#Polar

Le Mystère Fulcanelli

Henri Loevenbruck

Un meurtre dans une vieille église de Séville. Un assassinat dans une bibliothèque parisienne. Un ancien manuscrit dérobé. Et voilà que surgit de nouveau le nom du plus mystérieux alchimiste du xxe siècle : Fulcanelli ! Depuis près de cent ans, chercheurs et historiens tentent de découvrir qui se cachait derrière cet énigmatique pseudonyme. En acceptant de mener l’enquête, Ari Mackenzie, ancien commandant des services secrets, fait une plongée vertigineuse dans les milieux ésotéristes du siècle dernier. Parviendra-t-il à dénouer la plus étonnante intrigue de l’histoire de l’alchimie ?

Par Henri Loevenbruck
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Policiers

Avant-propos

 

Ce livre est un roman. Une fiction, qui fait avant tout la part belle à l’imaginaire.
Toutefois…
D’abord, l’affaire Fulcanelli – comme on pourrait l’appeler – est bien réelle, et la plupart des événements et des protagonistes que vous rencontrerez dans cette aventure le sont donc aussi. Tout ce qui concerne l’identité de Fulcanelli est authentique et vérifiable. Si vous désirez en découvrir davantage sur ce passionnant sujet, vous pouvez vous rendre sur le site Internet que nous avons créé à cette occasion, et sur lequel se trouvent photos, films et copies de nombreux documents : www.mystere-fulcanelli.com
Ensuite, ce roman est le résultat d’une enquête longue de plusieurs années, qui a débouché sur des découvertes inédites et très étonnantes au sujet de ce qui reste la plus grande énigme de l’ésotérisme moderne. Nous espérons qu’il ouvrira la voie à de nouvelles recherches, afin de confirmer, ou non, ce qui est ici avancé…

 

 

 

 

 

 

 


« Un savant qui se moque du possible est bien proche d’un idiot. Respectons le possible, dont personne ne connaît les limites, et soyons attentifs et sérieux devant le monde extra-humain d’où nous sortons et qui nous attend. »
VICTOR HUGO

 

 

 

 


À la mémoire de Jacques Sadoul,
qui a eu l’idée saugrenue de nous quitter pendant que j’écrivais ce livre, pour lequel il m’avait donné de précieuses informations…

 

 

 

 

 

 

Livre premier
IN ICTU OCULI

 


1.

 

