Le Rêve de Lucine

Mbiavanga Wilson

Pépé n'est plus. Un nouveau monde apparaît ; un monde dans lequel personne ne connaît les règles d'accompagnement. Comment expliquer la suavité d'une vie ? Pourquoi faut-il accepter la mort ? Est-ce un crime de la renier, de se battre contre elle ? L'enfance n'enterre ses rêves qu'après de nombreuses batailles. Et Lucine Essence venait de perdre son meilleur ami, son seul confident. Fille de sa mère, donc héréditairement obstinée, elle se retrouve dans une aventure peu enfantine, toutefois même brutale pour les adultes : l'expérience de sa propre finitude.

Par Mbiavanga Wilson
Chez Les Editions du Net

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Genre

Littérature française

I – Au revoir

 

La bonne humeur se déploie par le Soleil et la Lune. Elle est par essence lunatique. L’existence de l’homme s’entraperçoit avant les premières manifestations de l’aurore. Car le réveil commence par un néant, un vide envahissant, mais ne nous entraînant jamais dans la tourmente. Cette phase dans laquelle toute question, tout doute, disparaît pour un instant. On ne se demande plus ce que l’on est, pourquoi et comment nous devons être. Le silence avant les jaillissements de lumière ressemble parfois à un malaise. Voilà pourquoi certains retombent directement dans leur sommeil : il s’agit de s’éloigner le plus loin possible des vicissitudes monotones. Ou simplement de la vie. 

Cette expérience matinale avait été celle de tout un paisible village d’une centaine d’âmes environ. Elles n’étaient pas amères, mais les visages l’étaient. Géographiquement fermé du reste du monde, reclus parce que barricadé par d’imposantes collines himalayennes dont le vert émeraude contrastait avec le bleu obscur du ciel. Le temps s’était ralenti en ce dimanche, donnant un caractère authentique aux structures gothiques qui abritaient la plus grande partie de la population. En ce début de juillet, le feuillage était, par mystère, tombé d’arbres aux troncs tordus et aux branches nues qui rappelaient des poses peu attirantes d’un exotisme macabre. Rues et cul-de-sac, de coutume effervescents de vivacité, semblaient s’être élargis par la morosité ambiante. 

Les habitants ne sortaient pas ce matin. Ils ne dormaient pas non plus. Certains, d’un regard soucieux, veillaient chaque coin de rue depuis les volets de fenêtres à moitié ouverts. Les plus jeunes avaient eu le courage de descendre dans les jardins aux gazons encore humides. Cependant, la brume se dissipait rapidement comme pour accentuer un suspens ou un souci nourrissant leurs esprits dans l’attente d’une nouvelle déjà connue. Une irrévocable nouvelle e laquelle personne n’avait foi. Une nouvelle qui rappelait une banale injustice du monde, quand bien même le monde n’eut jamais été parfait. Ce que les villageois attendaient et refoulaient au plus profond de leurs êtres, les Essence le leur apportaient. 

La famille Essence se composait de quatre éléments, chacun avec une particularité déconcertant celle de l’autre. C’était une famille ordinaire. Mais parce véritablement ordinaire, elle ne pouvait qu’apparaître anormale aux yeux des autres. Un inconnu pouvait passer près de l’un des membres de cette famille et le ressentir. Mais ce qui les rendait si uniques n’était pas visible par le faciès, ni même par la posture inquiétante que certains d’entre eux exagéraient, sans apparente provocation. Ce qui les rendait si atypiques découlait sans aucun doute de ce que leurs ancêtres avaient pu leur transmettre. Ce qui distinguait les Essence était leur pensée : ils avaient tous la fâcheuse, mais néanmoins naturelle tendance à l’incarner. Et ceux qui avaient eu la chance de les rencontrer prenaient conscience du tournant qu’un seul échange de parole avec eux pouvait avoir dans leur vie. 

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01/07/2015 64 pages 12,00 €
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