#Roman francophone

Celle que vous croyez

Camille Laurens

Vous vous appelez Claire, vous avez quarante-huit ans, vous êtes professeur, divorcée. Pour surveiller Jo, votre amant volage, vous créez un faux profil Facebook : vous devenez une jeune femme brune de vingt-quatre ans, célibataire, et cette photo où vous êtes si belle n'est pas la vôtre, hélas. C'est pourtant de ce double fictif que Christophe -pseudo KissChris - va tomber amoureux. En un vertigineux jeu de miroirs entre réel et virtuel, Camille Laurens raconte les dangereuses liaisons d'une femme qui ne veut pas renoncer au désir.

Par Camille Laurens
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française


PROLOGUE

ENREGISTREMENT AUDIO. DÉPOSITION No 453 AJ – (ARCHIVES GENDARMERIE NATIONALE DE R.)

 

Je discutais avec lui depuis vingt minutes il me parlait d’un article que j’avais publié il avait écrit sur le même thème j’aimais bien ses yeux verts cheveux noirs les cheveux noirs j’avais envie de m’enfouir dedans il y avait du blanc sur les côtés des cheveux gris-blanc m’enfouir dedans y plonger le visage tout entier les toucher sentir leur masse les respirer et d’un seul coup sa voix a changé elle est devenue très douce je l’ai entendue très tendre pleine de suavité oui d’attention suave il répondait à oui une étudiante elle est venue lui poser une question une jeune fille brune avec une écharpe rose elle a demandé quelque chose et il m’a tourné le dos comme ça sans un mot d’une seconde à l’autre pfft sans un mot sans une excuse j’ai cessé d’exister comme ça sans je vous demande pardon je vous demande une minute me suis retrouvée toute seule idiote mauvaise sans pardon mon sourire suspendu dans le vide je le voyais je voyais ma bouche sourire ma bouche bête et rouge ils leur regardent les dents comme à des chevaux ils leur tâtent les seins les fesses on l’a pendue cette femme vous savez bien elle avait tué l’homme qui l’avait violée ils l’ont pendue ils nous tuent c’est la haine vous savez c’est la haine écoutez c’était dans le journal je l’ai découpé écoutez regardez je l’ai épinglé sur mon manteau là vous voyez
Sur une affichette placardée aux entrées des marchés on trouve les tarifs c’est là vous pouvez lire Fillette de 1 à 9 ans : 200 000 dinars (138 euros) Fille de 10 à 20 ans : 150 000 dinars (104 euros) Femme de 20 à 30 ans : 100 000 dinars (69 euros) Femme de 30 à 40 ans : 75 000 dinars (52 euros) Femme de 40 à 50 ans : 50 000 dinars (35 euros)
Le marché aux femmes ils les vendent mais regardez lisez : « les hommes hilares », « les acheteurs amusés » Les femmes de plus de 50 ans ne sont pas commercialisées, étant impropres à l’usage que veulent en faire les acheteurs. De plus leur prix ne justifierait pas leur nourriture et le coût du transport pour les acheminer du lieu de capture au marché. Les plus chanceuses se sont converties à l’islam, les autres, la majorité, ont été égorgées non je ne me calme pas ils nous vendent ils nous tuent pourquoi je me calmerais enfin écoutez ils nous tuent nous ils nous liquident tout est dans le journal ça dépend ce que vous lisez comme journal vous êtes des hommes aussi c’est votre job c’est votre came alors ils disent Macron le ministre c’est louche sa femme qui a vingt ans de plus que lui tout le monde se marre faut vraiment que ce soit un pauvre type un faiblard une larve ou alors elle est pédophile les gens disent leur dégoût quelle horreur ce couple les femmes aussi rigolent elles rient de leur mort annoncée des mortes vivantes des flinguées en sursis elles ne le savent pas ils nous tuent même à la naissance mais non pas seulement en Chine en Inde ici on naît « c’est quoi ? c’est une fille » on n’est plus rien on naît rien Moscovici il a une femme qui a trente ans de moins que lui « La belle et le ministre » c’est les titres des journaux tandis que Macron, c’est « le séducteur de vieille » personne ne nous aime personne c’est horrible tu le vois dans la rue tu le sens t’es vieille les regards me traversent ou m’attaquent dégage casse-toi tu pues la mort tu sens le moisi vous avez vu Madonna les gens lui reprochent de « vouloir continuer à exister » c’est ça ce sont les mots exacts que j’ai lus dans le journal un vrai journal un journal sérieux « à cinquante-cinq ans Madonna est pathétique de vouloir continuer à exister » qu’est-ce qu’il faut alors il faut vouloir cesser d’exister il faut se retirer de soi-même comprendre qu’on n’a plus rien à faire là plus de place je n’ai plus de place je ne sais pas où me mettre tiroir cercueil aller dans la boîte il ne sert à rien d’être jeune sans être belle ni d’être belle sans être jeune les hommes mûrissent les femmes vieillissent c’est beau un homme la nuit une femme c’est triste laissez-vous mettre au cercueil quelle transparence quelle transparence je suis transparente mon père est vitrier disparais tu comprends tu piges dégage tu captes marche à l’ombre va mourir

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01/01/2016 185 pages 17,50 €
Scannez le code barre 9782070143870
9782070143870
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