#Roman francophone

Le lys d'or

Philippe Sollers

Simon Rouvray, quarante ans, est professeur de chinois au Centre d'études religieuses. Par hasard, dans un magasin d'antiquités, il rencontre une richissime héritière aristocrate de vingt-huit ans, Reine. Il en tombe amoureux, elle se dérobe. Elle va bientôt lui demander d'écrire, à ses frais, sans rien cacher, le récit de sa vie et de leurs relations ambiguës. Elle paiera, il racontera.

Par Philippe Sollers
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française (poches)

 

 

 

I

 

 

Premier rêve : je suis dehors dans l'herbe, à genoux, la tempête bat son plein, marée haute gris-vert agité du ciel et de l'eau, je continue à creuser, je m'écorche les doigts, je saigne. Depuis la maison, elle crie : « Simon ! couvre-toi ! ne reste pas comme ça, tu vas attraper la crève ! couvre-toi ! couvre-toi ! » Sa voix est emportée en rafales, je l'entends à peine, je dois absolument retrouver ce paquet enterré l'année dernière, je revois la double housse de plastique bleu, c'était bien là, à droite du laurier, pas très profond, personne n'a pu deviner l'endroit...

 

Deuxième rêve : je suis dans la chambre avec Marie. Quelque chose de terrible est arrivé à Paul, il est sans doute tombé dans l'escalier, son petit corps recroquevillé est là, sous les draps. Nous, les parents (nous, des parents ? quelle histoire !), sommes face à face, muets. La fenêtre est ouverte. C'est le grand beau temps de la mort.

 

Je me réveille en douceur, six heures de l'après-midi, le vent a cessé de souffler, ciel dégagé, jardin calme. Je me lève, je sors sur la plage. L'eau est montée pendant mon sommeil, comme un large geste à plat du paysage. Je sens mes yeux gonflés et piquants, chaque fois pareil en arrivant, effet immédiat de l'océan, regard difficile et rouge pendant deux jours. Ne pas les frotter, les yeux. Je regarde mes mains, il faudrait couper ces ongles, sourire. Les rêves reviennent à ce moment-là.

 

*

 

Je rentre, je téléphone à Paris pour entendre la voix de Paul qui vient de rentrer de l'école, je dis quelques mots à Marie, puis un verre de vin blanc glacé. Deux cauchemars ? Bon signe. Un message veut être transmis. Il faudrait appeler Reine, mais cela peut attendre. Quant à Leslie, elle doit être en vol, maintenant, quelque part dans un des fourreaux fumeux striant l'air. Xavier ? Encore au bureau, sans doute. Un autre verre, un autre goût d'algues. Le printemps a été long à venir – de plus en plus long depuis quelques années, m'a dit tout à l'heure Monsieur Wolf, le garagiste, en refermant sur moi la portière de la Land Rover – mais c'est parti, à présent, on peut espérer de beaux jours jusqu'en octobre, et je suis là pour ça : compter les beaux jours. Les oiseaux chantent dans le bois d'ormeaux, sur la gauche. A mon départ, à six heures du matin, un rossignol semblait célébrer, seul, le bleu-noir au-dessus des toits. Tout se confond, déjà, le trajet en taxi, l'avion, le bateau, la cérémonie de l'ouverture des portes – cette clé, non, cette autre –, les volets rabattus, les courses au village – épicerie, poissonnerie, pharmacie, tabac –, les rêves. « Un beau chaos. »

 

*

 

– Un roman ? a dit Leslie juste avant de s'embarquer. Pourquoi pas ? J'ai toujours pensé que vous pourriez en écrire un. Mais alors parlez de vous à la troisième personne, les gens s'identifieront mieux. Et puis de la psychologie, surtout, c'est ça qui marche !

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01/05/1991 248 pages 7,00 €
Scannez le code barre 9782070383924
9782070383924
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