#Roman francophone

Et n'attendre personne

Eric Genetet

Strasbourg : Isabella et Alberto forment un couple parfait. Ils ont résisté à la routine amoureuse et aux intempéries. Jusqu'au jour où leur fils unique leur annonce, le soir de son vingtième anniversaire, qu'il part s'installer à New York. Cette heureuse nouvelle va pernicieusement bouleverser l'équilibre familial. Si la perspective paralyse Alberto, à l'inverse, Isabella s'en réjouit. Comme libérée, elle en profite et saisit une opportunité à Bruxelles. Pour surmonter la douleur de ce double abandon, Alberto a besoin de mettre sa vie à plat, d'endiguer la dérive des sentiments. Lorsque les certitudes sont ébranlées et l'union fragilisée, comment ne pas tout faire voler en éclats ? Alberto et Isabella sauront-ils se reconquérir ? Rattraperont-ils le temps où chaque jour qui passait les rapprochait ? Un roman qui capte les émotions passagères avec justesse et finesse.

Par Eric Genetet
Chez Editions Héloïse d'Ormesson

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Genre

Littérature française

Un samedi du mois de juin, Isabella était seule à la ter­rasse du Café de l'Opéra. Attablée devant un Coca, elle écrivait une lettre d'amour, ou de rupture, je le souhaitais. J'étais très attiré par ce que laissait deviner sa robe légère. Ses seins bougeaient au rythme des à-coups de son stylo à bille. Comme dans une publicité pour un shampoing extra-doux, elle écartait de son visage ses longs cheveux noirs, qui inlas­sablement revenaient à leur place initiale, disciplinés dans l'indiscipline. Elle avait l'élégance d'une femme mûre, malgré son jeune âge.

J'avais une vingtaine d'années, des cheveux hirsutes pour faire plus grand, des mousses de Walkman sur les oreilles pour être à la hauteur et un Renex autour du cou pour découvrir New York pendant les vacances d'été, avec l'am­bition de faire des chefs-d'œuvre. Pour me donner une contenance, je gardais le regard plongé dans les Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes, un livre parmi d'autres que Mlle Françoise, le patron de mon café préféré, conseillait à ses clients et qu'il stockait dans une petite biblio­thèque derrière la caisse enregistreuse. Il m'avait dit : « Lis ça, tu feras un bout de chemin. » Je le feuilletais : « DEMONS. Il semble parfois au sujet amoureux qu'il est possédé par un démon de langage qui le pousse à se blesser lui-même et à s'expulser, selon un mot de Goethe, du paradis que, dans d'autres moments, la relation amoureuse constitue pour lui. » Mais Barthes et Goethe ne m'intéressaient pas plus que ça et beaucoup moins qu'Isabella qui ne prêtait attention ni à moi ni à qui que ce soit.

Inspiré par la lumière du soleil couchant, je braquai mon objectif sur la jeune femme. Elle fit mine d'être importunée, leva ses yeux verts au ciel, mais ne put retenir un sourire.

- Je suis désolé, cet appareil se déclenche tout seul, comme une envie de...

- Une envie de parler à une inconnue ?

Incapable de répondre, je terminai mon Perrier menthe d'un seul coup. Des gouttes de sueur perlèrent sur mon front et je souris, un peu crispé. Je m'encourageai : « Allez Alberto, allez, bouge ton cul. Allez merde, balance quelque chose de pas trop con... » Trop tard. Je fus saisi d'un vertige et tombai dans les pommes.

Mlle Françoise me retourna de grosses gifles et insista pour que j'avale un verre de schnaps, l'excitant local qui réveille les morts et le commun des mortels. Le liquide me brûla la gorge au quatrième degré. Je toussai. Le patron me tapa dans le dos comme si j'avais un morceau de tarte flambée coincé dans le tube digestif. Je basculai en avant, ma tête heurta le bord de la table. De tout mon poids, je m'écroulai sur le sol. Mlle Françoise m'attrapa par les épaules, me hissa sur ma chaise, puis paniqua à la vue du sang qui coulait sur mon visage. Isabella me proposa un verre d'eau. Je ne répondis pas, gémissant astucieusement. Plus les secondes passaient, plus cette belle inconnue s'habituerait à moi. Elle ne pourrait bientôt plus partir en me laissant dans cet état. Elle répéta plusieurs fois : « Ça va, vous êtes sûr ? » Je fis : « Ah, ah, ah... » en imaginant qu'un nouvel évanouissement serait un acte audacieux, mais judicieux. Immédiatement elle m'embrasserait, pendant vingt-quatre images seconde.

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17/01/2013 153 pages 15,00 €
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