#Roman francophone

Carrare

Célia Houdart

Un prévenu attend une décision de justice. Une femme juge perd sa bague et le sommeil. Sa fille apprend à tailler le marbre dans un atelier à Carrare. Un berger parle au téléphone en dialecte. Un enfant rêve assis sur un muret au soleil. Ils partagent un même temps minéral. Un jeu d'ombre et de lumière vient troubler l'immobilité des sculptures.

Par Célia Houdart
Chez P.O.L

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Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française

1

 

 

Au comptoir d’un café qui venait de changer de propriétaire, Marian demanda un expresso et un croissant fourré à la confiture d’abricots. Les mains qui se tendaient pour dire bonjour et le mouvement des tasses et des verres d’eau faisaient glisser des formes floues sur l’inox dépoli. Marian prit ensuite la direction du nord de la ville. Des rues distribuées en étoile autour de la piazza dei Cavalieri affluaient des étudiants. Jeans étroits. Cheveux plaqués sur le front ou retravaillés au gel devant un miroir. Les cyclistes faisaient des écarts pour ne pas déranger les couples qui marchaient côte à côte en se tenant par la taille.

 

Le tribunal était un bâtiment des années 1930 à la façade monumentale percée, dans le sens de la hauteur, de trois ouvertures rectangulaires surmontées d’une loggia. Devant l’entrée se tenaient deux carabiniers dont l’un était un très jeune homme. Dans l’escalier un greffier s’appliquait à rajuster, la main enfouie à l’intérieur du bras de sa veste, la manche de sa chemise qui tire-bouchonnait.

Marian entra dans son bureau, une petite pièce aux murs peints en gris clair. Elle retira les fleurs fanées d’une azalée rose qu’elle fit tomber en pluie dans une corbeille à papiers, tout en pensant aux phrases qu’elle allait devoir prononcer lors de la deuxième journée d’audience. Elle ôta son imperméable et enfila sa robe par-dessus ses vêtements de ville.

Le hall du tribunal résonnait déjà de voix dont l’écho se répercutait dans l’escalier. Marian glissa des dossiers dans une serviette en cuir noir. Puis elle promena son regard autour d’elle à la recherche d’une bague. Une aigue-marine qui avait appartenu autrefois à sa mère. Elle la portait à l’annulaire de la main droite et avait pris l’habitude de la faire pivoter avec le pouce car l’anneau était un peu trop large pour son doigt. Elle chercha entre des livres, souleva des range-documents. Il n’y avait rien. Elle se dit que sans cette bague au moment de parler elle buterait sur chaque mot.

 

 

 

 

2

 

 

Une fourgonnette s’arrêta à l’aplomb des premières marches de l’escalier du tribunal. Un homme équipé d’un gilet pare-balles descendit par la porte arrière en serrant le bras d’un autre homme d’une quarantaine d’années, brun et mince. À cause de leur taille, ils durent se baisser et ils marquèrent tous deux un temps d’arrêt parce que le soleil les éblouissait. Au même moment, le conducteur fit claquer la porte de la cabine. Il s’approcha du jeune carabinier qui se tenait à l’entrée du tribunal, et lui remit une feuille bleu pâle protégée par une pochette en plastique dans laquelle était glissé un stylo bille. Pendant que le jeune homme signait de ses initiales le document, l’autre carabinier demanda à l’homme mince de lui tendre ses poignets qu’enserraient des menottes. Le carabinier posa ses mains ouvertes en forme de pinces sur les bracelets d’acier qu’il fit glisser doucement vers lui. Il inspecta la serrure et les points qui supportaient le plus de tension. Le scintillement du métal le gênait. Il dut cligner des yeux pour bien voir. Puis les deux carabiniers se placèrent de part et d’autre de l’homme mince en le tenant par le bras. Le plus âgé lança un ordre d’un ton un peu sec avec une pointe d’accent napolitain en désignant du menton l’escalier qui se trouvait devant eux.

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04/11/2011 134 pages 14,00 €
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