« M. Catlin est parti seul, sans amis et sans conseils, armé de ses pinceaux et de sa palette, pour fixer sur la toile et sauver de l’oubli les traits, les mœurs et les costumes de ces peuplades dites sauvages, et qu’il faudrait plutôt désigner par le nom d’hommes primitifs. Il a consacré huit années à cette exploration, et visité, au péril de sa vie, les divers établissements d’une population d’environ cinq cent mille âmes, aujourd’hui déjà réduite de plus de la moitié, par l’envahissement du territoire, l’eau-de-vie, la poudre à canon, la petite vérole et autres bienfaits de la civilisation. »
George Sand
(Relation d’un voyage
chez les sauvages de Paris)
En plein soleil, l’eau jaillissait d’un amoncellement rocheux piqueté de saules et de pins. Il s’approcha pour se rafraîchir. Il atteignait le pied de la cascade quand il vit la robe étalée sur une roche. Il recula, regarda autour de lui : nul signe particulier, nul village alentour. Il se courba, se glissa entre les taillis, longeant la rivière où se succédaient des séries de larges bassins clairs. Il s’arrêta, écouta, épia, puis reprit sa course furtive au ras des herbes, derrière les troncs. Rien, nul bruit hormis la rumeur de la cascade. Sur le qui-vive, il continua sa progression. Il rampait, frôlait les pierres. Tout à coup s’ouvrit une grande échappée d’eau. Alors il vit la jeune fille qui nageait sur le côté en essors souples et rapides. Sa chevelure flottait derrière elle et tirait sur sa nuque. Il était stupéfait de la surprendre, ainsi, toute seule. Les jeunes filles avaient coutume de se baigner en groupe, à proximité des villages. Et elles étaient chaperonnées par de vieilles femmes ou des frères. Un fond de graviers émergea. Elle se dressa, recueillit ses cheveux déployés, les tordit, les essora et les sépara en deux pans qu’elle noua. Puis elle scruta la rivière en marchant à petits pas. Quelques poissons filèrent. Elle projeta ses mains en avant et se mit à en pourchasser d’autres, elle s’approchait ainsi des berges. Il se recroquevilla davantage. Elle courait maintenant, rieuse, et tentait d’attraper les flèches argentées qui fusaient entre ses jambes, les nageoires surgissaient, les dos frétillants, puis les proies disparaissaient. Elle s’immobilisa, nue, d’assez grande taille. Son visage exprimait une joie extrême. Elle s’étira et se mit à chanter en avançant plus doucement, courbée, les yeux rivés autour d’elle. Il était stupéfait par son audace, son impudeur, sa liberté. Indigné et fasciné. Elle plongea brusquement les bras dans la rivière et sortit une truite ruisselante et dorée dans la lumière. Elle la serrait dans ses mains et commença de tournoyer dans une danse de victoire sans interrompre son chant. Bouche bée, le sourcil froncé, il assistait à ce spectacle extraordinaire. Elle rejoignit la rive de son côté. Il se cacha. Elle remonta le long du cours d’eau en enjambées musclées. Il la suivit, bondissant, concentré. Elle arriva auprès de sa robe. Elle cassa le cou de la truite, la posa le temps d’enfiler le vêtement. Alors il fonça sur elle. Elle se retourna effarée mais déjà il l’empoignait de toutes ses forces. Elle comprit qu’il était inutile de se débattre, de crier. Elle se figea toute contractée de surprise et de peur. Il l’entraîna, la poussa entre les taillis. Un cheval était attaché à un arbre. Il lui fit signe de l’enfourcher à cru. Il s’élança, se cala derrière elle, détachant la longe de sa monture sans relâcher l’étau de ses bras. Le cheval avait parcouru une courte distance dans le lacis de la rivière quand le poney de la jeune fille apparut à son tour. Il s’en approcha, le libéra de sa corde tout en le saisissant au licol. Le cheval hennit, se cabra mais il réussit à l’emmener dans sa course. Ils sortirent du sous-bois. Là, il fit signe à la prisonnière de serrer le poney tout contre leur monture.
Extraits
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