#Essais

Les Dauphins et leurs domaines fonciers au XIIIè siècle

Henri Falque-Vert

Au XIIIe siècle, les dauphins étaient de grands propriétaires terriens. Mais de la manière dont ils géraient leurs biens fonciers, on ne sait quasiment rien jusqu'au milieu du XIIIe siècle. Vers 1250, à l'exemple d'autres princes en Occident, le dauphin Guigues VII commanda d'exigeantes et rigoureuses enquêtes d'inspiration fiscale, qui se poursuivront jusqu'en 1267. Malgré certaines carences, ces documents forment la source la plus riche sur le XIIIe siècle dauphinois. Pourquoi ces enquêtes ? Que nous apportent-elles sur les revenus fonciers du dauphin, sur le mode d'exploitation de ses terres ? Celles-ci sont-elles en exploitation directe ou confiées à des tenanciers ? Quelles modifications de sa politique foncière le pouvoir princier a-t-il effectuées en montagne ou dans l'avant-pays ? Pour quelles raisons ? Quelles en furent les conséquences sur le monde paysan : une diminution des corvées ou une pression fiscale plus forte ? Voilà, parmi d'autres, quelques questions que permettent d'aborder les enquêtes de Guigues VII, donnant des informations précieuses pour comprendre le quotidien de ces hommes qui travaillaient sur les terres princières au Moyen Age.

Par Henri Falque-Vert
Chez Presses Universitaires de Grenoble

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Genre

Sciences historiques

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

À mes anciens étudiants de l’université Pierre-Mendès-France de Grenoble

 

Parlant de l’économie du ixe siècle, Georges Duby écrivait en 1962 : « La ­campagne est tout »1. Elle est encore presque tout dans le Dauphiné du XIIIe siècle. Or, le mode de production agricole, si on exclut la petite propriété alleutière, se fonde, pour l’essentiel, sur la seigneurie foncière, une structure économique qui, en théorie, associe deux types d’exploitation et de terres.

D’un côté, la seigneurie foncière comprend des terres concédées par le seigneur propriétaire à des paysans tenanciers moyennant redevances en argent ou en nature, et services en travail – les célèbres corvées. Ces terres cédées en exploitation indirecte forment les tenures ou censives, c’est-à-dire de petites exploitations de statut héréditaire au XIIIe siècle. Une fois acquittées les charges imposées, le tenancier est maître chez lui. Certes, le seigneur concessionnaire peut tenter d’exiger davantage, modifier certains services ou reprendre des terres délaissées, mais la coutume locale, les habitudes acquises ainsi que la résistance, en général passive, du monde paysan limitent ses marges de manœuvre. Sa politique foncière ne peut guère agir sur des structures qui lui échappent économiquement et donc qui évoluent en dehors de lui.

D’un autre côté, cette seigneurie foncière comporte des terres que le seigneur garde en exploitation directe et qu’il fait, en principe, cultiver par les corvées de ses tenanciers. En théorie, il s’agit là d’une grande propriété-exploitation dirigée par le maître et ses intendants et que les historiens de l’époque moderne qualifient de « réserve ». Le mot n’est pas médiéval : les documents dauphinois parlent, pour désigner de telles terres, d’indominicatum, ou de biens in dominico ou in manu domini, ou encore de parcelles in condamina, ou tout simplement de proprietates ; parfois même, ils utilisent le mot corvata, rappelant ainsi le lien d’interdépendance qui existe entre les terres de réserve et les corvées paysannes. Plus tardivement, ils emploieront le mot demesne, l’ancêtre de notre « domaine », un terme devenu actuellement passe-partout, et à qui nous rendrons sa signification première ; pour désigner les terres restées en exploitation directe, « dans la main du seigneur », nous utiliserons, en effet, à côté du mot « réserve », les vocables « domaine » ou « terres domaniales »2.

Or, si les maîtres du sol n’ont guère de possibilités d’agir sur l’évolution des terres qu’ils ont concédées, en revanche ils ont toute latitude pour conduire la transformation de leurs domaines : ils peuvent en orienter les cultures pour répondre aux besoins d’un marché local ou changer leur main-d’œuvre par le recrutement de salariés plutôt que de corvéables… Surtout, ils peuvent accroître leurs réserves foncières par des acquisitions, des défrichements, des reprises de terres, ou au contraire réduire leurs domaines, concéder leurs terres à de nouveaux tenanciers et négliger donc leur rôle d’exploitant ; ils deviennent dans ce cas, après abandon complet de leurs biens domaniaux, de simples « rentiers du sol »3 selon l’expression célèbre de Marc Bloch. Ce choix entre deux politiques foncières ne dépend que d’eux.

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21/03/2013 243 pages 27,10 €
Scannez le code barre 9782706117787
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