#Roman francophone

Le roman de Xénophon

Takis Théodoropoulos

Je l'ai rencontré pour la première fois au temps où j'étais assis sur les bancs de l'école. Le célèbre "Darius et Parysatis eurent deux enfants" par lequel s'ouvre le plus illustre de ses textes, L'Anabase, avait inauguré quelques-unes de ces heures d'ennui grammatical toujours recommencé que nous partagions avec nos maîtres. T. T. Transformer un écrivain réputé scolaire en héros de roman, c'est bien le pari tenu par ce livre. Entre fiction et histoire, Takis Théodoropoulos met en lumière un personnage d'une troublante modernité. Celui qui durant l'expédition des Dix Mille affronta les troupes d'Artaxerxès, traversant des pays de neige et de vent, fut en effet le premier écrivain à parler à la première personne. Exilé d'Athènes pour le soutien qu'il accordait à Sparte, il rêva jusqu'à son dernier souffle de renverser le régime démocratique. Beau comme Alcibiade, il épousa une ancienne courtisane qu'il avait sauvée d'un viol collectif. Son fidèle compagnon, un certain Thémistogène de Syracuse, fieffé soûlard et coureur de jupons, lui servit de secrétaire, mais peut-être écrivit-il lui-même quelques-uns de ses textes, sur tous les bouts d'écorce qu'il put trouver durant les expéditions militaires... Singulièrement dépoussiéré par la narration allègre et ironique de son homologue contemporain, Xénophon descend de son piédestal : victime des petites manigances d'un Platon mesquin, qui enfouissait un à un les manuscrits de son rival dans les caves obscures et infestées de rongeurs de la bibliothèque de l'Académie, il devient aussi vivant que la galerie de personnages secondaires - mercenaires, courtisanes et traîtres -qui peuplent cette biographie romanesque de facture inédite.

Par Takis Théodoropoulos
Chez Sabine Wespieser Editeur

0 Réactions |

Genre

Romans historiques

I

HISTOIRES DE CIGUË

Le drame qui se jouait à la Pnyx ce jour-là, l’un des pre- miers du printemps 403 av. J.-C., avait pour thème la diffé- rence, humaine, trop humaine, entre la force et la fai- blesse. L’enjeu, comme cela se produit souvent en de pareilles circonstances, c’était la vie ou la mort, mais malgré le tragique de la situation, la manière dont le drame se dérou- lait penchait dangereusement vers la comédie. Roux et nerveux, l’un des deux protagonistes du drame, un nommé Théramène, avait été arraché de l’autel et s’efforçait avec les pieds de repousser un comparse qui, répondant au nom de Satyros, était énorme, teigneux et mordait le mollet poilu du suppliant. Il voulait l’obliger à renoncer à la protec- tion que lui offrait l’embrassement convulsif de la pierre sacrée et lui faire boire la ciguë. Satyros était la cheville ouvrière du second protagoniste, l’illustre Critias, celui qui était à la tête du régime que l’histoire a inscrit au chapitre « tyrannie des Trente 1 ». Vainqueur de la joute oratoire qui venait de l’opposer à Théramène, son ancien camarade devenu son adversaire, Critias suivait des yeux, tout en refré- nant son ironie, les outrages dont sa future victime faisait les frais. 

Un peu plus loin, légèrement en retrait par rapport à la foule, à quelques pas de la pinède qui s’étend encore et toujours sur la colline de la Pnyx, un troisième personnage semblait avoir adopté le rôle de l’observateur objectif - et pourquoi pas aussi du juge ? - de la confrontation, dans la mesure où, quelques décennies plus tard, il s’agirait pour lui de la raconter à la fin du deuxième livre de ses Helléniques. Son nom à lui était Xénophon2, il avait vingt-sept ans cette année-là et, de l’avis général, il semblait être un pur produit de l’Athènes agonisante. Il était beau comme Alcibiade, dont la beauté a pour elle la bonne réputation des modèles classiques, mais il différait de lui sur le plan de la pudeur et de la timidité, ses cheveux châtain clair étaient assez abondants pour qu’il les gardât longs à la manière des Spartiates qu’il admirait et le manteau qu’il por- tait était entièrement rouge, comme ceux des Spartiates préci- sément qui ne voulaient pas laisser paraître le sang de leurs blessures tant qu’ils se divertissaient durant le combat. C’était un membre éminent de la cavalerie des Trente et un ami de Socrate. 

C’est à cette dernière particularité, l’amitié qui le liait au père de toute philosophie, qu’il conviendra par préférence d’imputer le regard introverti avec lequel il suivait l’évolution du drame tragi-comique. Étant donné que les deux protago- nistes de la scène, Critias et Théramène, étaient l’un et l’autre des amis de Socrate, il avait quelque raison ce jour-là de s’interroger et d’être perplexe quant à la force de la philosophie et la faiblesse des gens qui sont appelés à 

Commenter ce livre

 

trad. Michel Grodent
09/11/2005 344 pages 24,35 €
Scannez le code barre 9782848050386
9782848050386
© Notice établie par ORB
plus d'informations