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Littérature française

Vies de forêt

Vallées, forêts et monts vosgiens à la lisière de la Lorraine et l'Alsace ? : Karine Miermont traverse ces lieux depuis une trentaine d'années, travaille à leur protection. Les sensations vécues dans ces espaces, les souvenirs et surtout le désir, la poussent à raconter les vies de ceux qui y habitent ? : arbres, pierres, eau, animaux, hommes et femmes ? : "? Toutes ces présences qui ouvrent des récits, des histoires ? ". Par l'observation, l'analyse, de telle source, tel arbre, pourtant familiers, l'auteure s'ouvre à l'étonnement et à la contemplation ? : autant d'états d'être qui façonnent une écriture à plusieurs vi(e)sages, qui s'interroge sur elle-même, jusqu'à se raconter elle-même, se faire récit du mot. Si l'élément naturel sature chaque page de ce récit, ce n'est pas tant pour le décrire, faire état de recherches très précises que pour en relater l'expérience sensible, existentielle, celle de l'auteure et celle qu'elle met à portée du lecteur. Sans lien chronologique entre eux, au gré des saisons, les instants vécus prennent l'allure de séquences aux touches impressionnistes, le réel visible est perçu dans sa profondeur temporelle, tel un sédiment modelé par le temps. Par la concision d'une écriture qui se déroule toujours plus, Karine Miermont interroge ce qu'elle voit et ressent. Par là elle cherche ce qui vit au-delà du visible ? : "? On pourrait ne pas s'arrêter, passer son temps à regarder et raconter ce que l'on voit, pendant des minutes, des heures, des mois, des années des siècles à dire infiniment ce qui se passe quand rien ne se passe soi-disant (...)? ". Dans cette quête du mystère pressenti, nous retrouvons peut-être un peu du lyrisme des Disciples à Saïs de Novalis. Récit rythmé de réflexions et de faits, la scansion "? dedans ? " et "? dehors ? " s'élabore aussi dans les mots, qui, comme la forêt, deviennent lieu d'apprentissage, de ramifications infinies ? : "? Les mots ces réservoirs, ces dépôts. Contiennent toujours plus que ce que nous y mettons quand nous parlons ou pensons ou lisons ou écrivons. ? " Cet au-delà inexprimable passe bien sûr par l'expression poétique qui ponctue le récit, de manière tout aussi singulière que dans son précédent ouvrage, Marabout de Roche. La solitude que nécessite le face-à-face avec la nature est loin d'habiter l'écrit, au contraire, Karine Miermont le tisse d'anecdotes, de conversations, de références livresques, d'études d'archives, mais aussi de citations proverbiales qui rendent hommage à des hommes, des femmes, des animaux. Autant de paroles, d'écrits qui nourrissent les réflexions de l'auteure sur la vie, la finitude, le temps, l'écriture. Face à la profusion des points de vue, difficile de déterminer la nature véritable du récit ? : analyse scientifique, recherche historique, essai critique, écrit poétique, la démarche est volontairement audacieuse. Portés par la ferveur d'un style lapidaire et instinctif, c'est l'éloge de la lenteur, du silence, la quête d'une totalité première qui traversent de part en part les lignes de cette oeuvre.

03/2022

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Littérature française

Michel buhler helvetiquement votre

Michel Bühler "Hélvètiquement vôtre" La chanson de Michel Bühler est à l'opposé du tout-venant, de ces insipides ritournelles que pissent en continu les robinets du showbiz et des médias asservis. De ce qu'ils n'osent même plus qualifier de "chanson" mais de "son" . De ce son dont on nourrit les ânes. Cet Helvète puise son art dans d'autres origines, entre Commune et Communale. Commune comme ces soixante-et-onze jours d'utopie qui imaginèrent une démocratie directe, hélas furtive, vite réprimée ; commune comme un chant commun, mutualisé. Communale pour l'instit' qu'il fut, pour encore cette idée de partage, de transmission... Le chant de Bühler est, sinon de combat, au moins d'engagement. A l'évidence d'utilité publique. Il n'existe pas pour franchement distraire, encore que, mais pour témoigner, instruire, à la manière d'une gazette. Pour bien le situer, il nous faut tirer de l'oubli ce terme si beau d'éducation populaire qui, en des temps pas si lointains, allait de pair avec la chanson. Avant que celle-ci, par abandon autant que par vouloir, ne devienne majoritairement outil d'abrutissement... Ca fait cinquante ans que, avec un succès fluctuant digne des montagnes suisses, il chante les gens, la marche de ce monde qui ne sait vraiment que reculer, les méfaits de la mondialisation, la lutte des peuples à disposer d'eux-mêmes. Un chant toujours remis sur le métier, tissé d'humanité, frappé au coin du bon sens. Qui plus que jamais, se heurte au silence, à l'indifférence, et vit dans le maquis où il partage le sort des siens, d'autres artistes de sa trempe, de son caractère, rebelles et insoumis au seul fait qu'ils osent chanter quand rien ne les invite à le faire encore. Ce qui frappe au premier abord chez Bühler, c'est l'évocation des gens, des petites gens. Ceux qui, justement, n'ont jamais voix au chapitre. En cela, Michel Bühler est parent des François Béranger, Anne Sylvestre, Gilles Vigneault, Michèle Bernard et autres encore, qui font large place dans leurs vers à ces vies anonymes, aux espoirs et aux souffrances des peuples, aux lieux où ils vivent. Bühler est empathie, dont le chant rend justice aux déclassés, leur rend la dignité dont on les a spolié. Dans ses vers, les gens existent. Au moins, là, ils ne sont pas invisibles. Le chant de Bühler n'est pas "moderne" au sens des canons, des dogmes du moment : programmateurs et journaleux le raillent pour ça. Mais lui comme nous s'en contrefoutent : il est sans âge et survivra aux modes dérisoires et futiles, aux chanteurs qu'on produit en batterie, hors sol, aux chansons à l'obsolescence programmée, à peine chantée déjà oubliées. Il est d'un chant puissant qui existe depuis toujours et existera longtemps encore, qui trouvera toujours les sillons, les sentiers, les maquis s'il le faut, pour exister, pour instiller une différence qui, à ben l'écouter, n'est jamais qu'une expression de bon sens. Michel Bühler est de cette tradition de colporteurs de nouvelles, de chansons, de presqu

11/2022

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Beaux arts

Kim En Joong et le cabanon de Saint-Paul

Né le 10 septembre 1940 en Corée du Sud, Kim En Joong a connu, malgré les conditions matérielles difficiles qui ont suivi l'occupation japonaise, la guerre et l'exode, une enfance relativement heureuse dans le modeste hameau de Haguan, puis dans la ville japonaise de Daejon où son père, scribe et calligraphe, avait trouvé un poste de responsabilité. Très tôt, ses dispositions pour le dessin furent remarquées, notamment dans la calligraphie, art très contraignant où il introduisait une certaine liberté d'expression ; cet attrait pour le trait et la peinture s'amplifia au fil des ans et, malgré le manque de moyens, il informa ses proches de son intention d'entrer aux Beaux-Arts de Séoul. Reçu au concours, ses années d'étudiant furent consacrées à la découverte des techniques picturales, de l'histoire de l'art et principalement de celle du monde occidental dont la richesse, la nouveauté, notamment l'univers de l'abstraction, lui apportaient chaque jour la conviction que sa voie était bien celle qu'il avait choisie. Cette passion se poursuivit pendant son long service militaire : peindre, dessiner, c'était survivre. A 25 ans, il découvrit la religion chrétienne ; cette rencontre avec le Christ allait bouleverser sa vie. Baptisé à 27 ans, il partit pour l'Europe découvrir la patrie de Monet et de Cézanne. Installé en Suisse et inscrit à l'université de Fribourg, les circonstances l'amenèrent à suivre, en parallèle, des cours de théologie ; sa vocation religieuse se précisa. En 1970, il entra dans l'ordre des Dominicains ; il prononça les paroles d'engagement définitif, en 1974. Grâce aux précieux appuis de certains de ses frères, il n'eut pas à choisir entre ses deux vocations : il exercerait à Paris, au couvent de l'Annonciation, son ministère et sa vie de peintre. Les débuts du parcours artistique furent pénibles - espace restreint, manque de moyens - et auraient pu le conduire au renoncement, mais l'espérance de la foi repoussa cette tentation. Pour que triomphe la beauté de la création, il fallait continuer à gravir ce chemin escarpé. Peu à peu, les problèmes matériels s'estompèrent ; un atelier plus vaste, des étés au cabanon de Saint-Paul à Saint-Paul de Vence, lui permirent d'élaborer de plus amples compositions. Les expositions se multiplièrent tant en France qu'à l'étranger ; d'éminents spécialistes, des critiques comme B Anthonioz, J-M Dunoyer, J-L Prat encouragèrent l'artiste ; l'amitié de Julien Green, ses commentaires, ajoutèrent à la notoriété naissante. L'aventure des vitraux, de la cathédrale d'Evry en 1999 à la basilique Saint-Julien à Brioude en 2009, lui apporta le regard d'un plus large public : en France, en Irlande, en Autriche, les pierres s'enflammèrent au passage de l'artiste. Par ailleurs, depuis quelques années, une infatigable curiosité conduit le père Kim à s'intéresser avec bonheur à la céramique. De nombreux projets, de nouveaux chantiers s'annoncent : avec force et humilité, Kim En Joong poursuit en silence sa quête inlassable de la Beauté, reflet d'une autre Présence.

02/2013

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Critique littéraire

Oeuvres complètes. Livre sur la vie de Julius Agricola ; De la Germanie ; Dialogue des orateurs ; Les Histoires ; Les Annales

Né en Gaule narbonnaise, Tacite a vécu entre la seconde moitié du Ier siècle après J.-C. et le début du IIe. Une période sombre au cours de laquelle se succèdent à la tête de l'Empire romain des souverains fous et sanguinaires (Tibère, Caligula, Néron...) et des empereurs plus respectueux de la morale et du peuple (Vespasien, Titus et Domitien). Le génie de Tacite tient à ce qu'il est à la fois un historien qui s'appuie sur des informations vérifiées, écartant les deux écueils majeurs qui menacent la véracité des faits : la flatterie du pouvoir en place et la haine de ce dernier, un portraitiste admirable de précision et de vitalité, un moraliste au patriotisme intransigeant qui dénonce les turpitudes des empereurs comme de la plèbe, un écrivain au style étincelant qu'admiraient Racine et de Gaulle, un conteur inouï dont les évocations font resurgir la Rome antique souvent mieux que le cinéma ne l'a fait depuis lors. Tacite s'est mis tardivement à la composition littéraire, consacrant son talent à l'art oratoire dans lequel il était considéré comme un maître de premier ordre. La pitié filiale et l'admiration que lui a inspirées son beau-père lui dictent l'oraison funèbre de ce dernier, La Vie de Julius Agricola, devenue un véritable manifeste politique contre le pouvoir. Une décennie plus tard, Tacite revient dans le Dialogue des orateurs sur les problèmes de fond et de forme liés à l'exercice de l'éloquence. Ces premières œuvres, auxquelles il faut ajouter De la Germanie, ont pour trait commun de comporter une analyse riche et documentée de l'histoire contemporaine de Rome. Suivra l'élaboration de ses deux grandes sommes fondamentales, Les Histoires et Les Annales. On retrouve dans l'ensemble de ces textes les deux préoccupations majeures de Tacite : l'affaiblissement de la puissance romaine et la dégénérescence du pouvoir impérial pendant un tout Ier siècle marqué par des drames et des dérives catastrophiques ; la menace des peuples barbares dont les Romains ne se soucient guère alors qu'elle pèse de plus en plus sur leurs frontières. Tacite est un historien rigoureux dans la lignée de ses maîtres, Tite-Live et Salluste. Pour lui, l'écriture est un engagement et une forme de devoir, car la dénonciation des dysfonctionnements de l'Etat est une façon de le servir en attirant l'attention des responsables. Pour Tacite, l'historien a une fonction morale essentielle vis-à-vis de ses lecteurs. " Mon dessein, écrit-il, n'est pas de rapporter toutes les opinions, mais seulement celles qui se signalent par leur noblesse ou par une insigne bassesse : j'estime en effet que c'est la tâche principale de l'annaliste de ne pas passer sous silence les vertus et d'inspirer aux paroles et aux actions perverses la crainte de l'infamie réservée pour la postérité. " Maître de la langue latine, Tacite est aussi un styliste dont la puissance et la vigueur tiennent pour une grande part à son sens exemplaire de la concision.

