#Roman étranger

Noces de cire

Rupert Thomson

Florence, 1691. Zummo est un sculpteur de génie qui crée des statues de cire si délicates qu'elles semblent avoir pris vie. Il a fui sa Sicile natale pour trouver refuge dans une ville vérolée par la corruption, aveuglée par l'austérité, où les citoyens les plus riches assouvissent leurs désirs les plus pervers. Convoqué par le grand-duc qui lui a commandé une Vénus de cire grandeur nature, Zummo parcourt les ruelles labyrinthiques à la recherche d'une femme suffisamment parfaite pour servir de modèle. Mais la Toscane regorge de secrets et de dangers. La torture et les exécutions vont bon train, et, lorsqu'on trouve le cadavre d'une jeune femme sur les bords de l'Arno, le sculpteur commence à croire que le vice prend sa source à la cour des Médicis. Tout en poursuivant sa création, essayant d'insuffler la vie à sa Vénus de cire, il se demande si cette femme parfaite va le mener à son salut ou à sa perte. Noces de cire est une superbe représentation du monde d'avant les Lumières, vibrant de superstitions, de répression et d'incompréhension, doublée d'une intrigue menée à la perfection.

Par Rupert Thomson
Chez Editions Denoël

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Genre

Littérature étrangère

 

 

 

 

 

UN

 

 

Il arriva un jour de novembre ; un vent froid balayait les champs gorgés d’eau. On était en 1701. De ma chambre, je vis sa voiture, un véhicule de forme effilée, haut sur roues, noir sur les pavés gris-bleu, s’arrêter dans un grincement. La portière s’ouvrit de quelques centimètres. Se referma. S’ouvrit complètement. Il en descendit, le pied hésitant, presque pointé, lorsqu’il se tendit vers le sol. C’est à ce moment que je compris qu’il était mourant. La surprise me saisit à l’instant où je formulai ce constat et mon regard redoubla d’intensité. La frêle silhouette vêtue d’un manteau noir boutonné jusqu’au col contempla longuement les murs trempés du couvent. Ma fenêtre se trouvait au dernier étage ; il ne remarqua pas ma présence.

Le mois précédent, il m’avait écrit une lettre. Vous ne me connaissez pas. J’ai quelque chose d’un intérêt essentiel à vous dire, quelque chose qui ne peut être transmis qu’en personne, face à face. Son écriture était aussi dense et noueuse qu’un buisson d’aubépine, et il avait utilisé plus de mots que le strict nécessaire. Était-ce un signe de nervosité ? Un manque d’éducation ? Je ne pouvais le dire. Je le vis parler au gardien, qui examina le cocher, derrière le visiteur. Sur leurs visages se lisait une sorte de soumission, teintée d’un soupçon de moquerie. Avaient-ils ressenti la même chose que moi ? Peut-être vient-il un moment, dans notre vie, où nous perdons la capacité d’attirer l’attention du monde, où le monde commence à nous ignorer parce qu’il ne croit plus que nous puissions produire grand effet sur lui. Un frisson me parcourut, je tournai le dos à la fenêtre.

Je m’assis, et songeai à la rencontre qui m’attendait. En dehors de la bague ornée d’une opale que je portais à la main gauche, la coiffeuse était ma seule concession à la vanité, mais j’y trouvais un petit plaisir qui m’était précieux. Le miroir reflétait des rides, des poches, des bajoues – le lacis fantaisiste dessiné par des années d’imprudences et de déceptions. Néanmoins, j’avais bien vécu. Cinquante-six années… Et je portais la robe sobre et informe d’une abbesse – moi, Marguerite-Louise d’Orléans ! Qui l’eût cru ? Ni le maître de ballet, bien qu’il eût probablement trouvé le costume divertissant. Ni le cuisinier, ni le poète, ni le palefrenier. Aucun de mes nombreux amants, en fait – sauf peut-être le grand-duc de Toscane. Bien que je ne puisse prétendre l’avoir jamais considéré, lui, comme un amant. Un époux, oui. Pas un amant. Ses performances en demi-teinte ne lui valaient pas le mérite de ce titre. Mais j’étais certaine qu’il avait approuvé la décision du roi de France de m’envoyer dans un couvent. Le meilleur endroit pour elle, avait-il certainement dit. Que ses os soient réduits en une poudre dispersée en enfer. Amen.

Je mis un peu de rouge sur mes joues et accentuai au crayon la courbe dédaigneuse de mes sourcils. Mes lèvres, devenues moins charnues avec l’âge, avaient, elles aussi, bien besoin d’être embellies. Au beau milieu de mes préparatifs, je fus interrompue par une novice, qui rougit et détourna les yeux lorsqu’elle comprit ce que j’étais en train de faire.

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trad. Sophie Aslanides
09/10/2014 400 pages 22,50 €
Scannez le code barre 9782207116982
9782207116982
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