L’homme qui pénétra, à la nuit tombée, dans l’église de la Santa Caridad, à Séville, avait toutes les raisons de croire qu’il était seul dans ces murs.
Il se trompait.
À quelques pas des berges du Guadalquivir, l’édifice baroque, nappé du bleu royal que les nuits d’été déposent doucement sur cette partie du globe, se dressait comme un songe dans le silence ténébreux de la cité endormie. La courte nef, coiffée d’une voûte en berceau, était plongée dans une obscurité que seules quelques bougies allumées ici et là, et près de s’éteindre, venaient émailler de leurs dernières vacillations. L’air, à la fraîcheur saisissante, était saturé de l’odeur poudrée des jasmins, un parfum qui, par sa puissance, n’évoquait pas tant les plaines fleuries de Chine que les encens d’une chambre funéraire. Et d’ailleurs, l’homme frissonna.
Après une traversée périlleuse sur les toits, depuis la rue Tomás de Ibara, il avait cassé un carreau d’un coup de coude dans le bâtiment qui jouxtait l’église, avait attendu un instant pour s’assurer que le fracas n’avait attiré personne, puis était entré par la petite porte située à hauteur de l’autel. La manœuvre s’était avérée ardue, mais moins risquée que de fracturer l’entrée principale, à la vue d’éventuels noctambules. Le cœur battant, craignant de se faire prendre à chaque nouveau pas, il avait lentement descendu la nef pour rejoindre sans bruit le vestibule.
La Mort, dont les plus sinistres allégories occupaient la grande majorité des représentations de l’église, semblait s’être invitée à jamais entre ces hauts murs de pierre, prête à s’abattre sur l’imprudent profanateur.
En d’autres circonstances, sans doute eût-il aimé s’arrêter devant chaque peinture, chaque sculpture, devant le retable de Bernardo Simón de Pineda, flamboyant, les statues de Pedro Roldán, figurant une bouleversante mise au tombeau, les toiles lumineuses de Murillo, les moulures, les colonnes envahies de dorures, les splendeurs cachées dans les niches, et consacrer à chacune de ces œuvres d’art bien plus de temps que la nuit ne pouvait lui en prêter. Mais, ce soir-là, il n’était venu voir qu’une seule chose.
Un seul trésor, et le plus grand d’entre tous ; celui qui lui livrerait – il n’en doutait plus – la clef d’un mystère qui durait déjà depuis près d’un siècle.
Un tableau de Juan de Valdés Leal.
Les yeux brillants, la bouche entrouverte, il s’approcha, fébrile, de ce panneau haut de plus de deux mètres qui, accroché au-dessus de la porte latérale, semblait garder l’entrée de l’église tel Cerbère celle des enfers. Rapidement, son regard se perdit, envoûté, dans les détails tout droit sortis de l’imagination macabre du peintre espagnol.
Il était difficile de croire qu’une figuration si triomphante de l’horreur ait pu trouver sa place au cœur même d’un lieu saint : dans un sombre charnier, où s’amoncelaient crânes et ossements, on pouvait distinguer trois cercueils ouverts. Le plus éloigné accueillait, dans l’ombre, un squelette. Dans les deux autres, placés tête-bêche au premier plan, gisaient un évêque et un gentilhomme. Le prélat, grouillant de vers et de larves, portant encore la mitre sur son crâne putréfié, semblait s’agripper à sa crosse pastorale comme il n’avait su le faire à la vie. Le gentilhomme, enfin, dans un état de décomposition moins avancé, était drapé dans le manteau blanc de la Calatrava, cet ordre militaire et religieux hispanique, cousin de celui du Temple. En haut du tableau, comme descendue du firmament, une main gracile tenait suspendue au-dessus des cadavres une balance chargée de nombreux artefacts évocateurs.
L’homme fit quelques pas en avant pour franchir les derniers mètres qui le séparaient de la célèbre peinture.
Tendant la main droite, il voulut toucher la toile, mais elle était si haut perchée qu’il ne parvint qu’à effleurer les dorures de son cadre ouvragé. Quand bien même il voyait l’original pour la première fois, il aurait pu en décrire chaque détail les yeux fermés, tant il l’avait étudié. Mais pouvoir le voir de si près, en si grand, provoqua chez lui une émotion où se mêlaient euphorie et appréhension. C’était comme tenir, après un long périple, la dangereuse et magnifique coupe du Graal entre ses paumes.
Son regard remonta lentement vers la représentation du plateau qui pendait à gauche de la balance, et où se chevauchaient multiples symboles du péché. Puis, sur la droite, ils glissèrent vers le second plateau, où étaient représentés des objets pieux. Le tout était parfaitement équilibré. Le Bien ne l’emportait pas sur le Mal.
Reculant d’un pas, l’homme étudia la chouette, réfugiée au fond de l’ossuaire dans un rayon de lumière et qui dévisageait l’observateur d’un regard accusateur.
— Quoi ? lui lança-t-il d’un air dépité, comme si l’animal avait pu répondre.
Il poussa un soupir.
Quelque chose lui échappait. La révélation à laquelle il s’attendait semblait ne pas vouloir se faire. Pourtant, il était sûr que tout était là, devant ses yeux. La clef du mystère se cachait quelque part dans les arcanes de ce tableau. Et le seul moyen de la trouver était de venir le voir sur place, dans ce lieu pour lequel il avait été conçu en 1672, et dont il n’avait jamais été délogé depuis lors.
Mais pourquoi ? Qu’y avait-il ici qu’on ne pouvait voir sur les innombrables reproductions de ce chef-d’œuvre.