02/2014

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Littérature étrangère

L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche

J'ouvris la porte de l'atelier de mon père un beau matin pour découvrir son ami l'éditeur Jacques Schiffrin un genou à terre tenant un balai dans sa main droite. Schiffrin fixait des yeux le haut de notre atelier avec un air menaçant alors que mon père fronçait les sourcils en dessinant dans un calepin. J'avais sept ans. On me pria de quitter les lieux, ce que je fis discrètement. Une heure plus tard, mon père lut un chapitre de Don Quichotte où le héros se confrontait à un mystérieux personnage. Je compris tout de suite que Schiffrin et le héros chevalier de la Manche ne faisaient qu'un et que le balai représentait une lance ! Bien plus tard, j'ai reconnu la silhouette osseuse de Schiffrin sur les plaques de cuivre. Après le déjeuner, mon père avait l'habitude de lire à haute voix le dernier chapitre du livre qu'il était en train d'illustrer. Ma mère, mes amis ou même notre plombier ou la femme de ménage restaient assis sans dire un mot jusqu'à ce que la lecture soit terminée. Après quoi, mon père riait, chantonnait ou bien songeait pendant de longues minutes en regardant les branches des arbres à travers la verrière avant de se tourner vers ceux dont il aimait connaître la réaction. J'entendais de loin leur voix jusqu'à ce que la porte claque, que le silence revienne et que mon père monte lentement dans la chambre où il gravait. Il m'en permettait l'accès à condition de ne rien dire et de rester debout à sa droite. De temps autre, il me regardait et disait : "Qu'est-ce que tu en dis ?" C'est ainsi que je découvrais les rêves qui ont inspiré mon père pour créer ses gravures. Dix ans plus tard, la Seconde Guerre mondiale éclatait. Le destin des cuivres, qui étaient entreposés à Fontenay-aux-Roses dans l'imprimerie d'Edmond Rigal, était en question. Lorsque nous traversâmes l'Espagne pour prendre un navire à Lisbonne qui nous mènerait à New York, il nous dit avec amertume : "Ah ! ma chère Espagne sera-t-elle épargnée ? Et mes cuivres le seront-ils eux aussi ?" Nous savions qu'il pensait à l'année où, après avoir reçu le contrat de son éditeur espagnol, il traversa la Mancha avec un petit rucksack sur le dos dans lequel il portait son carnet de croquis et quelques vêtements. Il revoyait sûrement le jour où il prit le même train que le roi d'Espagne qui fuyait vers la France pour échapper à la révolution qui venait d'éclater. A notre retour des Etats-Unis, en 1946, il apprit que les Rigal avaient réussi à cacher les cuivres de façon que les Allemands ne les prennent pas pour les faire fondre. "Edmond a dû les mettre dans son matelas !" dit mon père en poussant le bouchon d'une bouteille de champagne. Jusqu'à sa mort, en 1982, je n'entendis plus mentionner le nom de don Quichotte. Aujourd'hui, enfin, je suis délivrée du lourd fardeau qui m'accablait. Svetlana Rockwell Alexeïeff

10/2012

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Critique littéraire

Oeuvres complètes. Tome 3, Les Fleurs de Tarbes

Sous le signe des Fleurs de Tarbes, Paulhan désigne tantôt un seul livre, deux fois publié, en 1936 et en 1941, tantôt un projet plus général, autrement audacieux que le précédent, et qui devait être à la Critique ce que le livre de Mallarmé devait être à la Poésie. C'est de ce projet général que témoigne l'ensemble du volume. Il ne s'agit pas pour Paulhan de réintroduire la Rhétorique en France pour le meilleur et pour le pire, elle n'a l'a jamais quittée. Si Paulhan avait pu faire porter sur la Rhétorique le livre qu'il envisageait, et dont nous n'avons que les fragments, il passerait aujourd'hui pour un dadaïste, plus radical que ceux qui en portent le nom, un terroriste, et point des plus modérés, un dynamiteur de quintessence enfin. Mais le langage provoque dans l'esprit tant d'illusions qu'il vaut la peine d'y regarder de près. A moins que l'expérience ne vienne brouiller le beau jeu de la Rhétorique et de la Terreur. Car l'accès à l'expérience rouvre la possibilité du récit, bloque le discours, et relance par surprise les chances de la littérature. De quoi s'agit-il ? De tourte relation au langage. Il n'est avec le langage, croit Paulhan, que deux attitudes possibles. Ou bien nous lui faisons confiance, parce que nous estimons qu'il se prête de bonne grâce à ce que nous avons à dire ; ou bien nous nous tenons en défiance, parce que nous estimons que ce que nous avons à dire excède de toutes parts, et violemment, ses pauvres capacités d'expression. Bien loin de la philologie ou de la linguistique, la pensée du langage est condamnée à n'être qu'une nomenclature des illusions. Mais que tout homme soit dans sa vie traversé par la Rhétorique et par la Terreur - en le sachant, sans le savoir - est à ses yeux une évidence. C'est dire qu'il ne s'agit pas de prendre son parti, en faveur de l'une ou de l'autre, mais simplement - si la simplicité peut être ici de mise - d'analyser les possibilités de leur dialogue, en se fondant sur la baroquerie de leurs défenses. Car l'une et l'autre se défendent mal. Ceci n'est donc pas un livre à thèse, ou de doctrine. On y chercherait en vain une opinion qui serait celle de l'auteur, sur laquelle il aurait fait carrière, et que l'on pourrait discuter. Les livres de Paulhan sont comme le sable et comme la mer, ils se dérobent, massivement. Pourquoi nous retiennent-ils ? Parce que nous y sommes. Que nous nous y voyons. Et que nous y voyons, non pas l'idée qu'un seul homme peut se faire du monde et de l'homme et de son langage, mais l'instant décisif qui silencieusement résout les bruyantes affirmations que notre esprit ne devrait pas souffrir. Contre les affirmations obligées, il n'y a que la contradiction qui soit nécessaire ; contre la contradiction, que le silence.

06/2011

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Histoire de France

Bazeilles, la Gloire, le Sang et le Feu

Les combats de Bazeilles sont commémorés chaque année par l'arme des Troupes de Marine de l'armée française car ils symbolisent les qualités de courage, d'abnégation, de dévouement et de sacrifice qui, de tout temps, ont présidé à leur engagement. Ce fait d'armes remonte à la guerre de 1870 et se déroule les 31 août et 1er septembre, la veille de la cuisante défaite de Sedan qui va rendre captifs plus de 100 000 soldats français. Ce coup d'éclat au milieu d'heures obscures porte bien des messages. D'abord, il fait imaginer que si toutes les troupes françaises s'étaient battues avec le même sens du devoir que les Marsouins des Troupes de Marine, le désastre de Sedan n'aurait probablement pas eu lieu. Dès lors, tout devenait possible et l'issue de cette guerre devenait incertaine. L'Alsace et la Lorraine sauvées, on imagine que la Première Guerre mondiale pouvait ne pas avoir lieu. Ensuite, au-delà des appréciations de tactique, Bazeilles exprime une certaine idée du métier de soldat. Enfin, le contexte lui-même, souvent passé sous silence, donne du relief à l'aspect symbolique de cette bataille. Il n'est pas question, dans les pages qui viennent, de refaire l'Histoire. Il s'agit de compléter les récits classiques avec des témoignages et des éléments peu ou pas connus, de resituer leur contexte, et surtout, d'appréhender toute la dimension universelle de Bazeilles. Cet exercice se voudrait utile, car il est probable, comme le dit l'auteur, que chaque génération de soldats et de citoyens doit à un moment ou à un autre, faire Bazeilles. Faire Bazeilles, c'est donner tout ce que l'on a dans le coeur et les tripes. C'est donner sans compter sans pour autant être dans la démesure. C'est résister jusqu'au bout, par tous les moyens, exprimant ainsi intensément la conviction qu'il ne peut y avoir d'idée réellement défendue sans sacrifice et sans action. Au-delà du mythe, l'exemplarité de ces soldats qui vont combattre jusqu'à l'épuisement de toutes leurs ressources, jusqu'à la dernière cartouche, est un message lancé à l'ensemble des citoyens-soldats français de toutes les générations. Oui, indubitablement Bazeilles est moins une affaire de soldats que de citoyens. Que se rappelle-t-on aujourd'hui sur 1870 ? Très peu, si peu : quelques images, des murs devenus musée, quelques pages succinctes sur les derniers instants. N'est-ce pas trop peu ? Or pour comprendre les combats de Bazeilles dans leur universalité, il ne faut pas isoler les faits, mais leur donner de la couleur en expliquant leur contexte. Pour glorifier vraiment l'instant, il faut saisir le tout dans lequel il s'inclut. Pour comprendre l'héroïsme d'un jour de gloire, il faut le replacer dans les tribulations qui le précèdent et dans les fardeaux qui vont lui succéder. Les histoires isolées sont souvent des loupes floues et des trompe-l'oeil. Au-delà des armes et des cartouches, la gloire appartient à ceux qui ont tenu quand tout le monde lâchait, à ces hommes de fer tenaces.

10/2015

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Littérature française

Le bois du chapitre. Verdun, 14-18

Le titre, amphibologique, dit tout. Précisons cependant que la scène a lieu, d'abord, dans les années soixante, à Brive-la-Gaillarde, devant le monument aux morts élevé, place Thiers, à la mémoire des soldats tombés pour la Patrie durant la Première Guerre mondiale. C'est là que se tiennent les cérémonies auxquelles l'enfant assiste, sans réaliser "? ce qu'ils furent ? ", tandis que les héros, un à un, disparaissent. Le même, jeune lecteur, ouvre pourtant à la bibliothèque municipale de l'endroit les livres sur l'époque afin d'en apprendre davantage sur les circonstances et les modalités du désastre, de trouver des explications sur ce qui a eu lieu, la présence des estropiés dont le nombre impressionne, la vue fait peur. Mais c'est l'incompréhension qui s'impose. Manquent aux livres noyés de gris "? le relief, les détails, les finesses ? ". Et puis l'enfant, tout au présent, est trop jeune quand s'interpose aussi, pour que la réalité se dresse enfin devant soi, l'échelle réduite des reproductions qui est censée la représenter mais, en partie, la trahit. Puis la scène se déplace, des années plus tard, à Verdun, toponyme qui, à sa façon lui aussi jusqu'à aujourd'hui, dit tout, des autres lieux qu'à soi seul il condense, de l'épouvante et du sacrifice des jeunes soldats ; Verdun où l'auteur s'est un jour rendu, comme pour constater, vérifier, in situ, pour établir enfin le rapport. Quand un temps persistent encore une approximative représentation du théâtre des opérations, la confusion, l'indistinction de l'enfance, soudain la géographie réelle dissipe tout des premières impressions, des lectures. Si bien qu'on n'en revient pas. "? Quelques centaines de mètres carrés ont reçu des millions d'obus ? ". Et, si l'horreur est encore tapie sous l'apparence des choses, c'est pourtant "? l'absence pure et simple qui témoigne du passé, de sa persistante présence ? ". La nature, le silence semblent avoir jeté sur les lieux un voile d'oubli. Quand, à la toute fin, "? un large morceau de drap noirci ? " bosselle la terre, l'auteur comprend qu'il est de trop, qu'il est temps de clore son métonymique Bois du Chapitre. "? Une dernière chose. Quand le monde, avec nous, commence, qu'on est momentanément, miséricordieusement, sans passé ni avenir, qu'on vit au présent, comment imaginer que tout n'a pas toujours été dans l'état où nous le trouvons, merveilleux, déchirant, nécessaire, injuste, parfait. Et lorsque l'heure a fini par venir où j'aurais pu lever la tête, demander à grand-père, à l'oncle, ou même, avec respect, infini ménagement, aux pauvres monstres, aux gueules cassées, aux aegipans, ils avaient disparu de la lumière tiède, changeante, où nous passons. ? " P. B. Pierre Bergounioux, né à Brive-la-Gaillarde en 1949, est l'auteur d'une oeuvre de tout premier plan qui compte près d'une centaine de titres. Du même auteur, les éditions Fario ont publié Deux écrivains français en 2010 et, dans la collection Théodore Balmoral, François en 2019 et Russe en 2021.

