieurs semaines à arriver à leurs destinataires, n'étaient ni exploitables ni d'un grand intérêt opérationnel. De plus, affirmer comme nous l'avons lu récemment que " ses renseignements fournis à l'armée coloniale ont influencé la stratégie de conquête du "pays touareg"A " est un anachronisme. Lorsque Foucauld atteint le pays touareg en février 1904, le chef et futur amenûkal Mûsa ag Amastan vient de signer un traité avec les militaires. En d'autres termes, la " conquête " était déjà chose faite avant même son arrivée sur place. Les seuls auxquels il est difficile de donner totalement tort sont ceux pour qui il aurait songé à désorganiser les structures sociopolitiques touarègues. Sauf à remarquer cependant, comme Paul Pandolfi le fait observer dans sa contribution, que les officiers qui seuls auraient été en mesure de procéder à cette réorganisation était d'un avis contraire, qui seul a prévalu. D'une manière générale, il n'avait guère d'influence sur ses amis militaires. Ainsi, le plan d'organisation de l'annexe du Tidikelt qu'il avait échafaudé est resté lettre morte, comme le remarque là encore Paul Pandolfi. De même, lorsque le sous-lieutenant Constant voulut donner suite aux propositions de Foucauld pour le réaménagement du fort Motylinski, il fut désavoué par son supérieur, le capitaine de La Roche, pour qui tout cela n'était qu'" hérésie tactique ". De même encore, la correspondance du lieutenant-colonel Meynier laisse deviner son scepticisme à propos de renseignements d'ailleurs très vagues transmis par Foucauld en août 1914. De toute façon, ni Foucauld ni ses supérieurs religieux n'avaient alors un quelconque pouvoir décisionnaire. Il ne pouvait que s'ouvrir de ses idées à ces intermédiaires, ces acteurs de terrain qu'étaient les officiers qui intervenaient alors dans l'Ahaggar. Mais, même dans les quelques cas où ces derniers relayèrent ses demandes, les autorités supérieures, tant à Alger qu'à Paris, y opposèrent une fin de non-recevoir. Voilà de quoi relativiser le rôle et l'influence politique de Foucauld. Voir en lui une sorte de maître à penser de la politique saharienne de la France et le lointain inspirateur de cette éphémère Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) que la France créa en 1957 est manquer du sens des proportions. Pour ce qui est des idées coloniales, il les a assurément partagées. Mais ses avis tranchaient sur la bonne conscience alors de mise. C'est ainsi que, dans une lettre de 1912, il conseillait à Mûsa ag Amastan de faire apprendre le français aux siens, pour qu'ils " puissent, au bout d'un certain temps, jouir des mêmes droits que les Français, avoir les mêmes privilèges qu'eux, être représentés comme eux à la Chambre des députés, et être gouvernés en tout comme euxA ". Il ne concevait certes pas l'avenir des Touareg ailleurs que dans un ensemble français, mais au moins leur y assignait-il, à terme, celui de citoyens à part entière. En février 1956 encore, un président du Conseil s'est fait conspuer par les ultras d'Alger pour beaucoup moins que ça. Il écrivait aussi en cette même année 1912 : " Si, oublieux de l'amour du prochain commandé par Dieu, notre Père commun, et de la fraternité écrite sur tous nos murs, nous traitons ces peuples [colonisés] non en enfants, mais en matière d'exploitation, l'union que nous leur avons donnée se retournera contre nous et ils nous jetteront à la mer à la première difficulté européenne. A " Sans doute ne voit-il là dans les colonisés que des enfants, mais étaient-ils nombreux, en 1912, ceux qui considéraient que, même dans les colonies, la "fraternité écrite sur tous nos murs" ne devait pas rester un vain motA ? Que Foucauld ait été un homme de son temps, nul ne songe à le nier. Il est toujours utile de détailler ce trait du personnage, et les contributeurs du présent ouvrage, notamment Jean-Louis Marçot et Jacob Oliel, ne s'en sont pas faute. Mais en faire un " ultraA " de la colonisation est absurde. Foucauld avait pourtant suscité quelques authentiques travaux d'historiens, qui depuis deux ou trois décennies ont répandu de lui une image plus complexe et plus humaine que l'icône assez plate accréditée jusque-là par les tâcherons de l'hagiographie. De portées et d'inspirations très diverses, tous ces travaux s'accordent au moins à reconnaître que, quels que soient par ailleurs ses titres à l'admiration et même à la ferveur, quelles que soient également les réserves qu'ils puissent susciter aujourd'hui, cet homme dont l'oeuvre linguistique est utilisée aujourd'hui encore par tous les spécialistes aura été une figure majeure des études berbères. Parmi tous ces travaux, une place particulière doit être faite à ceux du regretté Antoine Chatelard. C'est pourquoi, avec l'aimable autorisation de la revue qui l'avait d'abord publié, nous avons choisi de republier ici (sous sa forme d'alors) un texte datant de 1995 et qu'on doit tenir pour fondateur puisque c'est le premier texte où le travail linguistique de Foucauld ait fait l'objet d'une étude proprement scientifique. Mentionnons également, du même Antoine Chatelard, La mort de Charles de Foucauld (2000) ouvrage où, d'une part, il s'efforçait de reconstituer les circonstances de la mort de Charles de Foucauld et où, d'autre part, il jetait une intéressante lumière sur la façon dont la légende de " Foucauld martyrA " avait pu se construire. Mentionnons aussi par ailleurs le livre sobre et remarquablement documenté de Pierre Sourisseau (Charles de Foucauld. Biographie, Paris, Salvator, 2016), dont on regrette seulement que les travaux linguistiques de Foucauld et ses interrelations avec les Touaregs n'y ont peut-être pas tout à fait la place qu'elles mériteraient. L'article d'Antoine Chatelard est suivi ici de deux textes où Dominique Casajus a tenté de le prolonger sur un ou deux points, tandis que, de son côté, Aurélia Dussere s'est attachée au travail de Foucauld comme explorateur du Maroc et que Marc Franconie propose un commentaire de quelques-uns des croquis qu'il a dressés au cours de son voyage d'exploration ainsi qu'un aperçu de son travail de météorologue. Le volume s'achève par deux contributions, dues à Emmanuel Alcaraz et à Dominique Casajus, qui entendent donner un aperçu de l'image, souvent infondée, que certains milieux se font aujourd'hui de Charles de Foucauld. L'étude historique du " casA " Foucauld doit se poursuivre, et le dossier présenté ici veut être une contribution à ce cette tâche. Et, en historiens que nous essayons d'être, notre rôle n'est pas de déboulonner des statues, ni, du reste, d'en édifier. Et l'image parfois floue que nous avons essayé de recomposer n'est ni tout à fait noire, ni tout à fait blanche.

10/2022