#Roman francophone

La maison russe

Tania Sollogoub

A quarante ans, Katia décide d'aller seule, une dernière fois, dans la maison de son enfance. Elle veut y retrouver la table en pierre encore fraîche à l'aube, la mer qu'on voyait des fenêtres et, surtout, les échos d'une voix russe qui la hante, celle de sa grand-mère, qui lui parlait de la vie sous les lauriers roses. De la mer Noire à la mer Méditerranée, La maison russe raconte le sentiment d'exil, qui perdure d'une génération à l'autre, et la force du lien entre une petite fille et sa grand-mère.

Par Tania Sollogoub
Chez Editions de la Martinière

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Genre

Littérature française

 

 

 

 

 

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Paris-Perpignan, un train de nuit. Des mémés, des toutous, des familles, des gens contents, des gens qui ne prennent pas l’avion et qui louent bon marché, du côté d’Argelès, de Barcarès ou de Collioure. On descend toute la côte jusqu’à l’Espagne, on se serre, ça pue, ça rigole.

Un homme et sa femme s’installent sur les deux couchettes du bas, face à face. Moi, je suis déjà sur celle du haut, je prends toujours cette place-là. J’écoute le brouhaha de la gare de Lyon.

L’homme est tout rond et il est coiffé comme un moine. Il lui manque les cheveux du milieu, mais je dois être la seule à le voir parce que je le regarde d’en haut. Nous ne sommes que trois pour l’instant dans le compartiment. Sa femme n’arrête pas de lui faire faire des choses, René ci, René ça, les valises, le chien, le journal, les couvertures, les billets. René n’en peut plus. Il s’assied sur le lit et s’extasie devant le drap de la SNCF, le sac à viande replié et cousu. « Formidable ! » dit-il et je comprends qu’il n’a pas pris le train de nuit depuis très longtemps ou peut-être ne l’a-t-il jamais pris. Sa femme est vraiment très grosse.

René commence à se déshabiller. Je n’en crois pas mes yeux. Consciencieusement, avec minutie, il plie sa chemise, il enlève sa ceinture, ses chaussettes à présent, son pantalon, son slip blanc. René se couche et, comme il a chaud, le voilà les fesses à l’air, les fesses en l’air.

– J’ai chaud, dit-il.

Un exhibitionniste ? C’est ce que je pense sur le moment, mais non, René a chaud tout simplement. Alors moi, de la couchette d’en haut, je fais la bourgeoise. Indignée, je dis : « Tout de même, monsieur, c’est un wagon collectif ! »

Sa femme, qui s’est déjà endormie, se retourne brutalement.

– René ! crie-t-elle, qu’est-ce que tu fabriques encore ?

– Mais rien, répond-il, visiblement surpris.

– Alors, pourquoi que t’as les fesses à l’air ?

– Mais c’est que je m’couche.

– Tu remets ton slip. Un point c’est tout.

Malgré ses fesses vaguement dérangeantes, j’ai de la peine pour lui et même une sorte de tendresse. Je souris. Je regarde le plafond. Je respire enfin.

C’est le train des vacances. Cela fait si longtemps. Je me souviens de tout ce bonheur qui existait là-bas, dans notre Maison. Nos pas mille fois répétés sur les allées qui conduisaient à la plage, le sourire de ma mère, les enfants que je croiserai peut-être bientôt, au détour d’une rue, et qui nous ressembleront.

Ma sœur a téléphoné hier. Nous nous voyons très rarement.

– Papa va vendre la maison.

– La Maison ?

Elle murmurait dans le téléphone, je n’entendais pas bien.

– Je voulais juste te tenir au courant, tu comprends ? Dis… Tu te souviens ?

Elle bafouillait. Bien sûr, je me souviens. Tu avais deux grandes nattes et ton bureau était à côté de la fenêtre. Nous jouions avec une boîte rouge où nous installions de petites poupées devant des pupitres en carton. J’étais jalouse de toi parce que tu avais un amoureux, le fils du boucher, au coin de la rue Louis-Vicat. Es-tu heureuse à présent, ma sœur ? Et notre frère, est-il au courant ?

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03/04/2014 172 pages 14,90 €
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