02/2023

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Poésie

Sonnets de la prison de Moabit. Edition bilingue français-allemand

Les "Sonnets de la prison de Moabit" d'Albrecht Haushofer occupent une place particulière dans la poésie allemande du XXe siècle : leur auteur, avant de les écrire, n'avait composé que très peu de poèmes et était surtout connu pour ses travaux savants. Professeur d'université, géographe réputé, spécialiste de géopolitique, Haushofer, sans jamais adhérer au Parti nazi, avait occupé des fonctions officielles, notamment dans une organisation diplomatique du IIIe Reich (le "bureau Ribbentrop"). Impliqué, comme bon nombre de ses amis, dans le putsch manqué du 20 juillet 1944 (tentative d'assassinat de Hitler), il fut arrêté les jours suivants et incarcéré à la prison de Moabit, prison berlinoise tenue par les SS. C'est là qu'il composa, sur seulement cinq feuilles A4 recto-verso couvertes d'une écriture minuscule, les 80 sonnets qu'on retrouva sur lui après sa mort : il fut abattu avec quatorze autres prisonniers par un détachement de SS dans la nuit du 22 au 23 avril 1945, à la veille de l'entrée des armées soviétiques dans Berlin. Publiés en 1946, ces "Sonnets" eurent aussitôt de nombreux lecteurs et furent traduits dans de nombreuses langues européennes. Une première traduction française (la seule à ce jour) parut chez Seghers en 1954 (sous le titre "Sonnets de Moabit"). Elle n'a jamais été réimprimée. Il était grand temps de donner de ce chef d'oeuvre de la poésie allemande une nouvelle traduction : non seulement parce que le temps a passé, mais aussi parce que le texte publié en 1946 était tronqué par rapport à l'original, comportait des erreurs de lecture et ne présentait les sonnets dans l'ordre voulu par l'auteur. Ce n'est qu'en 1976 qu'une édition fiable et complète a vu le jour, en édition de poche, vendue à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires en Allemagne. Comparables en un sens aux "33 sonnets composés au secret" de Jean Cassou (1944), les "Sonnets de la prison de Moabit" ne sont pas l'oeuvre d'un "résistant" de la première heure, mais d'un homme qui fait son examen de conscience et s'accuse de ne pas s'être opposé plus tôt à un régime qu'il désapprouvait depuis longtemps, mais en silence. Haushofer n'est pas tendre pour lui-même, ni pour son père, Karl Haushofer, plus gravement compromis que lui, qui souffla à l'oreille d'Hitler la notion d' "espace vital" (avant de rompre, il est vrai, avec les nazis). Ces sonnets sont le testament d'un homme qui sait qu'il ne sortira pas vivant de sa prison : il y passe en revue les épisodes de sa vie, se remémore ses voyages, ses amitiés, ses amours, cherche à prendre exemple sur d'illustres persécutés (de Boèce à Thomas More), et se fraye un chemin vers la sérénité en s'inspirant surtout des sagesses orientales. Ce sont les circonstances qui ont fait éclore en Haushofer le poète. Ces 80 sonnets suffisent pour lui assurer une place dans la poésie du XXe siècle.

01/2019

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Ecrits sur l'art

Etre Deux ou Les Bandes magiques

Tout a commencé avec une étrange petite boîte noire reçue par Fred Deux en cadeau, un magnétophone. C'est ce qu'il confie dans la première cassette des enregistrements du récit de son existence, inextricablement liée à celle de Cécile Reims, enregistrements de plus de deux cents heures réalisés au long de trois décennies ? : "? Me voilà en 62, 63, 64. J'ai un magnétophone sur une table et je laisse sortir de moi une mèche enflammée qui s'enroule sur des bobines. ? " Muriel Denis, dans Etre Deux, recueille et ravive cette mèche enflammée, en racontant l'histoire de ce couple d'artiste qui inventa, dit-elle avec justesse, une manière "? d'être seul à deux ? ". Les chemins de Fred Deux (1924-2015), dessinateur, écrivain, et de Cécile Reims (1927-2020), graveuse buriniste, se croisent en 1951, pour ne plus se séparer. Tous deux avaient pris part à la résistance à l'occupation nazie, lui au sein des Francs-tireurs partisans, elle au sein de l'Organisation juive de combat, alors que sa famille avait été décimée suite à la rafle du Vélodrome d'Hiver. Leur vie ensemble sera, comme le dit Fred Deux, "? tout à la fois affolante de sérénité et de calme, lyrique-délirante ? ", s'aimant, se soutenant, travaillant seuls, travaillant ensemble. Muriel Denis raconte leur histoire avec une fidélité et une inventivité passionnées ? : "? Les cassettes de Fred sont un monument de la littérature orale et une porte d'entrée fabuleuse autour de la représentation d'un couple au travail et au quotidien. D'écouter les cassettes à travers ce prisme permet de découvrir que le plus beau chef-d'oeuvre de ces bandes, c'est peut-être ce qui a trait au couple de Fred et Cécile. L'énergie, les angoisse, les blessures, le soutien mutuel, l'extraordinaire communication et le besoin de silence parfois, même et surtout dans la répétition des jours. ? " C'est en allumant la radio par une nuit d'été que Muriel Denis fait leur rencontre, est happée par leurs histoires croisées et envoûtantes ? : "? Une nuit de juillet 2019 à la radio, un homme me parle. Je ne sais pas qui c'est. C'est fabuleux. Le lendemain, je retourne voir. Il s'agit d'une improvisation de Fred Deux. Je vais découvrir le site des bandes magiques, et je m'attache à cette autobiographie sonore enregistrée sur des cassettes. [... ] Je ne deviens pas insomniaque, je deviens chouette ? : en veille, attentive, alerte ? : toutes les nuits pendant un an, j'écoute ces cassettes. ? " Dans sa "? nuit éveillée ? ", Muriel Denis se met alors à écrire ce qui deviendra Etre Deux, mêlant sa propre voix à la voix de Fred Deux. De la somme impossible des "? bandes magiques ? ", des fragments et des phrases reprennent vie dans la solitude peuplée de l'écrivaine. Comme celle-ci, en exergue du livre, qui fait signe vers la survivance de l'histoire de "? deux personnes profondément séparées et intensément unies ? ", l'histoire qu'on va découvrir ? : "? Nous existerons. Les choses sans nous existeront. Vous serez éblouis. Vous verrez. ? "

06/2023

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TRAVAUX SUR LA MEMOIRE

Les absents. Robert Créange, partisan de la mémoire

Le 16 août 1942, deux enfants cachés sur le bord de la route voient disparaitre leurs parents dans une voiture allemande. Robert et Françoise, alors âgés respectivement de 11 et 13 ans, attendront en vain leur retour. La sociologue Claire Lévy-Vroelant recueille le récit de vie de Robert Créange, grande figure d'un engagement politique et pour la mémoire de la déportation. Le 16 août 1942, non loin de la ligne de démarcation, deux enfants cachés sur le bord de la route voient disparaitre leurs parents dans une voiture allemande. Robert et Françoise Créange, alors âgés respectivement de 11 et 13 ans, attendront en vain leur retour. Comment survivre à des questions qui n'obtiendront jamais de réponse ? Comment mener sa vie quand elle est précocement chargée d'un tel héritage ? Comment dire, comment raconter ? Et pourquoi, pour qui le faire ? Françoise Créange a déposé son témoignage au Mémorial de la Shoah en 1997, elle a accompagné son frère aux commémorations et aux cérémonies où il officiait, elle a relu ses discours sans pour autant développer son goût pour le souvenir. Robert, lui, en a fait sa raison de vivre. Il a fini par accepter, trois quarts de siècle plus tard, de raconter sa vie à une sociologue obstinée. La sociologue se trouve être une lointaine parente de la famille Créange-Salomon. Cousine éloignée, d'une génération plus jeune mais nourrie des mêmes images, mêmes clichés, mêmes plaisanteries et mêmes silences face à un passé indicible. Une première intrigue se noue ici, dans la construction progressive, entre les deux protagonistes, d'un espace de paroles singulier. Parole courtisée, livrée dans le trouble et dans les pleurs, déclamée ou murmurée, qui se cherche sans toujours se trouver, parole traçante, glaçante, hilare, pudique, mutine, suivant le fil des souvenirs perdus et retrouvés et reconstitués. Car la mémoire n'en finit pas de travailler et, si comme Robert Créange, nous acceptons ses ruses et ses revirements, ses tyrannies et ses délices, c'est que nous continuons d'être vivants. Né en 1931 et décédé en décembre 2021, Robert Créange s'est décidé à entreprendre ce travail de mémoire avec Claire Lévy-Vroelant seulement en 2015, après un long temps d'hésitation. Pour parler de l'enfant meurtri, de l'adolescent délinquant, du soldat révolté d'être envoyé en Allemagne pour son service militaire peu après la guerre, de l'instituteur anticolonialiste qui choisit le Niger, du jeune militant dévoué corps et âme au parti communiste, du cadre du comité d'entreprise de Renault-Billancourt, du secrétaire général de la fédération nationale des déportés internés résistants et patriotes (FNDIRP), de l'initiateur, avec quelques autres, de la Fondation des amis de la mémoire de la déportation, du pédagogue infatigable sur les lieux des crimes, l'histoire de sa vie pourrait suivre le cours d'un long fleuve sinon tranquille du moins apaisé. Mais le récit parfois s'emballe, ou bute sur une énigme et les questions douloureuses resurgissent. Pourquoi le passeur a-t-il vendu les parents et pas les enfants ? Malgré les recherches après la guerre, il ne sera jamais retrouvé. Le souvenir du passage de la ligne de démarcation en août 1942 se brouille au point qu'une nouvelle version se fait jour. Nouveaux souvenirs, nouvelle intrigue. Pourquoi le grand-père, arrêté et interné à Drancy, n'a-t-il pas été déporté ? Le récit élude ou trébuche sur des dates, des noms, des scènes mais la liste des élèves de la classe de sixième du lycée Claude-Bernard, à la rentrée de septembre 1941, est restée gravée, indélébile. Une enfance bourgeoise, protégée, une pratique religieuse fort modeste qui n'exclut ni l'engagement socialiste et franc-maçon du père, ni son " sionisme pour les autres ", la montée des persécutions, la décision de quitter Paris... L'homme public qui aime jouer avec un humour de potache, qui maîtrise parfaitement la présentation de soi et l'art oratoire en privé comme en public, est pris de court lorsqu'il se trouve en situation de tête à tête. En allant au plus profond des choses, son récit tangue. Comment dire, raconter avec une extrême précision quand les souvenirs les plus lointains se transforment au fur et à mesure de leur mise en mots. L'épreuve est alors d'accepter que la mémoire puisse divaguer hors des sentiers battus et des images convenues : le témoignage change le témoin et celui qui l'écoute, silences compris. Le récit se déroule selon un ordre chronologique mais chaque " chapitre " peut aussi se lire comme un fragment insulaire, intelligible en soi et pourtant relié aux autres. Récit en archipel d'une vie singulière, bouleversée comme tant d'autres, s'attachant aux traces, aux indices, aux petits signes. Le récit de la vie de Robert Créange est constellé d'anecdotes, relatées non sans saveur et sans humour mais il énonce dans un même élan une édification et une déconstruction de soi. Le maître mot de cette histoire, c'est la fidélité sans faille à un engagement tôt contracté. Ce récit peut aussi se lire comme une invitation à questionner sa propre histoire, ce qui lui donne sens et consistance

