Editeur
Genre
Développement durable-Ecologie
INTRODUCTION
L’agriculture n’existe pas en dehors d’un contexte géographique et humain, elle est la rencontre entre une société et un territoire. Lorsque ce contexte évolue, en raison d’un changement climatique ou de modifications sociales ou économiques, il est nécessaire que le système agricole s’ajuste aux nouvelles conditions.
Le drame de notre agriculture actuelle est d’être restée corsetée dans un cadre scientifique et économique dépassé et, disons-le, franchement archaïque. Pire encore, les bases de notre prétendu “modèle” agricole sont désormais dangereuses pour les équilibres humains aussi bien qu’écologiques. Certains observateurs lucides1 avaient identifié ces dangers depuis près d’un siècle, et il faut leur rendre hommage pour l’acuité de leurs critiques. Mais la question n’est plus de décerner des bons ou des mauvais points : que le système agricole mis en place après la Seconde Guerre mondiale ait, ou n’ait pas, été pertinent un jour, il est de toute façon profondément obsolète et s’enferme dans des contresens agronomiques et économiques intolérables à long terme.
Il est temps de changer d’agriculture.
Ce changement ne se fera pas contre les agriculteurs, mais avec eux. Remettre en cause un système agricole ne signifie pas remettre en cause l’intégrité des humains qui le pratiquent. Certains agriculteurs “conventionnels” actuels entretiennent bien sûr un système qui les arrange, voire leur offre une rente de situation. Mais beaucoup d’entre eux sont avant tout des victimes, plus ou moins consentantes : premières victimes des pesticides*2 qu’ils pulvérisent, dépendants d’un système bancaire qui les a poussés à s’endetter, variables d’ajustement des spéculations mondiales sur les matières premières agricoles, enfermés dans un mode de production qu’ils n’ont pas toujours choisi mais qui leur est présenté comme inéluctable.
J’insiste sur ce dernier constat, qui représente l’un des principaux obstacles à l’évolution de l’agriculture. L’ensemble de la superstructure agroalimentaire et agricole affirme inlassablement aux agriculteurs (et aux citoyens) que cette agriculture dite “conventionnelle” serait une fatalité, une nécessité s’imposant à l’humanité si elle veut se nourrir. Cette propagande, car ce n’est pas autre chose, étouffe les paysans et les prive de leur autonomie* de pensée et d’action.
Or, rien n’est plus faux que cette prétendue nécessité du “modèle” d’agriculture conventionnelle* pour nourrir l’humanité. Basée sur des erreurs agronomiques, des idées reçues et une inertie économique favorable aux multinationales, elle constitue l’un des mythes les plus enracinés – et les plus dangereux – de notre société contemporaine.
L’un des premiers objectifs de ce livre, et qui fera l’objet de sa première partie, est de réfuter ce mythe. Pour changer, il faut d’abord disposer de plusieurs solutions, de plusieurs démarches. Nous verrons que la culture pure* de variétés* standardisées n’est pas vraiment performante sur le plan agronomique, et que des systèmes basés sur les cultures associées*, les semences paysannes*, la valorisation de la main-d’œuvre et les liens au territoire permettent des rendements à l’hectare supérieurs à ceux de notre agriculture prétendument intensive*. Ces alternatives techniques sont, en particulier, optimisées au sein de la démarche systémique appelée “agriculture biologique”, qui est une approche moderne, savante et diversifiée, et qui assure aux paysans le maintien d’un revenu satisfaisant, voire conforté. Il est parfaitement possible de nourrir 12 milliards d’humains avec l’agriculture biologique, sans défricher un seul hectare supplémentaire et même au contraire en reconstituant des écosystèmes* actuellement dégradés. Nulle fatalité, nulle impasse : une autre agriculture est possible.
Extraits
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