Editions Gallimard
5 Rue Gaston Gallimard - 75328 Paris cedex 07
Le 2 février 2012.
Monsieur,
Les libraires indépendants sont indispensables au maintien d'une variété et qualité de l'offre éditoriale dont dépend la richesse culturelle de notre société. Il faut les aider à faire face aux difficultés qu'elles rencontrent pour éviter leur disparition qui serait grave pour tous.
C'est un discours que l'on entend fréquemment aujourd'hui et auquel, me semble-t-il, vous adhérez.
Je suis un de ces libraires indépendants, le seul d'une ville de 70 000 habitants (à l'exception d'un libraire spécialisé en bandes dessinées). Depuis 19 ans, m'accommodant de très faibles revenus et faisant face à toutes sortes de difficultés, je m'efforce de faire correctement ce métier et de le faire _entièrement _: ne me contentant pas d'empiler des « meilleures ventes » sur des présentoirs, mais défendant un fonds et organisant de nombreuses animations dont plus de 200 rencontres _véritables_ avec des auteurs, parmi lesquels des auteurs Gallimard. Je pense que vous ne l'ignorez pas puisque, en 2008, une commission du Centre National des Lettres que vous présidiez m'a accordé une subvention récompensant ce travail.
Aujourd'hui, un organisme de recouvrement agissant à la demande de la Sodis, société de Distribution appartenant au groupe Gallimard que vous présidez, me menace de la guillotine si je ne lui paye pas séance tenante 2 464 euros (dont 319,94 € de « frais » et 11,14 € d'« intérêts »).
Cette somme est la queue d'une dette plus importante que je n'ai pu payer à échéance en une seule fois, l'année passée ayant été fort difficile, et que je me suis efforcé de régler par petites tranches. Mais la « patience » dont la comptabilité de la Sodis a fait preuve a pris fin et on me met sous la gorge un couteau qui contribuera peut-être à m'égorger, mais ne résoudra pas le problème. Car si j'ai des soucis de trésorerie ce n'est évidemment pas en alourdissant ma dette par des « frais » de recouvrement exorbitants que l'on améliorera ma capacité de remboursement ! Cette pratique d'une « logique » aberrante, si elle peut sembler se justifier d'un point de vue comptable étroit, s'apparente tout de même à un processus consistant à couper la branche sur laquelle on est assis. Car s'il s'agit, pour la survie de la richesse éditoriale, d'aider les libraires à ne pas disparaître, il y a contradiction : ce n'est pas en accentuant leurs difficultés qu'on les aidera à les surmonter.
En 2008, déjà confronté à des difficultés de ce genre, j'avais fait la même remarque à la direction comptable de la Sodis, dans un courrier dont je vous avais envoyé copie. Cela m'avait valu, de la part de cette direction comptable une réponse où l'on me démontrait tout ce que l'on avait déjà fait pour moi (report d'échéances) et ce que cela avait coûté à la Sodis. Je n'ai pas jugé alors utile de poursuivre ce dialogue de sourds en essayant de démontrer à la Sodis qu'elle perdrait peut-être un peu plus si ma librairie disparaissait. Il est vrai que ce n'est pas un gros chiffre d'affaires, mais, n'étant pas réalisé qu'avec des « Best Sellers », il compte peut être un peu pour les éditeurs dont nous essayons de défendre le fonds, sans parler de ce que ça apporte à leur image.
C'est d'ailleurs dans l'espoir d'éviter la répétition d'un tel dialogue de sourds que je m'adresse aujourd'hui directement à vous, ayant bien appris de la sagesse populaire et de ma propre expérience qu' « il vaut mieux s'adresser au Bon Dieu qu'à ses saints ».
Je dois le répéter ici : si j'ai des difficultés à payer à échéance certaines sommes que je dois à mes fournisseurs ce n'est pas dû à de la mauvaise volonté (Je serais bien plus tranquille si je pouvais payer rubis sur l'ongle !) mais à un ensemble de conditions qui pèsent sur l'exercice de ce métier, parmi lesquelles la marge commerciale trop faible.
Aujourd'hui, je ne serai sans doute pas confronté à de telles difficultés, si j'avais eu, en guise de remise, la même que celle consentie d'entrée de jeu à des hypers ne faisant aucun effort de travail qualitatif. Mais, malgré une belle « charte » signée entre éditeurs et syndicat des libraires, c'est toujours le quantitatif qui prime dans le calcul des remises alors qu'en toute logique ce devrait être le qualitatif, c'est-à-dire le travail du libraire valorisant celui de l'éditeur surtout et y compris dans ce qu'il produit de moins prévendu.
En tenant compte d'avoirs créditant des retours effectués récemment, je ne dois réellement à la Sodis que 903,65 €. Cela justifie-t-il l'envoi d'huissiers et autres menaces accentuant les difficultés de ma librairie et pouvant contribuer à la faire chuter ?
Je pense avoir été suffisamment puni de mes défaillances trésorières en ayant eu mon compte à la Sodis fermé pendant les mois cruciaux des fêtes de fin d'année (Imaginez comme il est facile à un petit libraire de garder sa clientèle sans pouvoir commander ne serai-ce qu'un Folio !). Croyez-vous bien nécessaire de m'ajouter une telle cerise empoisonnée sur un tel gâteau toxique ?
« Ecrivons ensemble 2012 » disent vos vœux de bonne année.
Je veux bien, à condition que vos services ne m'en empêchent pas.
Gérard Lambert-Ullmann
LIBRAIRIE _VOIX AU CHAPITRE_
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