02/2023

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Littérature étrangère

La confession de la lionne

"En 2008, l'entreprise dans laquelle je travaille dépêcha dans le nord du pays quinze jeunes hommes pour servir d'agents environnementaux. Les attaques de lions contre les personnes débutèrent à la même époque dans la même région. En quelques semaines, le nombre d'attaques fatales atteignit plus d'une dizaine et passa à vingt en quatre mois environ. Nos jeunes collègues travaillaient dans la brousse, ils dormaient dans des tentes et circulaient à pied entre les villages. Ils constituaient une proie facile pour les félins. Il était urgent d'envoyer des chasseurs pour les protéger. Cette urgence s'ajoutait bien sûr au besoin de protection des paysans de la région. Des chasseurs expérimentés furent engagés. Entre-temps, le nombre de victimes était passé à vingt-six. Les chasseurs subirent deux mois de frustration et de terreur, accourant à des appels au secours quotidiens, jusqu'à ce qu'ils réussissent à tuer les lions assassins. Mais il leur était en permanence suggéré que les véritables coupables étaient les habitants du monde invisible, là où le fusil et la balle perdent toute efficacité. Peu à peu, les chasseurs comprirent que les mystères qu'ils affrontaient n'étaient que les symptômes de conflits sociaux qui dépassaient largement leur capacité de réponse. J'ai vécu cette situation de très près. Mes fréquentes visites sur le théâtre du drame m'ont suggéré l'histoire que je rapporte ici, inspirée de faits et de personnages réels." Mia Couto nous raconte donc l'histoire d'un chasseur de lions mangeurs d'hommes. Lorsque le chasseur, Arcanjo Baleiro, arrive à Kulumani, il se trouve pris dans des relations complexes et énigmatiques où se mêlent faits, légendes et mythes. Une jeune femme du village, Mariamar, en désaccord permanent avec tous, a sa théorie sur l'origine et la nature des attaques des bêtes. Sa soeur, Silência, en a été la dernière victime. L'aventure est racontée par ces deux voix, le chasseur et la jeune fille, au fil des pages on découvre qu'ils se sont déjà rencontrés auparavant, lorsque Mariamar était adolescente. La rencontre avec les bêtes sauvages amène tous les personnages à se confronter avec eux-mêmes, avec leurs fantasmes et leurs fautes. La crise met à nu les contradictions de la communauté, les rapports de pouvoir, tout autant que la force, parfois libératrice, parfois oppressive, de leurs traditions et de leurs mythes. Clair, rapide, déconcertant, Mia Couto montre à travers ses personnages forts et complexes la domination impitoyable sur les femmes, la misère des hommes, la dureté de la pénurie et des paysages. Un grand roman dans la lignée de L'Accordeur de silences.

01/2015

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Sciences historiques

L'Abandon d'enfants. L'exemple des Côtes-du-Nord au XIXe siècle

Si les statistiques placent les Côtes-du-Nord parmi les départements français les moins confrontés au phénomène de l'abandon, il a néanmoins beaucoup préoccupé les autorités qui n'eurent de cesse, pendant tout le siècle. de vouloir l'éradiquer coûte que coûte. S'intéresser à l'abandon des enfants, c'est s'intéresser à la fois à l'histoire de l'enfance et à l'histoire des femmes, particulièrement les femmes seules, mais aussi, plus généralement, à l'histoire de la vie rurale dans un département fortement imprégné de catholicisme. Filles-mères rejetées, enfants abandonnés stigmatisés, la société toute entière est concernée par l'abandon. C'est aussi s'intéresser à la transition entre philanthropie et encadrement du service de l'assistance par l'Etal qui, sous la HP République, triomphe avec la création de l'Assistance publique. Les limites chronologiques de cette étude se sont imposées au regard de la législation en vigueur concernant l'Assistance Publique, véritablement créée par le décret impérial du 19 janvier 1811 et qui prévoit l'anonymat de l'abandon. Décrié rapidement en raison de l'augmentation des expositions qu'il suscite, modifié à moult reprises, ce texte reste néanmoins en vigueur pendant tout le siècle, marquant profondément de son empreinte l'histoire des enfants abandonnés. II sera relégué par la loi du 27 juin 1904. Les séries et Il du dépôt des archives départementales des Côtes-d'Armor constituent le socle de cette recherche, permettant une plongée passionnante dans la vie des enfants abandonnés et de leurs mères, aux conditions de vie misérables. La richesse des sources permet, non seulement de suivre ces dernières à des moments-clefs de leur vie comme celui de l'abandon, mais également (le brosser, à grands traits, leur quotidien avant et après l'abandon. Elle permet de surcroît (le mettre en lumière le rôle inducteur de la société catholique de l'époque, intransigeante, qui juge et condamne toutes celles qui mettent au monde tin enfant hors-mariage. Les sources abondent pour autant sur le parcours des enfants abandonnés, depuis leur arrivée à l'hospice jusqu'au moment où ils sont gagés. Même si tous ne peuvent être suivis individuellement, il est possible cependant de dépeindre assez précisément les grandes lignes de leurs premières années de vie. Souffrances, chagrins, humiliations, silences imposés surgissent alors sans surprise des sources, mais aussi sursauts de révolte, insubordinations et désertions. Plus rares, quelques moments de malice et de joie viennent égayer le tout, sur fonds de misère générale.

03/2011

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Science-fiction

Les Maitres de l'orage - Tome 3 : Partie 1. La Voix de l'Egrégore - Partie 1 : L'Appel

La première partie de l'apothéose de la trilogie Les Maîtres de l'orage enfin en numérique ! La Voix de l'Egrégore est l'apothéose très attendue de la trilogie Les Maîtres de l'orage. Son histoire couvre en parallèle la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 2012 à 2014. La légende ancienne des princes de l'île, frères ennemis et mortels, devient un leitmotiv obsédant. L'île révèle ses secrets, sombres et fascinants, qui remontent à la nuit des temps. Plus que jamais, les jeunes héros se trouvent confrontés à de terrifiants périls et à des choix impossibles. Au coeur de ces immenses dangers, Marwen découvre la vérité sur l'Elu ainsi que l'identité de son Manac'h. L'Ile Verte, source d'énergies naturelles et de forces mythiques, devient le centre du monde, le lieu de la bataille ultime entre le Bien et le Mal qui décidera du sort de l'humanité. Dans la première partie de du dernier opus de la saga mêlant histoire et fantastique, découvrez le dénouement d'une intrigue haletante qui vous tiendra en haleine jusqu'à la dernière page ! EXTRAIT Le service avait été morne et traditionnel. Arnaud ne pouvait s'empêcher de penser que s'il n'avait jamais trouvé les lettres de sa grand-mère quand elle était adolescente, il aurait sans doute été à peine touché par ce deuil. Il aurait aussi sans doute trouvé cette messe sans âme adaptée à la vieille dame rigide et de bonne famille que Claire de Tréharec avait paru être. Mais derrière cette façade froide, il y avait eu Anne, une âme passionnée, honnête et courageuse. L'âme d'une fille qui avait osé se mettre en face de ses défauts et les avaient combattus et dépassés. Qu'était-il arrivé à Anne, la rebelle ? Quel était son lien avec la femme apparemment dure que sa grand-mère était devenue ? Mais la vie était mal faite car toutes ces interrogations devraient rester sans réponse. Arnaud avait cru, après son été sur l'Ile Verte, qu'à son retour à Paris il pourrait poser toutes les questions qui le hantaient à propos de l'île, de ses secrets, de Marwen, Gaël, James... Que leur était-il arrivé ensuite ? La guerre était loin d'être terminée quand sa grand-mère avait écrit une dernière lettre si belle à son amie juive assassinée par les nazis. La lettre qu'il avait réussi à lui réciter juste avant qu'elle ne meure. Cette pensée lui fit chaud au coeur car elle savait qu'il l'avait lue et savait tout. Cette lettre si importante, ils avaient réussi à la partager, par-delà le temps, malgré tout ce qui les avaient séparés et le silence terrible dans lequel était emprisonnée Claire. A PROPOS DE L'AUTEUR Véronique David-Martin est d'origine bretonne mais vit en Grande-Bretagne depuis une trentaine d'années. Docteure en littérature comparée, lectrice vorace depuis sa plus tendre enfance, elle se nourrit d'histoires, de mythes universels et de légendes celtiques, ainsi que de récits de famille sur la Seconde Guerre mondiale, intérêts qui l'ont évidemment inspirée dans l'écriture des Maîtres de l'orage.

05/2019

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Philosophie

Philosophie N° 148, janvier 2021 : Reiner Schurmann interprète de Heidegger et penseur de l'histoire

Ce numéro thématique est consacré à Reiner Schürmann, phénoménologue qui, dans Le principe d'anarchie et Des hégémonies brisées, a prolongé et interrogé la pensée du second Heidegger pour tenter de repenser l'historicité de la pensée occidentale et le statut postmétaphysique de l'Ereignis. Il s'ouvre sur la traduction, par Bruce Bégout, de l'article de Schürmann intitulé ""Que dois-je faire" à la fin de la métaphysique ? ", qui pose la question de l'agir dans sa relation avec le problème du statut et du destin des "principes époquaux" qui régissent l'être et l'action. La question "que dois-je faire ? " sonne le glas d'une certaine normativité principielle dont il s'agit alors, sous le nom d'anarchie, de mesurer le possible ainsi ouvert. Dans "Reiner Schürmann, phénoménologue des ultimes", Vincent Giraud introduit à sa pensée au fil conducteur du phénomène et du mot d'ordre "sauver les phénomènes". Si ce qui se montre est originairement un singulier, que les différents "fantasmes hégémoniques" réduisent à un cas particulier de leur loi, retrouver les phénomènes se fera par une épopée du singulier qui nous établit dans la "condition tragique", fond de notre rapport à l'apparaître. Dans "Fin de partie. Philosophie de l'histoire et clôture de la métaphysique chez Reiner Schürmann", Bruce Bégout interroge la notion d'époque dans sa philosophie, montrant que sa critique de la philosophie de l'histoire procède d'une conception de l'histoire comme dépérissement des hégémonies, à laquelle se soustrait l'ultime époque. Il met en question le paradigme ontologique du contingent, fondement anarchique de la philosophie tragique. Dans "La recherche des origines : entre anamnèse et oubli. Heidegger relu par Schürmann", Servanne Jollivet en expose la lecture de Heidegger à partir des textes tardifs, qui en radicalise le geste et en montre l'ambivalence : en l'inscrivant dans l'histoire des hégémonies, il remonte de l'interrogation sur les origines à l'origine première, repensée de manière non fondamentale comme "violence originaire". Dans "L'absent, vois-le comme fermement présent", Thomas Aït Kaci s'attache au problème de l'effacement de la figure hégélienne dans Des hégémonies brisées. Que dans son opiniâtre combat mené contre la dialectique, du commencement à la fin et de Parménide à Heidegger, Schürmann ne rencontre pas à un moment ou à un autre son adversaire hégélien, surprend. Quel est le sens philosophique d'une telle absence, concertée et déconcertante ? Dans "Des langues brisées. Silence et origine dans la pensée de Reiner Schürmann", Vincent Blanchet comprend l'ensemble de son oeuvre à la lumière de la méditation de la langue qui la traverse jusqu'à son accomplissement dans Des hégémonies brisées ; il s'agit par là d'interroger la possibilité, pour la parole, de demeurer fidèle aux conditions dernières de l'expérience. Enfin, dans "La source", Emmanuel Cattin s'attache à la question de ce que Schürmann nomme "l'origine", en lien essentiel à "l'expérience originaire avec le langage". Dans l'héritage de l'Ereignis de Heidegger, Schürmann n'aura cessé de méditer le sens de la source de tout apparaître, et le mode de séjour accordé à celle-ci, "l'errance". Entre le Maître Eckhart de 1972 et Des hégémonies brisées de 1996, la joie errante aura disparu pour céder devant le regard tragique. D P.

