#Roman francophone

Boléro

Michèle Lesbre

Boléro. Dans l'euphorie du début des années soixante et sur fond de guerre d'Algérie finissante, une gamine, Emma, découvre le cinéma, l'amour fou, la réalité du monde et la mort. La musique entêtante du Boléro de Ravel rythme les deux étés à la campagne pendant lesquels Gary Cooper et Marilyn, plus vrais que la vraie vie, le disputent à Fred et Paul, ses Jules et Jim, sous la bienveillante protection de Gisèle, leur initiatrice et leur mentor. Bien des années plus tard, alors qu'Emma est solitaire et perpétuellement en quête d'un emploi, le passé resurgit, évoqué une fois encore par la musique du Boléro qui ravive les blessures de la guerre d'Algérie. Avec ce portrait tout en nuances d'une adolescente qui s'ouvre à la conscience du monde, et de la femme qu'elle est devenue, Michèle Lesbre, comme dans ses précédents romans, porte un regard subtil sur une vie en apparence ordinaire, une de ces trajectoires singulières qui ancrent l'écriture dans le réel.

Par Michèle Lesbre
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Littérature française

J’avais découvert cet hôtel par hasard, un jour de pluie, en automne. Il paraissait pouvoir abriter les bonheurs les plus insensés, protéger un peu de la vie ordinaire. Tout à l’heure j’y suis entrée seule, prétendant m’appeler Roslyn Taber sans que la femme à l’accueil parût surprise. Je suis montée jusqu’à la chambre 11. J’ai ouvert la fenêtre, pris une douche, bu un verre d’eau et suis ressortie en remarquant le piano dans le hall d’entrée, avec un énorme bouquet de roses posé dessus. Des roses d’un rouge sang qui illuminaient le palissandre. Derrière la porte vitrée, le passage s’étirait jusqu’au boulevard où dansait une clarté poudreuse, que la chaleur accumulée faisait bouger dans les derniers rayons du soleil.

Les boutiques étaient encore ouvertes. J’ai erré de l’une à l’autre, feuilleté quelques revues à l’étalage d’une librairie, aperçu dans une vitrine sept nains en plâtre qui semblaient attendre Blanche-Neige, acheté des gâteaux à La Tour des Délices

Je sortais d’un rendez-vous avec un dénommé Coursebarre que j’avais sans doute laissé dans la plus grande perplexité, ce qui n’était pas pour me déplaire. Les jours précédents, je m’astreignais à la lecture fastidieuse de brochures destinées à me donner quelques conseils pour les entretiens d’embauche. Ce n’était qu’une litanie déconcertante de propos dont la pertinence m’échappait le plus souvent. Ma place n’avait rien d’évident dans ce monde étrange. Je commençais même à penser qu’il était raisonnable de l’admettre et peut-être d’en rester là, malgré les jours à venir, les dépenses modestes et néanmoins incontournables qui se profilaient. 

Hier, comme d’habitude, j’étais descendue de mon cin- quième étage aux environs de midi. Le facteur devait être passé, et, à cette heure-là, j’étais assurée de ne rencontrer personne dans l’immeuble. Je redoute les rencontres fortuites qui vous obligent à de médiocres civilités. Il y avait bien une lettre pour moi mais, au moment où je m’en emparai, j’ai aperçu un nom sur la boîte aux lettres d’à côté, celle d’un appartement du sixième étage inoccupé depuis bientôt un an. Des bruits inhabituels m’avaient intriguée les nuits d’avant, je pensais avoir rêvé. Jusqu’à ces derniers jours, aucun nom n’était indiqué, ni sur l’interphone ni sur la boîte aux lettres. Désormais je pouvais lire « B. Verdier » sur les deux. J’ai jeté un coup d’œil à l’enveloppe qui m’était adressée. Le cachet de la poste était à peine lisible et j’ai cru deviner « Loire ». Per- suadée d’avoir mal lu, j’ai vérifié sous la lumière du plafon- nier, je ne m’étais pas trompée. 

Soudain, j’étais transportée ailleurs, dans un autre temps, et j’avais l’impression que quelqu’un m’appelait. J’entendais par- faitement la voix, toujours un peu rauque. Elle provenait du chemin de terre et je courais derrière la haie. Je ne risquais pas de voir les champs onduler jusqu’aux bois de chênes, mais j’étais bel et bien plantée au milieu. J’apercevais la brume au-dessus de l’étang, j’entendais le vol bas des ramiers, une odeur de terre humide, d’herbe chaude et de vase envahissait le hall. 

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07/01/2003 119 pages 14,20 €
Scannez le code barre 9782848050072
9782848050072
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