#Roman francophone

Marie Joly

Jean-Luc Bizien

C'est dans la maison de Marie Joly, oasis de paix au cœur du bocage normand, que Cécile va trouver refuge, en avril 1944, loin de Caen bombardé. Cette femme volontaire et émancipée, dentiste réputée, part seule avec sa mère - son mari, médecin, travaille à l'hôpital - et ne tarde pas à recueillir sous son toit quelques laissés-pour-compte dont elle s'emploie à assurer la subsistance. Aux problèmes quotidiens d'approvisionnement s'ajoutent bientôt, bien plus cruciaux, ceux de la cohabitation avec l'ennemi. La maison devient en effet une base arrière pour les troupes allemandes en attente du débarquement Cécile est obligée de composer avec les soldats de la Wehrmacht, puis avec les Waffen SS. Dans ce huis-clos étouffant, avec pour bruit de fond les rumeurs de la bataille, l'attente est insupportable. Les Anglais et les Canadiens découvrent pourtant avec suspicion cette maisonnée en bonne santé, et pour Cécile la libération sera une autre épreuve. Magnifique portrait d'une femme singulière confrontée aux exigences de la survie en temps de guerre, le roman de Jean-Luc Bizien, loin de tout manichéisme, livre un regard sensible et décalé sur quelques mois de la grande histoire que l'on croit connaître.

Par Jean-Luc Bizien
Chez Sabine Wespieser Editeur

0 Réactions |

Genre

Littérature française

Cécile se redressa en sursaut. Elle plissa les paupières, éblouie par la lumière. Derrière la vitre du compartiment, la campagne normande déroulait un panorama d’émeraude. Le bruit lancinant du train plongeait la jeune femme dans la tor- peur, mais il lui fallait rester sur ses gardes. À tout moment, un contrôleur pouvait entrer, escorté par des militaires. On inspecterait ses papiers, on lui demanderait des explications... Et c’en serait fini. Elle serra son sac, sentit sous l’étoffe les précieuses lettres et poussa un soupir. Il y avait des heures qu’elle avait quitté la ville, et le chemin était encore long jusqu’au camp.

Pour tromper l’attente, elle prit le petit calepin dans lequel elle notait soigneusement ses rendez-vous et le feuilleta. Les consultations s’étalaient de page en page. Elle prit quelques notes en prévision du retour. Il faudrait travailler plus pour rattraper le retard. Le stylo griffait le papier, au rythme de son écriture nerveuse et pointue. Cécile referma le carnet et reporta son attention sur le paysage. Il faisait beau, la campagne était radieuse. L’été 1942 était particulièrement chaud. 

Pourquoi avait-elle accepté cette mission? La question demeurait sans réponse. Bien sûr, Pierre lui manquait terrible- ment depuis qu’on l’avait emmené. Mais quoi d’autre ? Elle avait vécu deux ans seule avec sa mère dans l’appartement de la place de la République, pourquoi décider si soudainement de traverser la Normandie dans l’espoir de le voir ? Elle ferma les yeux. 

 

C’était arrivé au cours de l’été 1940. De la fringante armée française, il ne restait plus rien. La grande masse de ses soldats de fortune avait été relâchée, pour être plus tard réquisi- tionnée par l’occupant. Le mari de Cécile, chirurgien de renom, n’avait pas échappé à la règle. On l’avait pris un matin pour le conduire dans un camp. Il se trouvait à Marcoing, une bourgade près de Cambrai, où il officiait sous la surveillance des Alle- mands. 

Depuis, Cécile se morfondait dans l’attente d’un hypothé- tique retour. Elle vivait avec Jeanne, sa mère. La vieille dame était handicapée. Elle avait eu autrefois un accident très grave, en compagnie de son mari. Leur voiture était sortie de la route pour finir sa course contre un platane. Ils en avaient miracu- leusement réchappé. Quand par hasard Cécile et son époux évoquaient l’accident, Pierre raillait son beau-père, qu’il tenait pour piètre conducteur, et rappelait à qui voulait l’entendre qu’il y avait « un bon Dieu pour la canaille ». Jeanne s’en était sortie vivante mais estropiée, un genou définitivement abîmé. Depuis l’accident, et sa chute par la portière, elle était mutilée et mar- chait péniblement à l’aide d’une canne. Elle ne pouvait des- cendre l’escalier seule et vivait recluse dans le grand apparte- ment. Jeanne faisait le ménage, et s’acharnait à garder le logis impeccable. Jamais elle n’en parlait, mais le souvenir cuisant de cet accident la hantait chaque jour. Et l’âge n’avait pas arrangé sa situation, elle culpabilisait de se retrouver dans cet état. « Je suis une charge pour toi, radotait-elle, une vieille infirme. Je t’ai condamnée, ma pauvre fille... » 

Commenter ce livre

 

01/04/2004 346 pages 21,30 €
Scannez le code barre 9782848050225
9782848050225
© Notice établie par ORB
plus d'informations