01/2021

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Non classé

La Porte ou la parenthèse de l’éternité

Silence, espoir, mot bleu ... soleil, voici quelques mots cueillis à l'entrée et à la conclusion de cette anthologie. Il faut les approcher et s'en servir comme des clés, des passages, des poteaux indicateurs de l'oeuvre poétique de Claudine Helft . Il y a dans les lames profondes de sa poésie, les feux de la mélancolie. Question de route, homme, condamné au voyage / vers un mieux sans port où culbute le rien. Il y a aussi des poèmes qui comme des croquis racontent des histoires comme un ange de passage près des fenêtres. Claudine Helft est un poète orpailleur qui au fil de ses milliers de vers écrits depuis l'âge de raison cherche l'or sauvage / du rêve. Je considère son art d'écrire comme un Nerval retrouvé dont le lyrisme est mesuré et compté. Je suis la question sans réponse / où s'archive une phrase échouée /sur l'éternité sans rivage. Cet art met en abîme les différents visages et facettes de l'écriture du poète. Il cherche l'autre. Du côté d'Arthur Rimbaud (Je est un autre), du côté de Gérard de Nerval (Je est autre). Mais c'est toujours Nerval qui me vient à l'esprit en lisant Helft. Car sa poésie est offrande à l'amant au carrefour des infinis, de Dieu aperçu aux confins des mondes... . C'est toujours contre le gris du lavoir que je me heurte/ lors même que l'eau est claire, et contre le vent /que j'avance, quand même le ciel est sans nuage. La quête de l'amour et de l'amant, ce dieu présent distille les parfums d'une haute mélancolie. La signification de cette oeuvre que je médite serait oser l'amour et ne pas mourir. Le poète a le sens des formules. Certains de ces vers ont des allures prophétiques. Les chiens ne contrôleront plus leurs rires perdus /La terre perdra son sexe, la parole sa nuance /L'absolu demeure l'ivresse de l'homme /Bonheur, le geste d'un fou qui tente la foi et éclaire sémaphoriquement les tensions internes du poème. Il y a aux portes des ténèbres la clarté du chant. Claudine Helft est habitée par le doute. Sa poésie se place à ses frontières. Le poème Un chant d'hiver placé au commencement du livre me paraît être celui qui résume toutes les forces telluriques et oniriques de cette anthologie. Il y a dans son écriture concise tous les thèmes chers au poète : la mélancolie, la solitude, la perte de l'amour et sa constante recherche, l'absolu et ses frontières, le divin, les pouvoirs de la rencontre, le feu des images, le dialogue avec le ciel, la lumière des mots, l'espoir questionné, Dieu... Ce chant d'hiver rend un discret hommage à Charles Baudelaire avec ce Sonnet d'horloge déracinant l'espace que fomente le temps. Le poète questionne les mots, les brumes, les cieux et le passage du temps et sa poésie ainsi défait l'éternité. La mort, autre thème intimement mêlé à l'amour et à la vie s'invite en arrière-plan au frémissement du poème. Et cette alliance a toujours ce parfum tenace de fleurs et d'orages. Eurydice demande à Orphée de voir encore plus loin... . (extrait "Avant lire") - Luc Vidal

01/2016

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Critique littéraire

Correspondance 1925-1944. "Nos relations sont étranges"

"Parlerons-nous politique ? " demande Drieu à Paulhan, un jour de 1936, après dix années de promesses non tenues et de vagues reproches. Le dialogue sera vain, peut-être, mais il est sincère, bien que l'écart se creuse, jusqu'en 1943, entre le conseiller municipal du Front populaire et le thuriféraire de Doriot, entre le patriote qui en appelle à "l'espoir" et au "silence" en juin 1940 et le fasciste qui rêve de créer à Vichy un parti unique, entre l'ancien et nouveau directeur de La NRF imposé par Otto Abe,. Leur dialogue est même remarquablement direct : "Nos relations sont étranges, écrit Drieu à Paulhan le 12 décembre 1942. j'ai pour vous une véritable dilection qui m'est venue assez tard, à l'usage, an peu avant 1939, et en même temps je pense que nous sommes ennemis et que nous nous combattons." Ces 169 lettres échangées le montrent : Paulhan n'a jamais rompu intellectuellement avec Drieu, tentant de comprendre sa logique singulière. Paulhan ria jamais rompu avec La NRF, non plus : après avoir refusé la codirection de la revue avec Drieu, à l'automne 1940, c'est lui qui fixe, en sous-main, les règles de cette cohabitation forcée, conscient que cette "anti-NRF" permet à la maison d'édition de Gaston Gallimard de perdurer sous l'Occupation." Je crois que ma raison (personnelle) de ne pas écrire dans la nef demeure valable, précise pourtant Paulhan en juin 1941 : je ne puis qu'être solidaire de ceux de nos collaborateurs que j'y avais invités et que l'on renvoie. Entre Paulhan et Drieu la Rochelle, peut-on parler d'une amitié ? Y outil autre chose que les relations complexes entre un éditeur et un écrivain, les conseils avisés d'un directeur de revue à son successeur, et enfin leurs paradoxales discussions politiques ? Malraux l'affirmera : "Pour Drieu, Paulhan n'était pas un résistant, pour Paulhan, Drieu n'était pas un collaborateur". Est-ce pour cela que, sans poser de questions, Drieu intervint auprès des autorités allemandes en mai 1941 pour faire libérer Paulhan, arrêté avec d'autres membres du réseau du Musée de l'Homme ? Est-ce pour cela que Paulhan a toujours gardé le contact, et plus encore, avec le directeur collaborationniste de La NRF ? Si Drieu incarne la mauvaise conscience du milieu intellectuel, Paulhan ne voit cependant pas en lui le traître par excellence. De fait, la question de le fidélité est au coeur de cette correspondance (et ce n'est pas un hasard si elle s'ouvre sur la douloureuse rupture entre Drieu et Aragon, dont Paulhan est l'arbitre à son corps défendant) : fidélité à l'amitié, fidélité à soi-même et à ses convictions politiques, fidélité à la France, à la revue... Pour Jean Paulhan, comme pour André Malraux ou Emmanuel Berl, Pierre Drieu la Rochelle a certes failli gravement - en particulier lors de ses dernières années — mais il ne s'est pas trahi. Il aurait mémo été "loyal" jusqu'à sa mort par suicide, le 16 mars 1945. Paulhan ne signifiait déjà rien d'autre à Gide, trois ans plus tôt : "Drieu est à mon égard, en tout ceci, gentil et loyal. (Note autres directeurs de revues, sommes corrects en de tels cas). "Il peine semble-t-il, de temps d autre, m'adresser quelque reproche secret." (15 mars 1942).

12/2017

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Poésie

Douleur

Holan est né à Prague en 1905. Il a connu la fondation de la Tchécoslovaquie, l'occupation hitlérienne, la libération par l'Armée rouge, le régime soviétique. Il renonce alors à l'idéologie communiste et se retire du monde pour se consacrer à l'écriture. Après une interdiction de publication pendant près de vingt ans, l'horizon s'ouvre à partir de 1964 : Une nuit avec Hamlet est traduit dans une dizaine de langues et publié chez Gallimard (préfacé par Aragon), il reçoit le Grand Prix d'Etat, il est même pressenti pour le prix Nobel. Mais ces appels du monde ne suffisent pas à rompre sa solitude et il meurt en ermite en 1980. Cet "enfoncement en lui-même" est pleinement voulu : Holan est le poète de l'espace intérieur. Il est comme "le gardien de la maximalité du coeur" (Dominique Grandmont) : "Un tel amour / que tu n'as pas assez du monde, ne serait-ce que pour un pas". ("Il y a"). A la conscience, il préfère l'intuition. Au vivre, l'être. Aux mots, "un poème si simple et si limpide (...) qu'il ne puisse qu'être invisible" ("Témérité"). C'est là cette "dette" envers lui que se reconnaît Bouvier, qui signe la préface du présent recueil : "Cette impossibilité à dire absolument la création, cette marche nocturne et tâtonnante vers un point d'eau que la fugacité, la précarité mais aussi la lourdeur de la condition humaine nous interdisent à tout jamais d'atteindre, est sans doute le plus grand cadeau qu'un vivant puisse faire à son semblable". Douleur et Une nuit avec Hamlet sont les deux grandes oeuvres de Holan, découvertes par les lecteurs francophones surtout grâce au traducteur Dominique Grandmont, lui-même poète, et qui disait de lui : "Sa parole n'était que la partie émergée de son silence, son brasier intérieur". Dans sa préface à Une nuit avec Hamlet, Aragon lui rend à son tour un vibrant hommage : "Il est le plus haut des arbres de la forêt tchèque, celui qui est le plus près de l'orage, et ses yeux reflètent naturellement les éclairs" . Car cette oeuvre réputée sombre est pourtant fulgurante et souvent tout simplement lumineuse. Et surtout, empreinte d'un amour (complexe) de la poésie dont Holan fait, pour ainsi dire, son manifeste : "... car la poésie ne consent à nous parler qu'à une condition, à la seule mais inexorable condition de l'aimer. Je ne dis pas cela dans le vide : On ne peut rien faire sans amour. Sans amour, on ne peut même pas mourir". (Sur la poésie, 1940). Avec notre recueil Douleur, publié pour la première fois en 1967 par Pierre Jean Oswald et réédité chez Metropolis en 1994 grâce à l'intervention de Nicolas Bouvier, c'est une poésie de la sobriété, qui ne cède pas au moindre artifice, qui ne se veut même pas littéraire : "C'est ce qui n'est que poésie qui tue la poésie" ("Et de nouveau"). Une poésie qui ne demande qu'à s'invisibiliser pour rejoindre le monde, dans son impression la plus brute, la moins médiatisée possible. Cette disparition, ce tremblement de légèreté, pour reprendre les mots de Nicolas Bouvier, Holan en fait l'acte poétique par excellence. Que la forme poétique de ses textes ne fait que préparer, et dont ils ne donnent, comme par une infinie humilité qui n'est rien de moins que leur titre de noblesse, pas plus que le titre : "Même le poème le plus long du monde / n'en reste qu'au titre et la fin manque" ("L'automne à Vsenory").

03/2024

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Histoire ancienne

Le discours ethnographique à Byzance. Continuité et rupture

Ce livre a pour sujet l'étude de l’ethnographie en tant que genre littéraire à Byzance, c’est-à-dire les descriptions byzantines des peuples étrangers. Ce n’est pas une étude de la population byzantine selon les méthodes de la discipline ethnographique moderne, ce qui serait impossible, compte tenu de la nature des sources. L’ouvrage considère l’ethnographie comme un genre, pour souligner qu’il s’agit d’un produit littéraire avec une structure et un contenu plus ou moins stable, malgré le fait que ses formes et ses objectifs varient d’un auteur à l’autre. Les sujets habituellement traités par ce type d’ethnographie sont les suivants : l’origine mythique ou historique, la densité de peuplement, les caractéristiques somatiques, la guerre, les vêtements, les conditions de vie (y compris les repas et l’hébergement), la structure sociale et l’organisation politique, la pratique religieuse, les relations entre les sexes et le mariage, et, bien sûr, la géographie. Données chronologiques et enjeux Choisissant pour limites chronologiques la période médio-byzantine, entre les conquêtes arabes du VIIe siècle et la colonisation de la mer Egée par les puissances occidentales après le XIIIe siècle, l’ouvrage accorde cependant une grande attention aux historiens de l’Antiquité tardive, car ils ont fourni à leurs successeurs de modèles solides pour l’écriture ethnographique. Pourquoi l’ethnographie de la période médiobyzantine est-elle particulièrement problématique ? Cette période a été marquée par de grandes transformations historiques. L’émergence des peuples comme les Arabes, les Slaves, les Bulgares, les Hongrois, les Scandinaves, les Turcs et d’autres encore, a changé la carte politique, culturelle et ethnique de ce qui restait du monde ancien. Les Byzantins étaient au cœur de ces transformations, au milieu de cette carte, en luttant pour leur propre survie, en dirigeant les événements, comme ils pouvaient, dans leur propre intérêt, en conduisant la diplomatie et en entreprenant des guerres contre de nombreux nouveaux ennemis. Les ambassadeurs et les espions byzantins voyageaient partout, de l’Espagne aux steppes au Nord de Bagdad, collectant des informations utilesà Constantinople. Ils avaient incontestablement des informations abondantes et parfois un point de vue global sur les transformations géopolitiques et ethniques en cours. Par ailleurs, les intellectuels byzantins avaient un accès direct aux textes anciens qui fournissaient des modèles pour parler de cette sorte de développements historiques, notamment l’ancienne tradition historiographique. Les Byzantins ont imité cette tradition avec beaucoup de succès quand ils écrivaient l’histoire de leur propre société, l’Empire romain orthodoxe gouverné par Constantinople. Ainsi, les Byzantins de la période médiobyzantine avaient les connaissances, les moyens, et même le besoin de poursuivre l’ancienne tradition ethnographique et de nous transmettre tant de renseignements sur les Arabes, les Slaves, les Bulgares, les Petchenègues, et sur d’autres peuples qu’ils connaissaient si bien, trop bien de leur point de vue. Et pourtant ils ne l’ont pas fait. Ils en savaient plus que ce qu’ils nous disent. La question est alors de savoir pourquoi les textes médiobyzantins évitent de suivre à cet égard les traces de leurs anciens modèles. Leurs auteurs avaient appris à imiter ces modèles pratiquement dans tous leurs autres aspects ; alors pourquoi ne les ont-ils pas suivis dans l’ethnographie ? Ce silence est pourtant fort éloquent : il permet d’interroger les mentalités sous-jacentes des Byzantins, de comprendre leurs idéologies, leurs conceptions, à la fois sur ces parties du monde qu’ils évitaient de décrire et sur leur place à l’intérieur de celui-ci.

