#Bande dessinée jeunesse

La vie au bout des doigts

Orianne Charpentier

Novembre 1913. Après plusieurs année de pensionnat, Guenièvre, 14 ans, est une jeune fille rejetée et mal dans sa peau. Certains la traitent de sorcière... Seule l'amitié de Pauline, qui l'ouvre aux réalités de son époque, illumine son existence. Un jour, elle est recueillie par sa grand-mère et apprend la vie à la campagne dans un vieux manoir en ruine mais entourée aussi de l'affection de Perpétue, la fidèle cuisinière, et du bel Edmond, bientôt mobilisé. La Belle Epoque bascule alors dans la Grande Guerre et la vie de chacun, hommes, femmes, enfants, s'en trouve bouleversée. Guenièvre devra se battre, elle aussi, à l'arrière, pour survivre au quotidien, percer le secret de sa famille et se découvrir elle-même...

Par Orianne Charpentier
Chez Editions Gallimard

0 Réactions |

Genre

12 ans et +


À mes grands-parents,

Moïse, Fernande, Jean (dit Robert) et Jeanne.

La surveillante de nuit passa dans le dortoir, un sifflet aux lèvres et une lampe à la main. C’était une de ces lampes-tempête en cuivre, avec une bougie à l’intérieur qui brillait faiblement. La lumière était douce quand on ouvrait les yeux, mais les oreilles restaient douloureuses, toutes bourdonnantes encore du sifflement strident.

Il était sept heures. Les pensionnaires émergèrent à regret de leurs couvertures grises, puis se hâtèrent en frissonnant le long des rangées de lits, jusqu’à la vaste salle de bains humide. Dehors, il faisait encore nuit.

Elles se bousculèrent comme tous les matins devant les lavabos, jouant des coudes pour atteindre les blocs de savon. Il fallait faire vite, elles avaient vingt minutes pour paraître dans le réfectoire, lavées, habillées et coiffées.

Comme toujours, Guenièvre ne trouvait pas sa place. Elle attendait dans un coin, le dos au mur. D’une main maladroite, elle tentait d’arranger ses tresses. Mais ses cheveux raides étaient indociles, ils lui coulaient entre les doigts et finissaient toujours par se dresser de-ci, de-là en mèches hirsutes et pâles.

Une fille la bouscula en passant.

– Dégage, souillon, cria celle-ci. Moi, tu ne me fais pas peur.

Guenièvre ne bougea pas, ne répondit pas non plus. Son visage resta sans expression et la colère en elle expira presque aussitôt. Mais la fille, très vite, avait tourné les talons, et les autres s’éclipsèrent en chuchotant.

Guenièvre s’approcha des lavabos désertés, s’aspergea la figure d’eau froide. En relevant la tête, elle croisa son reflet dans la glace. Comme chaque fois, son cœur se serra.

Elle resta un bon moment à fixer ses yeux sombres qui ressemblaient à des puits sans fond, sa bouche trop fine, sa peau trop blanche, ses rondes joues rouges. Et ses tresses d’un blond presque blanc, qui dessinaient autour de son visage un étrange halo glacé.

Puis son regard glissa jusqu’au col de sa chemise de nuit, grise, élimée, et dont les manches étaient beaucoup trop courtes. On devinait pourtant, malgré l’usure, des broderies d’une grande finesse. C’était l’un des derniers restes de son ancienne vie, avec la petite médaille d’or qui brillait au bout d’une chaîne.

Elle retourna dans le dortoir, enfila sa robe de flanelle qui la serrait depuis qu’elle avait tant grossi et mit, par-dessus, la blouse d’uniforme couleur d’ardoise. Puis elle chaussa ses souliers, de gros brodequins percés au bout qui claquaient à chaque pas, et elle dévala en courant les marches du grand escalier.

Le réfectoire se vidait quand elle arriva. La surveillante de jour, Mme Brique, lui jeta un regard mauvais.

– Encore en retard ! Et voyez-moi cet as de pique !

Sa main agrippa les tresses hérissées de Guenièvre et les tira méchamment. La jeune fille n’eut pas une grimace. Elle se contenta de regarder la femme d’un air calme, avec ses yeux sombres et luisants comme des miroirs, et les doigts lâchèrent ses cheveux.

Commenter ce livre

 

21/08/2014 412 pages 14,50 €
Scannez le code barre 9782070661961
9782070661961
© Notice établie par ORB
plus d'informations