– Grand-père, tu parles beaucoup de la guerre de 1914. Est-ce que tu l’as faite ?
– Tu n’y penses pas ! Je suis né vingt ans après la guerre. Ce sont mes grands-pères qui ont fait la guerre, tous les deux. Quand ils étaient à la guerre, mon père et ma mère avaient ton âge. Je parle de cette guerre parce que je l’ai étudiée, parce qu’elle m’intéresse, mais je ne l’ai pas vécue.
– Mais tu m’as dit que ton père avait été prisonnier pendant la guerre…
– C’est vrai. Mais il ne faut pas tout mélanger. Il y a eu trois guerres entre la France et l’Allemagne : la première en 1870-1871 ; la deuxième de 1914 à 1918 ; la troisième de 1939 à 1945. Les Français ont perdu la première ; ils ont gagné la deuxième ; ils ont d’abord perdu la troisième en 1939-1940, mais les Américains, les Britanniques et les Russes l’ont finalement gagnée en 1945. La guerre de 1914-1918 est la Première Guerre mondiale. On l’appelle aussi la Grande Guerre. Mon père a fait la Seconde Guerre mondiale, celle de 1939-1945. Mes deux grands-pères ont fait la première.
– Comment sont-ils partis à la guerre, tes grands-pères ?
– Ils sont partis comme tous les autres hommes de leur âge : le 2 août 1914. C’était la mobilisation générale. Mobiliser, c’est cela : prendre les hommes chez eux pour en faire des soldats. En ce temps-là, tous les hommes en bonne santé faisaient leur service militaire quand ils avaient vingt ans. Ils allaient dans des casernes et ils apprenaient pendant deux ou trois ans le métier de soldat. Ils constituaient une armée de 500 000 hommes, prêts à se battre. Mais ce n’était pas suffisant pour faire la guerre ; il fallait beaucoup plus de soldats. Mobiliser, c’est rappeler à la caserne tous les hommes qui ont fait leur service militaire. En mobilisant tous ceux qui avaient jusqu’à quarante-huit ans, on a rassemblé une armée de plusieurs millions de soldats. On avait mis en réserve les fusils, les uniformes et tout ce qu’il fallait pour les équiper.
Le 2 août 1914, le gouvernement décida la mobilisation générale. Il demanda aux préfets et aux maires de mettre des affiches pour le faire savoir à tout le monde, car il n’y avait à ce moment-là ni radio ni télévision. Dans les villages, les affiches risquaient de ne pas être vues. Or, à l’époque, beaucoup de Français vivaient dans des villages. Il y avait plus de paysans que d’ouvriers ou d’employés. Comment prévenir tous ces hommes, qui travaillaient dans leurs champs ? On fit sonner le tocsin, la grosse cloche de l’église, celle qui sonne pour les enterrements, ou pour les incendies. D’ailleurs, quand ils ont entendu le tocsin, beaucoup de paysans sont rentrés chez eux prendre des seaux à eau, puis ils sont allés retrouver les autres à la mairie, car ils pensaient qu’il fallait éteindre un feu. À cette époque, il n’y avait pas de pompiers à la campagne ; on jetait des seaux d’eau sur le feu pour l’éteindre. À la mairie, on leur a dit que c’était la guerre. Ils sont rentrés chez eux, ils ont regardé leur livret militaire pour savoir où ils devaient aller. Ils ont fait leur sac, embrassé très fort leurs enfants, leurs femmes, leurs mères, qui essayaient de ne pas pleurer, et ils sont partis pour la caserne. Ils se faisaient du souci : qui allait finir les récoltes ? Comment les femmes, les enfants, les vieux parents qui restaient à la maison se débrouilleraient-ils sans hommes ?
Extraits
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