06/2013

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Littérature étrangère

Au bord des fleuves qui vont

Un homme est hospitalisé à Lisbonne : dans ses viscères, une bogue ne cesse de grossir en silence, que le médecin appelle cancer. La douleur, l'opération, les traitements le plongent dans un état second. Remontent alors à la surface des souvenirs enfouis depuis toujours, qui se bousculent et s'entremêlent. Furieux contre cette mort "terrible et comique" qui se moque de lui dans l'obscurité, humilié par sa déchéance physique, "monsieur Antunes du lit numéro onze" divague dans les méandres de sa mémoire et c'est alors tout le monde de son enfance qui se rappelle à lui, avec ses sons, ses odeurs, ses visages.... Tandis que médecins et infirmières défilent à son chevet, passé et présent se télescopent, et le voilà emporté, en compagnie de défunts décidément pleins de vie, vers la source du Mondego dans la montagne sauvage, couverte de pins et d'eucalyptus. Sur ses contreforts, il revisite le bourg et la maison de ses grands-parents, la mine de wolfram et l'hôtel des Anglais... Alors que le mal "aboie dans son ventre", ce passé ravivé est comme un garde-corps, le seul peut-être à pouvoir l'empêcher de tomber dans "le ravin" qui s'ouvre au bord de son lit d'hôpital. Le livre, d'une brièveté assez rare chez Lobo Antunes, comprend quatorze chapitres, chacun portant comme titre une date allant du 21 mars au 4 avril 2007, autant de jours que le narrateur aura passés à l'hôpital. António Lobo Antunes ne se contente pas de passer d'un monde à l'autre, il amalgame passé et présent, au moment même où le narrateur semble promis à ne plus avoir d'avenir. Pour cela, il entrelace avec sa virtuosité coutumière les couches de temps, il livre mille et un récits, grimpe à toutes les branches des arbres généalogiques, invente une parentèle fournie, avec amis, voisins, vicaire et évêque, pharmacien et notaire, tout un monde peuplé de spectres hauts en couleurs. Son écriture tantôt heurtée, tantôt fluide, est comme toujours extrêmement sensorielle. On entend sans cesse des échos, des rumeurs (comme celles qui proviennent de l'album de photos de famille), le cri des milans, des corneilles, des corbeaux, les trains qui passent au fond de la vigne, le glas qui sonne, les châtaigniers qui discourent toute la nuit sur "la façon qu'a la terre de nous mépriser", on sent le parfum des eucalyptus qui "épellent le vent autour de l'hôtel", des landes de bruyère... Cette liberté et ce voisinage de l'émotion déchirante et des saillies comiques, formidablement ajustées, sont un des grands plaisirs que l'on ressent en lisant Lobo Antunes. Car il s'est évidemment refusé à tirer parti de la maladie dont il a bel et bien souffert pour se laisser dicter un changement de registre : les dates en tête de chapitres semblent là pour se moquer de ce qu'aurait pu être le journal pathétique d'un cancéreux à l'article de la mort. Lobo Antunes, avec son style bouillonnant, foisonnant et indomptable, a mis le mal qui l'avait atteint au service d'une nouvelle exploration de la vie, une remontée vers la source de l'existence, vers les mystères et la "joie perdue" de l'enfance.

02/2015

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Sciences historiques

Une histoire des sens

Parmi les historiens français d'aujourd'hui, Alain Corbin est l'un des rares qui soit reconnu internationalement comme un "maître", ayant réussi à créer autour de lui et à partir de son oeuvre mieux qu'une "spécialité" de plus (les sensibilités), une nouvelle manière de faire de l'histoire. Corbin est, par excellence, l'historien des sens, l'historien des émotions, l'historien des corps. Il réussit ce tour de force de nous faire comprendre le plus intime grâce à une lecture sans préjugé des documents d'époque. Et ce corps-là, c'est déjà le nôtre. Ce volume offre un échantillon remarquable des trois grandes manières qu'a l'auteur d'aborder ses terres familières. Le Miasme et la jonquille fut en son temps (1982) - et demeure - un manifeste pour une histoire du sensible. Il s'agissait de prouver tout à la fois que : faire l'histoire d'un sens (ici l'odorat, ou, pour être précis, de la "sensibilité olfactive") était un projet tout aussi noble que de faire l'histoire de Napoléon ou de la révolution industrielle ; cette histoire était possible, grâce à une lecture intelligente des documents à notre portée, depuis les règlements municipaux jusqu'aux poèmes romantiques. On retrouve cette méthode dans plusieurs des principaux livres qui ont suivi, comme Les Cloches de la terre (sur la sensibilité auditive de la "France profonde", déjà moderne mais encore rurale) ou Le Territoire du vide, où il reconstitue ce moment étonnant où l'homme moderne (anglais, d'abord) a inventé la mer comme loisir, autrement dit le "balnéaire", invention contemporaine de celle de la montagne. Le Village des "cannibales" (1990) est une de ces monographies villageoises qui nous plaisent tant (ici la petite commune de Hautefaye, dans le nord de la Dordogne), mais saisie dans un moment de paroxysme. Une journée de folie collective, au coeur de l'été 1870 où, sous l'effet de l'entrée en guerre et des premiers désastres, une foule réunie pour une foire traditionnelle se transforme en collège de bourreaux. Le supplicié (les détails sont atroces) est un jeune aristocrate, supposé républicain mais surtout, par cela même, "prussien". Cette étude - toujours d'actualité - est d'autant plus fascinante pour le lecteur que, par ailleurs, le même explorateur des émotions sait comme aucun autre reconstituer ici l'histoire de La Douceur de l'ombre (L'arbre, source d'émotions, de l'Antiquité à nos jours, 2013), là de L'Harmonie des plaisirs, autrement dit des manières de jouir, du siècle des Lumières à l'avènement de la sexologie (2007). Autre exploration : celle du Monde retrouvé de Louis-François Pinagot (1998) où Corbin s'est lancé sur les traces d'un inconnu. Un sabotier analphabète de la région natale de l'auteur, qui vécut 78 ans au XIXe siècle sans laisser aucune trace directe mais dont l'historien réussit à reconstituer l'univers, matériel aussi bien que mental, avec la même finesse que celle qu'on réservait jusque là aux "grands hommes". Un véritable tour de force et un ouvrage unique en son genre : plus de 300 pages sur "un homme sans qualité". Projet a priori infaisable et pourtant mené à bien. En complément, on a sélectionné un ensemble de courts textes qui permettent d'éclairer la démarche de l'auteur, les uns plus programmatiques ("Invitation à une histoire du silence"), les autres partant d'une étude de cas pour creuser l'intime ("Ecriture de soi sur ordonnance", ou l'histoire des pollutions nocturnes de M X, patient d'un professeur de faculté).

01/2016

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Récits de voyage

Sur les chemins noirs

2014. "L'année avait été rude. Je m'étais cassé la gueule d'un toit où je faisais le pitre. J'étais tombé du rebord de la nuit, m'étais écrasé sur la Terre. Il avait suffit de huit mètres pour me briser les côtes, les vertèbres, le crâne. J'étais tombé sur un tas d'os. Je regretterais longtemps cette chute parce que je disposais jusqu'alors d'une machine physique qui m'autorisait à vivre en surchauffe. Pour moi, une noble existence ressemblait aux écrans de contrôle des camions sibériens : tous les voyants d'alerte sont au rouge mais la machine taille sa route. La grande santé ? Elle menait au désastre, j'avais pris cinquante ans en dix mètres. A l'hôpital, tout m'avait souri. Le système de santé français a ceci de merveilleux qu'il ne vous place jamais devant vos responsabilités. On ne m'avait rien reproché, on m'avait sauvé. La médecine de fine pointe, la sollicitude des infirmières, l'amour de mes proches, la lecture de Villon-le-punk, tout cela m'avait soigné. Un arbre par la fenêtre m'avait insufflé sa joie vibrante et quatre mois plus tard j'étais dehors, bancal, le corps en peine, avec le sang d'un autre dans les veines, le crâne enfoncé, le ventre paralysé, les poumons cicatrisés, la colonne cloutée de vis et le visage difforme. La vie allait moins swinguer. Il fallait à présent me montrer fidèle au serment de mes nuits de pitié. Corseté dans un lit étroit, je m'étais dit à voix presque haute : "si je m'en sors, je traverse la France à pied". Je m'étais vu sur les chemins de pierre ! Je voulais m'en aller par les chemins cachés, flanqués de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés. Il existait encore une géographie de traverse pour peu que l'on lise les cartes, que l'on accepte le détour et force les passages. Loin des routes, il existait une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l'aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie. Des motifs pour courir la campagne, j'aurais pu en aligner des dizaines. Me seriner par exemple que j'avais passé vingt ans à courir le monde entre Oulan- Bator et Valparaiso et qu'il était absurde de connaître Samarcande alors qu'il y avait l'Indre- et-Loire. Mais la vraie raison de cette fuite à travers champs, je la tenais serrée sous la forme d'un papier froissé, au fond de mon sac..." Avec cette traversée à pied de la France réalisée entre août et novembre 2015, Sylvain Tesson part à la rencontre d'un pays sauvage, bizarre et méconnu. C'est aussi l'occasion d'une reconquête intérieure après le terrible accident qui a failli lui coûter la vie en août 2014. Le voici donc en route, par les petits chemins que plus personne n'emprunte, en route vers ces vastes territoires non connectés, qui ont miraculeusement échappé aux assauts de l'urbanisme et de la technologie, mais qui apparaissent sous sa plume habités par une vie ardente, turbulente et fascinante.

10/2016

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Théâtre

Les Cenci

Si l’on tente de reconstituer l’état d’esprit d’Artaud avant et pendant la mise en oeuvre des Cenci, il faut se débarrasser de deux images : de celle du poète foudroyé, abruti par les électrochocs qu’on lui administrera pendant la guerre à Rodez ; de celle du rêveur inconscient qui se croit en mesure de réinventer le théâtre et qui subit, lors de la représentation de sa pièce aux Folies-Wagram, en mai 1935, un échec cuisant et définitif. Un retour en arrière s’impose : en 1934, Artaud est tout sauf un perdant. Librement inspirés de Shelley et de Stendhal, Les Cenci ne sont pas une pièce psychologique. Les personnages n’intéressent Artaud que dans la mesure où ils sont les supports de forces qui les dépassent, reconnaissables néanmoins comme nos semblables par quelques traits d’humanité commune. Ce qui frappe dans l’aventure de Béatrice Cenci est la démesure qui peut facilement basculer du tragique dans le grand-guignol : drame de viol et d’inceste mâtiné de touches politiques et antireligieuses, où le vieux Cenci règle ses comptes à la fois avec Dieu, le pape, ses pairs, sa famille et lui-même. Le crime est suivi d’une vengeance. Les Cenci, tels que la pièce a été reçue par Artaud de Shelley et de Stendhal et telle qu’il l’a récrite, est à la fois un drame romantique avec son héros du mal, sorte de Faust luciférien ; une pièce d’intrigue avec son complot, ses séides, ses comparses et ses coups de théâtre ; un mélodrame où viendrait pleurer Margot ; une oeuvre sentimentale où s’exhale la plainte des enfants et de la belle-mère contre la méchanceté du père et du mari. Artaud concevait cet ensemble comme un compromis équilibré entre des tensions conciliables : « J’ai essayé de faire parler, non des hommes, mais des êtres ; des êtres qui sont chacun comme de grandes forces qui s’incarnent et à qui il reste de l’homme juste ce qu’il faut pour les rendre plausibles au point de vue de la psychologie ». Aujourd’hui l’on dira que Les Cenci ne sont pas une oeuvre à percevoir comme un spectacle à voir et à entendre, avec les yeux de l’esprit et les oreilles de l’imagination, dans toutes ses dimensions non écrites et relevant de la seule initiative du metteur en scène-maître d’oeuvre : tension des silences, rythme des violences, bruitage et broyage des mots, musique des lumières et des mouvements, métamorphose des affects en gestes symboliques ; en somme, interpénétration constante et imprévisible de tous les possibles d’un spectacle, cette interpénétration étant sensible, à la lecture, par le nombre et l’importance des indications scéniques.

