En ce 6 avril ensoleillé, Adrien Delorme est en train de se préparer. Il se douche et se met de la gomina, hésite et se fait un masque. C’est la première fois. Pas autour du visage où la peau est la plus sen- sible, lui a dit la jolie pharmacienne, et pas sur les yeux. Ah bon. Pour le reste, oui. Ah bon. Ne pas le laisser plus de deux minutes. Les peaux mortes. La vivante plus lisse évidemment. Qui y résisterait ? Louise. Qui ça ? Louise Bellegarde y résistera et y a d’ailleurs déjà résisté depuis presque trois ans. Louise est ce qu’on appelle une résistante de la première heure, mais pas du tout canal historique, pas Jean Moulin pour deux sous, non, plutôt résistante ten- dance Sue Bridehead ou Andromaque... La liste des résistantes est longue, car les femmes sont admirables comme chacun sait. Adrien le sait mais poursuit – et ce n’est pas son moindre charme – sa route avec une vaillance et une détermination qui forcent l’admira- tion. Ainsi ce matin se prépare-t-il avec un zèle d’adolescent pour aller à un rendez-vous dont le simple bon sens voudrait qu’il se détourne. Oui, il devrait s’en écarter, tourner le dos, se draper dans un peu de dignité, mais c’est difficile, il a l’espoir che- villé en lui, et c’est pour cela, à cause de l’attente indéfectible, à cause de cette façon de croire que tout peut changer, que nous pouvons éprouver de la sym- pathie pour lui.
Il a rencontré Louise trois printemps plus tôt, et il en est tombé amoureux. Malgré les douze ans qui les séparent. Disons tout de suite, pour ôter un quel- conque mérite, que c’est lui, Adrien, qui a les douze ans de plus, et que l’on est dans une situation des plus convenues. C’est dans la librairie-café qu’ils se sont rencontrés. Banalement. Moins banalement qu’en boîte de nuit évidemment, mais cela fait des années qu’Adrien a renoncé à se trémousser d’un air entendu suivant les codes ésotériques qui permettent d’approcher et de séduire la femelle. Lui se déhanche si maladroitement qu’il se couvre de ridicule. En général il doit se replier, ranger rapidement les gaules et rentrer bredouille. En fait c’est le souvenir qu’il en garde mais cela fait trois décennies qu’il n’a plus mis les pieds dans une discothèque. Adrien déteste « faire la fête », ce qui démontre à quel point il n’est pas de son temps, et à quel point c’est bien fait pour lui s’il est seul ! C’est aussi une deuxième raison pour nous sentir proche de lui.
Adrien est tombé amoureux de Louise dès qu’il l’a vue. Par un de ces coups de foudre qui le lessivent environ tous les sept ans, il en est au troisième. Bien sûr les Gracieuses en question sont jolies, mais elles sont surtout effrontées, rieuses et à l’aise, semble-t-il, en toutes circonstances. Louise est dans la norme, un rien classique, de bonne éducation, polie et agréable, débordante de fantaisie, sans rien de vulgaire ni d’outrancier. Sans hystérie non plus. Juste au bord de ce qui ne se fait pas. Elle est grande et svelte, avec un petit minois à la Jeann Seberg, des cheveux longs et blonds, en fait blond vénitien, et des yeux clairs, elle n’a cependant rien d’un top modèle. Manque de neurasthénie, avait décrété l’agence de casting quand à seize ans, elle avait tenté sa chance. Restaient une jolie taille et des hanches en conséquence. Et aussi sans doute de jolis seins et de jolies fesses, mais on n’en sait rien, on ne les a jamais aperçus, pas plus Adrien que nous-mêmes, encore qu’à parler de vous, je peux évidemment me tromper.
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