#Roman francophone

Une vie pornographique

Mathieu Lindon

Les premières lignes du nouveau roman de Mathieu Lindon (prix Médicis 2011) en disent très précisément le sujet et le programme. Le sujet c'est une sérieuse addiction à l'héroïne du personnage principal, Perrin. Le programme c'est la description romancée mais systématique et précise de tous les aspects de cette intoxication : intimes comme sociaux, éthiques comme matériels, physiques comme intellectuels. C'est la mise en scène et en écriture de toutes les ressources de la mauvaise foi pour justifier l'addiction et clamer son caractère provisoire.Avec son extraordinaire sens du paradoxe, l'auteur de "Ce qu'aimer veut dire" se régale à jouer de cette mauvaise foi. Ce sont aussi les rencontres qu'elle provoque, ses effets sur l'amour et combien l'amour peut-être aussi intoxicant que l'héroïne. Comme l'héroïne, l'amour ne peut être résumé à calme, luxe, joie et volupté...

Par Mathieu Lindon
Chez P.O.L

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Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française

L’héroïne met un nom sur les choses de sa vie : intoxication, trafic, compulsion. Dépendance et indépendance. Elle n’apporte rien à Perrin de ce qu’il en espère que d’éphémère, et durablement ça qu’il n’attendait pas.

 

Il obtient le numéro de portable de Manuel et le code qui va avec la commande – la discrétion est indispensable, en cas d’écoute.

Ça fait des années qu’il prend de l’héroïne, qu’il y est accroché même s’il n’emploierait jamais ce terme, et il est toujours à l’affût d’un nouveau dealer quand les circonstances, à savoir la police, ont la peau du précédent. Les dealers sont comme les animateurs télé et les amants sans préservatif, ils ne se retirent jamais à temps. Et quand l’un tombe, la clientèle a besoin d’un autre.

Perrin appelle.

–  Je voudrais un demi-DVD, dit-il, soumis au ridicule du camouflage.

 

 Et le rituel abandonné avec Youssef pour cause de disparition subite reprend pour des mois avec Manuel, jusqu’à disparition subite. Toujours la même cérémonie. Le boucher offre-t-il un verre accompagné d’une conversation amicale avant de servir sa viande, ou la boulangère avec chaque baguette ? Son DVD ou demi-DVD, Perrin ne l’a jamais sans payer non seulement de son argent mais de sa personne. Il doit parler comme si l’héroïne n’était pas la cause unique de sa venue. On dirait que le dealer (Manuel, Youssef, les précédents) aurait une mauvaise image de soi s’il ne procédait qu’à un échange drogue-espèces. Ou la conversation est un petit geste commercial malvenu, sous-entendant que le drogué n’est pas juste un client, une épave, ça ne mange pas de pain de lui rappeler qu’il est aussi un être humain. Compassion imbécile, indiscrète.

 

Pourtant, cela a plus de sens avec Manuel. Il possède une douceur inaccoutumée dans la profession. Et le boulot de Perrin, déjà maître assistant à l’université de Tours où il n’a que deux jours consécutifs hebdomadaires de présence requise, semble lui donner une plus haute idée de sa propre valeur sociale. Ils partagent comme s’ils étaient les seuls les idées que la terre entière partage, en résumé qu’un monde meilleur est souhaitable. Souvent, Céline est là, la copine de Manuel, et Sandra, leur gamine de deux trois ans. En fait, c’est par rapport à Céline que Manuel est soucieux de sa position, pour qu’elle ne puisse pas prétendre que Sandra souffre de la situation. Il y a toute une fausse amitié dans la conversation, une connivence sans objet, bien sûr, mais cette fiction crée une réalité, un lien particulier se noue, ne serait-ce que par la durée plus importante des visites. De fait, Perrin est enclin à prendre le parti de Manuel contre Céline, les quelques fois où ça se pose, car, après tout, l’enfant semble élevée correctement.

Manuel tire gloire de cette vie familiale. C’est touchant comme il est fier de subvenir aux besoins de tous, permettant à Céline de reprendre de difficultueuses études de psychologie. Il a un job peu bureaucratique mais qui nourrit copine et enfant. À l’égal de tous ses collègues, il prétend ne pas consommer lui-même d’héroïne (ou peu), gage d’honnêteté, et pourtant il en a drôlement l’air, perpétuellement défoncé. La pesée du gramme ou demi-gramme est une épreuve, plus pour Perrin que pour lui. Ça nécessite mille précautions qui, vu l’état de Manuel, prennent un temps fou. Il s’y soumet prétendument pour éviter toute fraude mais le gramme est une unité abstraite dont Perrin ne peut pas déterminer à l’avance à quel point elle est coupée, de sorte qu’un gramme ressemble rarement à un autre, fussent-ils chacun rigoureusement pesés.

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03/10/2013 263 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9782818019511
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