07/2011

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Littérature française

Chambres de verdure

Ce roman se déroule à la toute fin du XVIIème siècle et conte l'histoire d'une jeune femme qui, pour densifier ses jours, choisit de quêter quelque épanouissement dans la création. Pour y parvenir, elle va faire oeuvre de chair (avoir une descendance), oeuvre d'esprit (écrire) et oeuvre de pierre : participer à la conception du jardin de Cordès, attribué à André Le Nôtre. Les épreuves qu'elle rencontrera pour inventer son Eden perdu chahuteront sa solitude et lui révèleront quelques perles d'existence : la musique qui sculpte les silences, la confiance amoureuse, l'attachement à des racines et le chemin des mots pour mieux habiter le monde. Les romans historiques sont des jardins où le lecteur arpente des paysages en découvrant des plans successifs. Ainsi, chambre de verdure nous parachute dans le Grand Siècle. Les familiers de Madame de La Fayette ou de la Marquise de Sévigné ne seront pas tout à fait dépaysés dans le coin enchanté d'Auvergne qui fournit les extérieurs de cette charmante histoire. Elle est servie par un style alerte et vivant, qui use astucieusement de l'imparfait. Cette écriture à deux plumes est aussi savoureuse qu'originale. Dans la lignée des romans réalistes et sentimentaux, et avec un sens inné de la poésie, Véronique Riffault et Allen-François Lederlin évoquent les paradis de l'enfance, les mystères mélodieux de la viole de gambe. Pudeur des confidences chuchotées sur le papier. Ce roman se rapproche souvent de l'épistolaire et du journal, pour mieux nous introduire dans l'intimité des psychologies, le secret des sentiments. Témoins privilégiés des états d'âme de Bérénice, les lecteurs deviennent donc peu à peu ses confidents. C'est une jeune marquise qui, à l'âge de 33 ans, décide de convoler en justes noces avec Yves-Louis de Tourzel, marquis d'Allègre et futur maréchal de France. Au fil de l'intrigue, on découvre comment cette héroïne décide de justifier son existence en créant le jardin de Cordès dans le domaine familial de son époux. Ce jardin devient un personnage à part entière : car "l'homme ne peut vivre sans cultiver des fleurs, et à son image, façonner une parcelle du vaste monde. Sa terre promise" . La genèse de cet éden miniaturisé coïncide avec une évolution historique dans l'art végétal : tandis que le siècle se déroule vers le pittoresque des jardins à l'anglaise, le jardin de Bérénice, témoin du "goût partagé" mais façonné à la française, à la manière de Le Nôtre ressuscite la querelle des Anciens et des Modernes, parmis les fleurs, dans le décor d'une campagne de l'Auvergne. Ce terroir, la "vieille maîtresse" de son mari, Bérénice l'appréhende, ça ressemble si peu aux mondanités versaillaises. Pourtant elle finit par l'accepter et même par l'aimer, jusqu'à se vouer à une véritable quête esthétique : les paysages, les parfums, les couleurs de cette région sont comme un kaléidoscope de la doulce France.

01/2004

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Pléiades

Oeuvres complètes

En 1662 paraît La Princesse de Montpensier. Des copies de l'ouvrage circulent depuis quelque temps déjà. La nouvelle "court le monde", déplore l'auteur ; "mais par bonheur ce n'est pas sous mon nom". En 1669, on dresse le portrait d'"Hypéride", alias Marie Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de Lafayette : "Elle écrit parfaitement bien, et n'a nul empressement de montrer ses ouvrages". Quand paraît, l'année suivante, le premier volume de Zayde, il est attribué à Segrais. En 1678, première édition, anonyme, de La Princesse de Clèves. Des rumeurs suggèrent que Mme de Lafayette pourrait en être l'auteur. Elle se dit flattée, mais dément. Il reste que, chaque fois, le succès est au rendez-vous. En témoignent les nombreuses contrefaçons, traductions et adaptations de ces ouvres qui fleurissent dès le XVIIe siècle. C'est naturellement La Princesse de Clèves qui suscite le débat le plus véhément. Mme de Clèves a-t-elle eu raison d'avouer au prince son mari qu'elle était amoureuse de M de Nemours ? Le Mercure organise une enquête publique sur ce point. Le genre de l'ouvrage est mis en question. Roman d'imagination, roman historique, roman galant ? La querelle fait rage entre les Anciens et les Modernes. Le livre inaugure un nouveau genre. Jugé invraisemblable, il donne lieu à une véritable entreprise de réécriture, que motivent l'étonnement suscité par le récit, les silences que l'on y perçoit, l'insatisfaction quant au sort de l'héroïne. Sans doute ne lit-on plus l'ouvre de Mme de Lafayette comme on le faisait au XVIIe siècle ; c'est d'ailleurs ce qui garantit sa survie. Nous voyons dans La Princesse de Clèves un roman de la passion et de la destinée, un chef-d'oeuvre de l'analyse psychologique, un sommet de la langue française, le livre d'une femme, l'acte de naissance du roman moderne. Mais il ne faut pas s'y tromper. Le rayonnement quasi mythique du livre tient à sa double appartenance : à son temps, au nôtre. La présente édition - qui rassemble tous les ouvrages attribuables (ou attribués) à celle qui n'en signa aucun - ne néglige aucune de ces deux dimensions. Les nombreux documents annexés aux ouvres éclairent leurs sources historiques et les conditions de leur réception ; les textes eux-mêmes, nouvellement établis, sont accompagnés, pour la première fois, des éclaircissements linguistiques désormais indispensables à une lecture exacte et sensible. Aux oeuvres s'ajoute la correspondance intégrale, qui montre que Mme de Lafayette ne doit pas être ramenée aux clichés que l'histoire littéraire nous a transmis sur son compte. "Elle a cent bras. Elle atteint partout", disait d'elle une amie chère, la marquise de Sévigné. Les lettres révèlent une femme d'influence, une femme d'affaires et d'intrigues, "persuadée que l'amour est une chose incommode", à la fois fascinée par la passion et aspirant à la paix intérieure, en un balancement qui est au cour de son oeuvre.

04/2014

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Littérature française

Le sens de l'orientation

Ferdinand est chirurgien du coeur. Il aime la moto, le foot et la montagne. Eléonore, sa femme, le quitte. Pour une histoire professionnelle, un juge le poursuit. Dans un Paris imaginaire, au café l'Etoile du Nord, il rencontre Paola, solaire, providentielle, énigmatique. S'il est parfaitement concentré sur son activité de chirurgien, il est désorienté dans sa vie amoureuse. Il consulte plusieurs fois par semaine Valentin, médecin des âmes. Valentin, quant à lui, dilue ses émotions dans le jeu. S'étant fait interdire en France, il ira assouvir ses pulsions destructrices dans les salles de jeu de Belgique puis à Monte Carlo où il vérifiera qu'il n'y a pas pour lui de martingale heureuse. Ayant reçu une convocation au Tribunal de Bobigny, Ferdinand suit les conseils de Jules, son avocat, et répond aux questions du policier qui s'interroge sur les liens entre l'industrie médicale et son métier de chirurgien. Quels gestes, quels risques, quelles responsabilités, quels financements ? Ferdinand partage son goût pour la montagne avec Pascal, son ami du Massif des aiguilles rouges. Il leur arrive d'affronter des situations délicates parfois liées à la distraction de l'un ou de l'autre. Au-delà des sommets, le rêve de Ferdinand est de trouver un refuge hors de la maison, une chambre avec vue sur les toits pour jouir de la solitude, quitter cette pesanteur, cette plainte continuelle. Paola lui présente Samir, un jeune couturier dont elle montre les créations et organise des défilés. Mystérieuse et séductrice, Ferdinand va bientôt succomber à son charme de sorcière. Jules et Ferdinand partent en Italie pour un procès qui lui est intenté à la suite d'une opération qui a mal fini. Tout se passait bien mais la patiente n'a pas survécu. Erreur médicale ? Négligence post opératoires ? Telles sont les questions des juges. Ferdinand rentre à Paris, retrouver Paola qui a promis de l'attendre à Orly. Mais elle n'y est pas. Elle ne viendra pas, Ferdinand comprendra plus tard qu'elle a rejoint Valentin. S'il avait eu le sens de l'orientation, Ferdinand aurait remarqué certains signes annonciateurs de ce qu'il prendra pour une trahison : certains silences de Valentin, mais surtout, le vol balancé des mésanges de la volière de Valentin à la terrasse de Paola, et de la terrasse à la volière. Le destin de Ferdinand semble alors se tracer dans la neige : il fera l'expérience de l'impesanteur. Comme T E Lawrence sur sa moto, au début du récit qui glissera sur une route sinueuse de la campagne anglaise, Ferdinand disparaît en montagne sans que l'on sache qui, du désir de s'évanouir ou du hasard - ou de la conjonction des deux, va marquer son sort. Le Sens de l'orientation est le roman d'un chirurgien qui applique à la démarche romanesque l'extrême précision que requiert sa profession.

01/2015

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Littérature étrangère

Une fille facile

"Quand tu prononces un mot comme celui-ci, tu ne peux plus faire marche arrière. Fais comme s'il ne s'était rien passé. C'est plus simple comme ça. Plus simple pour toi". Emma a dix-huit ans, c'est la plus jolie fille du lycée. En plus d'être belle, elle est pleine d'espoir en l'avenir. Cette nuit-là, il y a une fête, et tous les regards sont braqués sur elle. Le lendemain matin, ses parents la retrouvent inanimée devant la maison. Elle ne se souvient de rien. Tous les autres sont au courant. Les photographies prises au cours de la soirée circulent sur les réseaux sociaux, dévoilant en détail ce qu'Emma a subi. Les réactions haineuses ne se font pas attendre ; les gens refusent parfois de voir ce qu'ils ont sous les yeux. La vie d'Emma est brisée ? Certains diront qu'elle l'a bien cherché. " Un roman essentiel, à mettre entre toutes les mains. " The Guardian" Un livre foudroyant, éclairant et incontournable sur la culture du viol. " Elle " Courageux et incroyablement bien mené. " Irish Times" Aussi fascinant qu'essentiel. " New York Times Extrait : "- Emma. (Elle se racle la gorge et reprend plus fermement.) Emma. J'ai surpris deux élèves de troisième en train de regarder des photos indécentes sur Facebook. Les os de mon squelette se déplacent, se resserrent comme une cage autour de mon coeur, en exprimant tout l'air que j'ai dans les poumons. - Est-ce que vous voyez de quoi je parle ? poursuit-elle. Tous les murs s'effondrent. Tombent en miettes. (Chair rose. Jambes écartées de force.) Mon corps ne m'appartient plus. Ils ont gravé leur nom partout dessus. Emma la Salope. - Oui. Ce mot est comme une limace sur ma langue, épais et baveux. - Est-ce que vous comprenez pourquoi je m'inquiète ? J'ignore pourquoi elle ne se contente pas de m'annoncer que je suis virée, que je devrai aller dans l'une de ces boîtes privées en ville pour passer mon diplôme, et que je ne pourrai sans doute pas rester là-bas non plus, parce qu'il y aura quelqu'un qui a une amie d'amie de Ballinatoom, et elle enverra le lien vers la page, cette page, avec toutes ces photos et tous ces commentaires, toujours plus nombreux à chaque seconde qui s'écoule. C'est comme un incendie de forêt, hors de contrôle, qui m'embrase sur son passage. Ne les lis pas. Ne les lis pas. (Certaines personnes méritent qu'on leur pisse dessus.) Dans le nouveau lycée, il y aura les mêmes chuuut quand j'entrerai dans une pièce, les mêmes rangées d'yeux rivés sur moi, les mêmes silences qui se creuseront quand je passerai devant une table, les mêmes éclats de rire quand je partirai. Cette pensée me donne envie de m'allonger, m'endormir et ne plus jamais me réveiller".

