#Roman francophone

Ca sent le tabac

Bernard Jannin

Première cigarette au coin de la rue dans les années 50, havanes gastronomiques de la maturité ou calumet de la méditation dans l'âge : fumer aura ponctué, influencé, parfois même déterminé l'existence du narrateur... Alternant visites curieuses, gourmandes ou nostalgiques dans l'univers du tabac, et épisodes intimes tour à tour cocasses, sombres ou voluptueux selon plaisir ou dépendance, Ça sent le tabac est le tracé romanesque dans la cendre du temps qui passe d'une authentique vie en fumée.

Par Bernard Jannin
Chez Champ Vallon Editions

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Genre

Littérature française

 

 

Pour Josué; aux flammes, à la fumée, aux cendres de sa jeunesse, que j’ai tant aimé partager.

 

En souvenir de Roger Stéphane et de Jean-Jacques Brochier, camarades qui ne manquaient ni d’esprit, ni de toupet, ni de tabac.

 

«En fumant, vous abrégez votre vie, me dit-on. Je fume depuis l’âge de dix-huit ans, j’en ai soixante-cinq, si je n’avais pas fumé, j’en aurais soixante-dix. Je serais bien avancé!»

 

Alexandre Dumas père

 

 

 

 

 

 

1

 

 

Il avait beaucoup consumé de tabac pendant une longue partie de sa vie, sans pour autant souhaiter jamais qu’on incinérât sa dépouille après sa mort. Il estimait qu’il aurait produit auparavant suffisamment de cendre et de fumée comme cela. À défaut de parvenir à le faire dessus, c’était au milieu d’un nuage qu’il se déplaçait dans l’existence; respirant tantôt les hauts plateaux, tantôt les fonds de cendriers. La nébulosité odorante pouvait incommoder l’entourage, imprégner les lieux où il passait, colorer ceux dans lesquels il vivait des années de suite. Naguère, bizarrement, fumer enfumait moins, mais fumer enfume, il le savait. Au fur et à mesure que le temps et ses défilés de modes ou de toquades à ce propos passaient sur lui, il souffrait doublement, contradictoirement, de son tabagisme: à cause des autres, pour les autres.

Comme la nuit en fait office chez nombre de ses congénères, son cirrostratus lui servait d’écran, de filtre, de voile ou de rideau, qui sait de fossé, devant la vie et le monde. Leurs figures imposées et démarches conventionnelles, pour lesquelles il était congénitalement peu fait et n’avait pas été formé, ni seulement nourri d’exemples familiaux. Selon lui, fumer: n’était-ce pas se mettre à l’écart, se dérober devant lesdites réalités et responsabilités de l’existence? Une manière de s’évaporer devant d’autres fumées infectes qui auraient depuis longtemps pénétré son intérieur? D’échapper à quelque étreinte peut-être bien douloureuse, et à tout le reste? Non sans risques, affirmaient désormais les étiquettes figurant tels des faire-part sur les emballages à tabac! Il se posait continuellement ces questions, pour ainsi dire quotidiennement. Ne devait-on, ne pouvait-il, prendre cela, déjà, comme un bon signe? Ce n’était pas à lui de répondre.

 

Tantôt blanc, tantôt gris, tantôt bleu, son petit nuage pouvait renseigner sur son humeur de l’instant, sa condition morale du moment; pourquoi pas son activité ou son travail, ses sentiments, ses pensées. Le faire paraître figé dans la posture d’un «commendatore», «commodore» ou commandeur nimbé – arrogant, concluait hâtivement qui bornait l’analyse à la taille du pétun consumé pourtant sans ostentation –, inhalant, exhalant successivement en permanence: substance prodigieuse ou pestilentielle, fumée sibylline ou nauséeuse, selon point de vue des voisins de proximité… Quant à de présumés symbole phallique, manifestation d’égocentrisme, autoritarisme, que pouvait figurer à sa main ou sa bouche le moindre stick, il ne se sentait pas concerné. Juste un peu beaucoup de névrose du temps des cigarettes.

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02/08/2010 171 pages 14,50 €
Scannez le code barre 9782876735347
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