L’homme plongea la main dans la poche intérieure de sa fine veste de lin et en sortit un carnet marron. Malgré la faible lumière, il parvint à relire – pour la millième fois peut-être – le court texte qui se trouvait sur les premières pages. Ses yeux faisaient des allers et retours entre le carnet et le tableau, comme s’il essayait d’établir un lien, de résoudre une énigme.
Après un long moment d’une silencieuse torpeur, il enfouit de nouveau le carnet dans sa poche et recula aussi loin qu’il put, de l’autre côté du vestibule. Peut-être fallait-il observer l’œuvre avec plus de distance, sous un autre angle. Une autre lumière. Mais, là encore, aucune évidence ne lui sauta aux yeux. Aucune épiphanie.
Avait-il fait tout ce chemin, avait-il pris tous ces risques pour rien ? Non. Le carnet était clair : il fallait venir ici pour comprendre. La réponse n’apparaîtrait peut-être pas si facilement, et la joie de la découverte était souvent proportionnelle à la pénibilité des recherches.
S’il le fallait, il resterait là toute la nuit. Et s’il ne trouvait pas, il reviendrait la nuit suivante, et la suivante encore. Car la quête qu’il s’apprêtait à terminer était celle de toute une vie. Depuis près d’un siècle, des milliers de chercheurs, aux quatre coins du monde, s’efforçaient, comme lui, de résoudre ce mystère, et le trésor promis était d’une valeur inestimable. Pas seulement d’un point de vue matériel, mais aussi - surtout – philosophique.
Lors, refusant de céder au découragement, l’homme retourna au pied du tableau et entreprit de l’inspecter une seconde fois, de plus près encore.
À la fièvre, à l’exaltation de l’explorateur s’ajoutait maintenant une grandissante angoisse. Chaque seconde qui passait multipliait ses chances de se faire prendre, ou de se faire doubler. Certes, il aurait pu pénétrer ici en plein jour, en toute légalité, mais l’attention qu’il devait porter aux détails aurait sans doute rapidement paru suspecte et, surtout, il préférait qu’on ne le voie pas en ces lieux.
Morceau par morceau, il scruta la toile, sa matière, ses couleurs, la marque du temps sur sa surface ; il analysa les multiples objets qui la composaient, la chouette incriminatrice, les insectes qui couraient sur le cadavre de l’évêque, sa mitre, ses vêtements, les inscriptions sur les plateaux de la balance et le phylactère à la base du tableau, ces quelques mots qu’il avait si longuement étudiés, les crânes, les ossements, le cœur, la croix, la Bible… Se hissant sur la pointe des pieds, il s’attarda sur la main qui tenait la balance. Était-ce la main du Christ, ou bien celle d’une femme, comme certains l’avaient prétendu ? La blessure sur sa paume, évoquant un clou de crucifixion, faisait pencher pour la première hypothèse… Et la couleur des cercueils, l’un rouge et l’autre noir, cachait-elle quelque chose ? La position du rat, du chien, la tête de chèvre ?
Il y avait forcément un élément qui lui avait échappé. Une image cachée, un texte encrypté, une anamorphose, invisible sur les reproductions ? Il chercha longtemps encore, de plus en plus fébrile, de plus en plus impatient, et puis, soudain, alors qu’il venait de prendre de nouveau du recul, la chose lui apparut.
Évidente. Inattendue. Là. En hauteur.
Un sourire illumina son visage.
Oui. C’était ça ! C’était forcément ça ! Car ce qu’il venait de découvrir, il n’aurait pu le voir sur aucune copie de ce tableau. Comment n’y avait-il pas songé plus tôt ?
Dans un élan d’émotion incontrôlable, il sentit les larmes monter à ses paupières, comme une libération tant attendue, une délivrance. Soudain, tout prenait sens. Toutes ses recherches, toutes ses convictions, ses hypothèses… tout s’éclairait.
La main tremblante, il chercha le carnet dans sa poche. Ses doigts, trempés de sueur, glissèrent sur la surface de cuir. Mais avant que de pouvoir s’en saisir, tout à coup, il entendit un bruit. Là, juste derrière lui. Un frottement, à quelques centimètres à peine. Et ce fut comme si les battements de son cœur s’étaient arrêtés.
L’homme eut tout juste le temps de se retourner.
La lame du couteau pénétra brusquement dans la chair de sa poitrine. Un souffle. Sa bouche se figea dans une grimace de stupeur. L’émotion dans son regard se mua en incompréhension, puis l’incompréhension en anéantissement. Retenu par la lame enfoncée dans son cœur, il était déjà tel un cadavre pendu au gibet.
— Toi ? marmonna-t-il d’une voix rauque, les yeux trempés de larmes.
À peine eut-il reconnu le visage de son bourreau que la vie le quitta.
Le couteau ressortit d’un coup sec. Le corps s’effondra lourdement sur le sol, alors que le sang, déjà, se répandait sur le tissu blanc de sa chemise, écho troublant à l’hémorragie du Christ qui, à quelques mètres de là, suffoquait sur sa croix pour l’éternité.
Le meurtrier, avec des gestes sûrs, sans émoi, essuya doucement la lame souillée, la rangea à sa ceinture, puis s’accroupit à côté du cadavre de sa victime et prit le carnet dans sa poche.
Quand il sortit de l’église de la Santa Caridad, le sourire sur son visage était celui de Judas. Mais celui-là n’éprouvait nul repentir et n’irait point se pendre.

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09/10/2013 413 pages 21,00 €
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