05/2018

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Romans de terroir

La maîtresse des forges

Anna, une institutrice de 23 ans, est mutée en octobre 1911 en vallée d'Aspe, aux Forges d'Abel, un hameau reculé des Pyrénées proche de la frontière espagnole. Elle découvre le pueblo, un village misérable en planches, où s'entassent les ouvriers espagnols et leur famille, venus de l'Aragon voisin, pour travailler durement sur le chantier du tunnel ferroviaire du Somport reliant France et Espagne. Anna est logée dans un confortable meublé au Bois où habitent les dirigeants de l'entreprise. Les débuts sont difficiles. Elle est affectée par la perte d'une de ses boucles d'oreille (héritées de sa mère),par la misogynie de son collègue instituteur et par l'indiscipline d'une élève aragonaise, Amparo. Elle s'inquiète aussi du silence de son amie Diane partie en Louisiane qui lui rappelle l'absence de son frère aîné, émigré au Mexique, dont elle n'a plus de nouvelles depuis de nombreuses années. Loin de se laisser aller, la maîtresse se bat pour l'instruction des filles et obtient du directeur de l'entreprise, l'ouverture de cours du soir destinés aux Espagnoles. Elle fait connaissance de ses voisins et se lie d'amitié avec Louise, malheureuse avec Auguste, un conducteur de travaux autoritaire. Au cours d'un repas en leur compagnie, elle rencontre un ingénieur qui ne la remarque pas, Etienne, dont elle tombe amoureuse. Lors d'un combat de coqs auquel Anna assiste clandestinement, sa boucle réapparaît et fait l'objet d'un pari. Bouleversée, elle croisefortuitement Etienne qui tente en vain de retrouver son bijou. Elle découvre le monde de la nuit, les frasques et les beuveries des ouvriers comme celles des dirigeants. Le grand bal de la Saint-Sylvestre lui ouvre enfin le coeur d'Etienne mais leur amour reste platonique.Dès janvier, les cours du soir accueillent une dizaine de femmes dont Inma, Sole et deux prostituées duPoisson rouge, un cabaret tenu par Rose, la maîtresse d'Auguste. Au printemps, une lettre apprend à la jeune femme que Diane vit finalement à Mexico et travaille à l'Alliance française. Anna songe à la rejoindre, après la visite de l'inspecteur qui, manipulé par l'instituteur, désavoue la maîtresse, l'accusant de faire l'apologie de l'alcoolisme. A ces événements, s'ajoute le retard pris par la jonction entre l'équipe française et espagnole qui éloigne Etienne d'Anna. Pendant l'été, un accident grave survient au tunnel : on retire les corps sans vie des pères d'Inma et d'Amparo et du mari de Sole. Miguel, le frère aîné d'Imna, prend en otage Auguste qu'il considère responsable ; le mineur est abattu par un soldat sous les yeux de sa soeur et d'Anna impuissantes. Inma quitte la vallée et l'institutrice s'occupe de Sole, enceinte, relogée au Bois. Pour calmer les ouvriers, Auguste est envoyé sur un autre chantier. Pendant l'absence d'Anna, la fille de Louise accouche secrètement en même temps que Sole, d'un petit garçon qui décède aussitôt. Louiserévèle à l'institutrice, avant de mourir, qu'elle a échangé les enfants : le bébé de Sole est celui de sa fille dont elle ne voulait pas. Le gros oeuvre s'achève en octobre : une fête célèbre la jonction en présence d'Etienne mais la jeune femme reste tiraillée entre son désir de partir au Mexique et celui d'épouser l'ingénieur qui lui a fait sa demande. Promu à un bel avenir en Argentine, il est envoyé entre-temps sur un chantier en Ariège et ne peut fêter Noël avec Anna. La jeune femme décide de rompre et propose à Sole de partir avec elle à Mexico. Après les adieux émouvants du pueblo, la maîtresse quitte les Forges et embarque à Saint-Nazaire. Sur le pont, elle se remémore son séjour puis tourne résolument le regard vers l'Amérique. Un coursier lui remet un paquet contenant sa dormeuse. Anna découvre Etienne sur le pont inférieur.

11/2017

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Manga

Pack Boy's Love n° 34. Avec 5 mangas

Ce pack manga contient : Landlord and Prince (162 pages - Volume : One Shot) : Le propriétaire d'un petit immeuble est bien embêté.Noboru (sans emploi), le gigolo d'une des locataires qui s'est enfuie sans payer ses loyers, a décidé de s'installer dans cet appartement à présent vacant. Voyant qu'il n'a même pas de quoi se nourrir, le maître des lieux décide de lui donner à manger, ce qui lui attire les faveurs du jeune squatteur. Aussi étrange que cela puisse paraître, il n'a pas détesté le baiser que ce dernier lui a donné en guise de remerciements, et il est même allé jusqu'à prendre sa défense alors qu'il était accusé à tort par une voisine. S'il fait tout cela, c'est uniquement car il n'aime pas s'attirer des ennuis inutilement... mais alors, quel est donc ce sentiment ? The bitch cat can't stand curiosity (180 pages - Volume : One Shot) : "Le sexe, c'est du plaisir, mais aussi du profit ! "Kyôsuke, KYO de son nom de scène, est un mannequin à succès qui n'a aucun scrupule à coucher avec ses supérieurs pour obtenir des offres de travail. Un jour, il se fait surprendre en plein acte par un inconnu, et lui propose son corps en échange de son silence, bien décidé à ne plus le revoir ensuite , mais Fujishima, le bel inconnu, a l'air d'avoir une autre idée en tête...Les deux hommes entament une relation physique qui exaspère Kyôsuke tout autant qu'elle le satisfait, mais lorsqu'il est engagé pour un travail et qu'il y retrouve l'homme qui a brisé sa vie, tous ses soucis passent subitement au second plan... Entre problèmes de coeur et vie professionnelle compliquée, Kyôsuke n'a pas fini d'en voir de toutes les couleurs ! Let's pray with the priest (176 pages - Volume : 3 / 6) : Yûji, cadet d'une famille de moines et idole du quartier commerçant, sort en réalité avec Saburô-kun, le troisième fils du marchand de Tofu. Alors que nos deux tourtereaux ne sont toujours pas passés à l'acte, l'association des jeunes du quartier organise son traditionnel voyage. Les choses risquent de très vite s'enflammer à l'auberge ! D'un autre côté, Yocchan et Kenji, le frère de Yûji, en sont restés à leur seul et unique baiser. Comment vont évoluer les choses pour ce couple hors du commun ! ? Greatest Common Denominator (192 pages - Volume : One Shot) : Si ça continue, je serai puceau toute ma vie ! Tacchan est intelligent, il est bon en sport, il est beau, il est classe, et c'est mon petit ami. Hier, quand je suis allé chez lui, on a dîné ensemble, on a pris un bain, et on a fait l'amour... Mais je n'ai pas pu m'empêcher de vouloir le faire au moins trois fois, et maintenant, Tacchan est en colère contre moi ! Mais moi, si on ne le fait pas au moins trois fois, je ne suis pas satisfait !! Après Flower And Bunny, retrouvez Chiaki Kashima dans un nouveau manga drôle et attendrissant ! The Falcon hides his love (178 pages - Volume : One Shot) : D'un côté, Takumi, look effrayant, fort en bagarre, respecté par ses cadets, mais en fait sensible au point de pleurer à la moindre occasion , de l'autre, Natsuki, le "protecteur" attitré de Takumi, toujours là pour l'empêcher de se jeter dans les ennuis.Les deux garçons sont amis d'enfance, et Natsuki est amoureux de Takumi depuis qu'il lui est venu en aide lorsqu'ils étaient petits. Il n'a bien sûr pas l'intention de lui révéler ses sentiments, mais par un étrange concours de circonstances, il se retrouve à voler le premier baiser de Takumi ! Et lorsque l'innocent Takumi, au courant de ses sentiments, lui demande en public de sortir avec lui, son étonnement ne connaît plus de bornes...!

12/2015

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Littérature française

Ceux de la glèbe. Une nouvelle de Camille Lemonnier

Et l'homme parti, elle traînait son ventre dans la maison encore vide d'enfant. C'était la première fois qu'elle sentait remuer en elle la semence d'amour. Ils s'étaient mariés au dernier Saint-André, lui, grand, fort, râblé, le front doux, le geste bourru, le coeur vaillant, toujours à la peine ; elle, petite femme mamelue et saine, largement plantée sur ses pieds. La noce avait duré deux jours, l'un qu'on avait passé chez les parents de Tys, l'autre chez les parents de Ka. Et enfin la troisième nuit, ils avaient couché dans leur maison, deux chambres en bas, le long de la route, et un grenier sous le toit. Puis, le lendemain, un lundi, Tys avait noué dans un drap de serge quatre pains de deux livres ; il avait embrassé sa conjointe sur les joues et dans le cou ; debout sur le seuil, elle l'avait suivi des yeux, marchant à grandes enjambées dans la campagne. Le samedi soir, ensuite, comme elle regardait au loin, une main sur les yeux, elle avait aperçu, par delà les dernières maisons, son homme qui allait à pas rapides ; et un nuage montait droit derrière lui, dans le soleil bas à l'horizon. Et il était resté dans la chaleur de son giron deux nuits et un jour ; et de nouveau, ensuite, il avait tassé ses quatre pains dans le drap de serge ; et il avait marché vers la ville. Il en avait été ainsi de chaque semaine, pendant des mois. Du lundi au jeudi, la fumée de sa pipe cessait d'obscurcir le plafond ; elle regardait dans ses habits pendus au crochet l'homme qu'il y avait laissé en partant ; et en même temps, dolente, les mains sur les genoux, elle le sentait bouger dans son flanc, vivant à travers l'enfant. D'abord cette existence avait pesé lourdement sur Ka ; le vide des longues après-midi, dans le silence des chambres, lui élargissait un trou au coeur, vaste comme les puits ; et tout au fond, toujours une forme vague s'y mouvait comme un mort qui, ressuscité, travaillerait en sa fosse. Même la nuit, en des songes bourrelés, elle distinguait deux mains qui fouillaient la terre, à des profondeurs immenses ; et tout à coup ces mains se levaient avec un geste de détresse, et une montagne croulait ensuite, sous laquelle elle cessait d'apercevoir les mains. Alors elle se réveillait en sursaut, froide de sueur, et jusqu'au matin priait à genoux devant la petite Vierge dont l'image décorait le manteau de l'âtre. Et la journée du lendemain passait sans qu'elle osât mettre le pied dehors, de peur de tomber sur quelqu'un qui, venu de la ville, lui annoncerait son malheur. Les autres femmes lui faisaient envie : elles avaient des hommes, celles-là, qui tout l'an demeuraient dans la maison ; au contraire, le sien gagnait durement son pain en creusant des puits ; de pleines journées, il restait sous la terre, bâtissant ses cuvelages, descendant toujours plus avant, emplissant des seaux qui ensuite remontaient, balancés dans le vide au-dessus de lui ; les épaules mortifiées par les eaux du sous-sol, ayant quelquefois de la boue jusqu'aux reins, avec les parois toutes droites du puits qui, en haut, semblait se rétrécir pour se fermer sur sa tête, il apercevait du ciel seulement une petite tache grise où par moment un visage se penchait et lui parlait ; et sorti des ténèbres, ses douze heures finies, il ne savait pas tout de suite se refaire les yeux à la lumière de la rue.

02/2023