#Essais

Le pique-nique des vautours. Ou comment le capitalisme détruit la planète

Greg Palast

20 avril 2010, une plate-forme pétrolière explose dans le golfe du Mexique - bilan : onze morts et une marée noire. Quelques jours plus tard, un message confidentiel arrive sur le bureau de Greg Palast : un informateur très bien placé lui conseille de chercher les causes de l'explosion dans les méandres d'une pétro-dictature d'Asie centrale. A partir de là se déroule une enquête qui, de l'Alaska au Liberia en passant par Fukushima, dévoile bien plus queue l'enchaînement de circonstances ayant mené à une catastrophe parmi tant d'autres. Car ce que Greg Palast dévoile, c'est la manière dont les grandes compagnies pétrolières parviennent à mettre la main sur des pays entiers et ruinent la planète en profitant de la complicité, plus ou moins active, des institutions financières internationales. Avec un sens de l'intrigue et du rebondissement digne des meilleurs romans d'espionnage, Le Pique-nique des vautours met en scène une équipe de reporters prêts à tout pour explorer la face noire de la mondialisation. Doté pour seules armes d'un humour dévastateur, d'une solide expérience du monde des affaires et d'une capacité d'indignation hors norme, Greg Palast expose avec clarté les pratiques inavouables des industriels du secteur de l'énergie et donne un visage à ces vautours de la finance prêts à tout pour gagner encore plus, qu'importe le nombre de leurs victimes.

Par Greg Palast
Chez Editions Denoël

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Genre

Développement durable-Ecologie

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Goldfinger

 

 

 

 

 

ROLLING HILLS, ENVIRONS DE NEW YORK

 

C’est de ma faute : je suis radin. On m’avait pourtant bien conseillé de louer une camionnette blanche, un véhicule utilitaire qui ne se ferait pas remarquer sur une route où il n’y a que des BMW et des Porsche Carrera. Mais j’ai eu peur que la BBC refuse de payer pour la location de ladite camionnette (et j’avais raison), c’est pour ça que je me retrouve au volant de Menace Rouge, ma vieille Honda toute pourrie dont le voyant « Problème de freins » ne s’éteint jamais.

Je m’en fous, je ne bougerai pas. Je tiendrai le temps qu’il faudra.

Ou plutôt j’espère pouvoir tenir. Il fait un froid de gueux. Le café que j’ai acheté chez Dunkin’ Donuts est glacé. Et il va falloir que j’aille pisser les trois tasses que je me suis envoyées en attendant que le Vautour daigne franchir le portail électrifié de sa résidence pour aller « au travail » — c’est-à-dire là où je vais essayer de le suivre avec ma voiture rouge grotesque.

Et voilà que le bon Dieu m’envoie la neige. Une saloperie de neige épaisse qui transforme tout en paysage immaculé — tout, sauf mon tas de ferraille rouge. Au point où j’en suis, je pourrais mettre un autocollant géant sur le capot : JE SUIS EN PLANQUE. JE VOUS FILE.

On a commencé à 4 heures du matin. Quand on filme ce genre de scène, à l’image, ça donne toujours un truc très classe : longue focale pour la tension dramatique, accélération, face-à-face final. Mais, après quatre heures d’un froid épouvantable, il n’y a plus rien de classe. Il y a juste ma vessie qui hurle.

Badpenny m’appelle depuis la Toyota qui surveille l’entrée de l’immeuble où le Vautour a son bureau. Même problème : Jacquie et elle ont envie de pisser. Un petit détail qui pourrait tout foutre en l’air. Tout ça parce que le bon Dieu a oublié de permettre aux femmes de se planquer derrière un arbre et de laisser quelques traces jaunes dans la neige. Non, les femmes veulent de vraies toilettes, en porcelaine : bref, il va falloir que Badpenny et Jacquie quittent leur poste. D’accord, bordel, allez-y, trouvez une station-service, mais s’il vous plaît, ne vous faites pas remarquer.

Ricardo fait un petit câlin à sa caméra. Son bébé. Ricardo est calme. Ricardo est toujours calme. Il revient d’Irak, où son calme lui a d’ailleurs sauvé la vie. Ricardo n’a jamais faim, Ricardo n’a jamais froid, Ricardo n’a jamais besoin d’aller pisser. Je ne sais pas ce qu’il prend, mais je veux bien la même chose.

Je lui dis : « On reste. » Mais pourquoi ? Si même Dieu n’en a rien à foutre du Vautour et de ce qu’il a fait à l’Afrique, pourquoi est-ce que moi, je devrais m’en soucier ? Que Dieu aille se faire foutre.

Si j’étais psy, je dirais que je suis là parce que mon père avait un magasin de meubles dans le quartier latino de Los Angeles. Son boulot consistait à vendre de la merde à crédit aux Mexicains. Plus tard, il s’est mis à vendre de la merde de luxe à des riches, à Beverly Hills. Il détestait les meubles. Et moi je détestais ces connards d’acheteurs blindés de fric et les poules à qui ils offraient ces meubles. L’odeur de leur pognon me répugnait, et plus encore l’odeur des cadavres des mecs qu’ils avaient tués pour le gagner. C’étaient tousdes Vautours. Et nous, on était leur repas.

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trad. Laetitia Bianchi, Raphaël Meltz
05/09/2013 520 pages 25,00 €
Scannez le code barre 9782207114063
9782207114063
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