Ce sont elles qui ont décidé. Nos mains.
Nous étions dans ce taxi qui nous emportait vers nos vies respectives. Rien ne s'était passé. Tout avait pourtant été dit par nos yeux. Quelques mots aussi qui avaient entrouvert une porte. Mais nous étions encore chacun encerclé par notre propre histoire, le corps et le cœur en quarantaine de tout ce qui n'appartenait pas à celle-ci. Voilà, nous étions toi et moi dans deux sphères clairement limitées. Par instant elles se frôlaient et là naissaient une transparence, une fluidité – comme une béance dans notre enceinte et par laquelle nous étions happés.
Nous roulions donc, encore lointains, avec au ventre des envies de collision, d'une fusion même maladroite et comptée. Or nos vies, tout près, nous attendaient et rien encore ne se passait.
Ta main, alors, sans douceur, s'est posée sur la mienne. Qui l'a aussitôt saisie, pétrie. J'étais en colère. Tu avais pénétré ma sphère et je ne pouvais faire autrement que t'y vouloir. Je te refusais mon regard en vain : je sentais nos mains en bataille achever de nous mélanger.
Cette guerre éclair nous laisserait tous deux vainqueurs et vaincus. Secrètement occupés.
Tu serais assis devant un café refroidi, le deuxième peut-être.
Dans cette brasserie bruyante d'une gare.
Je te verrais de loin.
Tu serais en train d'écrire et j'aurais tout le temps de te regarder en avançant lentement vers toi.
Je prierais pour que tu ne me remarques pas. C'est si beau un homme qui attend, qui a un peu peur, ou terriblement.
Et j'aurais peur aussi sans doute.
Donc, si tu es d'accord, tu attendrais, pour lever la tête, que je sois assise face à toi. Je pourrais alors me glisser devant tes yeux baissés.
Et tu ne verrais de moi, à ce moment-là, que ma poitrine éclatant de ce maintenant, battue de l'intérieur par une force me jetant vers toi.
Tu sourirais sans te redresser encore. De ton sourire un peu narquois qui raconte tout ce que tu sais déjà.
A mon tour je baisserais les yeux jusqu'à cette reconnaissance qu'auraient dessinée tes lèvres. Il serait temps pour nos regards de croiser d'un coup le fer et le feu.
J'aurais très probablement renversé quelque chose avant d'arriver là, heurté une chaise, fait trembler une tasse pleine. La tienne peut-être. C'est que j'aurais du mal à trouver l'équilibre au bord de ce monde où m'attendraient tes bras.
Après... je ne sais pas. Nos mains qui ne doivent pas et ne pensent qu'à ça.
Et nous ne pourrions pas. Mais si nous le pouvions, ce serait une bérézina.
Toi et moi debout en même temps, écrasant la table entre nous, l'oubliant malgré les bords dans la chair. L'oubliant à la pulvériser.
Dans ce nuage de bois défait – cette victoire – nous serions seuls enfin, enfuis enfouis l'un dans l'autre de la tête aux pieds, mains fouilleuses arracheuses heureuses, bouches effleureuses dévoreuses courageuses.
Et ce serait le sol, un lit, un mur nu ; le ciel au-dessus et au-dessous. Le ciel au-dedans de nous. Et Ce Serait.
Extraits
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