À mon père, qui me faisait l’honneur, enfant, d’être le premier lecteur de ses romans.
PRÉFACE
Se réapproprier les outils numériques
RARES SONT LES LIVRES qui offrent une vue synoptique d’une époque historique. Et la nôtre peut sans contredit être qualifiée d’ère numérique. L’ordinateur, l’Internet, les médias sociaux, les téléphones intelligents, tout cela appartient maintenant à la structure intime de la vie quotidienne, et ce, à un point tel qu’un monde sans connexion semble tout bonnement inconcevable. Au premier étage de la pyramide de Maslow se trouve aujourd’hui le Wi-Fi.
Au-delà de ce constat un peu trivial, une multitude d’ouvrages, d’articles scientifiques, de blogues, de reportages et d’opinions circulent sur les enjeux, les promesses et les risques du monde numérique. Certains courants exaltent les potentialités de l’intelligence artificielle, de l’économie collaborative, de l’Internet des objets et de diverses innovations technologiques, alors que d’autres nous mettent en garde contre la centralisation des données dans les mains des grandes compagnies, la surveillance de masse, le caractère corrosif de la «société en réseaux» sur notre cerveau et les relations sociales. Face à ce clivage entre techno-optimistes et techno-sceptiques, il y a l’opinion creuse et à vrai dire franchement dangereuse selon laquelle Internet serait un simple outil, un instrument neutre, ni bon ni mauvais en soi, qu’il faut apprendre à utiliser pour son usage privé. C’est la principale bêtise incrustée dans le sens commun de notre époque que ce livre s’attache à démolir.
Pour nous sortir de ce relativisme moral, lequel est basé sur une conception individualiste et anhistorique des nouvelles technologies numériques, Philippe de Grosbois nous rappelle une idée à la fois simple et profonde: Internet n’est pas seulement ou même d’abord un outil technique, c’est aussi et avant tout un rapport social. Cela signifie que les machines informatiques, les logiciels et les plateformes qui structurent les interactions entre individus sont en fait des constructions sociales, historiques et politiques, c’est-à-dire des créations humaines et collectives, marquées par un devenir et des relations de pouvoir.
Ainsi, le téléphone que l’on prend dans notre poche pour communiquer avec nos amis apparaît comme un objet banal à portée de main, c’est-à-dire un appareil que l’on peut manipuler à notre guise pour satisfaire nos préférences personnelles. En réalité, cet objet physique est aussi un rapport social qui nous met en relation avec une infrastructure matérielle complexe (câbles, fermes de serveurs, antennes et autres dispositifs contrôlés par des fournisseurs oligopolistiques), avec une couche logicielle (faite de protocoles, de logiciels libres, d’algorithmes, de programmes complexes et de plateformes propriétaires), puis avec une couche de contenus coproduits par des milliards d’utilisateurs et utilisatrices, de façon souvent libre et gratuite, bien que les données soient accaparées par des firmes multinationales extrêmement puissantes.
Extraits
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