#Roman étranger

Petits combattants

Raquel Robles

Le Pire, c'est la nuit de l'enlèvement. La nuit où les parents, militants montoneros, sont arrêtés chez eux. La nuit où tout bascule pour la fillette narratrice et son petit frère qui dorment à poings fermés. Au réveil, ils doivent quitter leur maison, avec la grand mère reine du crochet, pour aller vivre avec l'autre grand-mère rescapée du ghetto de Varsovie chez l'oncle et la tante, à Buenos Aires. Ce qu'ils emportent? Les slogans révolutionnaires entendus chez eux en ce début de dictature militaire: L'Impérialisme yankee est notre ennemi, La Religion est l'opium du peuple, Avec l'Ennemi, on perd quand on ne gagne pas. Dans une clandestinité soudée et grave, et une envie forcenée de coller au modèle de leurs parents, ils vont devenir des petits combattants, portés par l'espoir de les retrouver un jour. Un roman vrai, drôle, émouvant.

Par Raquel Robles
Chez Liana Levi

0 Réactions |

Editeur

Liana Levi

Genre

Littérature étrangère

À la mémoire de mes parents.

À la mémoire de mes oncle et tante.

À Juan, pour cette nuit où il m’a lu ce livre d’une seule traite afin que je puisse écouter ma propre voix. Pour les jours et les autres nuits où il m’a aimée. Et pour m’avoir donné la consigne la plus subversive que j’aie jamais entendue : prends du repos.

Pour Mariano, mon unique camarade au cours de cette longue guerre populaire de mon enfance.

Mais les cœurs des petits enfants sont des organes délicats. Un début cruel dans la vie peut leur donner d’étranges formes. Le cœur d’un enfant blessé peut se rétracter au point de devenir à jamais dur et grêlé comme un noyau de pêche. Ou encore, le cœur d’un tel enfant peut suppurer et enfler jusqu’à devenir une violente douleur à porter à l’intérieur du corps, aisément écorché et meurtri par les choses les plus ordinaires.

Carson McCullers

Quand culminera le processus révolutionnaire argentin, l’apport de chaque épisode s’éclairera et aucun effort ne se révélera inutile, aucun sacrifice, stérile, et le triomphe final rachètera toutes les frustrations.

John William Cooke

En sorte que mon acte de volonté a manqué son but et j’ai malgré moi oublié quelque chose alors que je voulais oublier l’autre chose.

Sigmund Freud

Je savais que nous étions en guerre, je savais qu’il y avait eu une sorte de combat et qu’ils devaient se trouver dans une prison glaciale en train de lutter pour leur vie. Je savais que je devais résister. Malgré tout, une chose me déconcertait : il n’y avait pas eu un seul coup de feu. Alors dire « ils les ont emmenés », ce n’était pas si faux, ce n’était pas un code pour désigner une terrible fusillade, des heures de combat, puis une capitulation face à l’inégalité des forces. C’était une réalité : ils étaient venus à la maison, en grand nombre, c’est sûr, il y avait eu des cris, du désordre, des heures d’interrogatoire, et ensuite ils les avaient emmenés. Ma grand-mère me disait que ça s’était passé comme ça parce que mes parents voulaient nous protéger. Ce qui m’a toujours paru ridicule : nous étions des combattants, nous étions préparés à affronter un tel moment, nous savions quoi faire, où nous cacher, quand courir, quand pleurer. Nous savions que nous devions être forts, nous savions ce qui pouvait arriver. Se réveiller le matin et voir sa grand-mère décomposée, essayant de ranger la maison avec son corps énorme et impotent, répétant, la voix étranglée, « ils les ont emmenés, ils les ont emmenés », c’était horrible. Ils s’étaient battus la nuit durant, et moi je dormais ! Quel être humain peut dormir d’un sommeil aussi lourd !

Pendant très longtemps, j’ai pensé qu’on m’avait frappée à la tête et que je m’étais évanouie. Mon frère était un bébé, un innocent tout bouclé qui suçotait une tétine, c’était normal qu’il ait continué de dormir ou qu’il soit resté muet de terreur. Mais moi… À coup sûr, on m’avait frappée et j’avais perdu la mémoire, et ma grand-mère, la pauvre, me racontait une autre histoire pour ne pas me traumatiser. Des années durant, je l’ai laissée me répéter cette fable pour qu’elle continue de penser que c’était pour mon bien. Quand j’ai été suffisamment grande pour qu’elle voie en moi un être moins fragile, je lui ai demandé de me dire une fois pour toutes la vérité. Et la vérité semble être celle-ci : ni balles, ni barricades, ni grenades, ni fusils. Mes parents, les combattants, changés en simples citoyens, un couple, un homme et une femme, encapuchonnés, hissés brutalement dans une Falcon vert olive. J’ai eu beaucoup de mal à me remettre de cette image. Des nuits d’insomnie à essayer de décoder ce changement de stratégie. Et puis j’ai compris : c’était le summum du camouflage, il fallait dissimuler, passer pour des gens ordinaires, pour les victimes d’une injustice. Alors j’ai arrêté de parler de tactique, j’ai arrêté de demander des nouvelles des camarades de mes parents, j’ai arrêté d’entraîner mon petit frère tous les soirs et j’ai pris à cœur de dissimuler. Ma grand-mère s’en est trouvée bien mieux. Mon oncle et ma tante ont arrêté de me casser les pieds avec les psychologues, et mes imbéciles de petits camarades d’école ont avalé la chose sans broncher. Durant des mois et des mois, j’ai cherché parmi les gens quelqu’un comme moi, parce qu’il devait y avoir plein de camarades dissimulés dans la population civile. Quand mes parents luttaient à découvert, la quantité de camarades paraissait incalculable. Où étaient tous ceux qui se rendaient Plaza de Mayo, où étaient ceux qui venaient à la maison et remplissaient les pièces de bruits, de rires, de discussions animées. Où étaient ceux qui peuplaient les camps et les Rencontres nationales ? Ils devaient bien être quelque part. Cachés, dissimulés au milieu de personnes comme moi.

Commenter ce livre

 

trad. Dominique Lepreux
06/02/2014 144 pages 14,50 €
Scannez le code barre 9782867467080
9782867467080
© Notice établie par ORB
plus d'informations