#Polar

Le manuel du serial killer

Frédéric Mars

Dans deux ou trois heures tout au plus, ce garçon sera mort. Je vous raconte la suite ? Les hululements de douleur du môme qui se tient le ventre à deux mains ? Ses convulsions sur le sol de la cuisine familiale ? Les cris de la mère qui découvre son fils déjà quasi exsangue ? Raide comme une batte. Vidé ou presque de son sang, écrasé comme un petit cafard sur le carrelage immaculé. Les yeux du gamin ont cessé de papillonner. Le coma ne va pas tarder à l'emporter. Même avec la meilleure volonté du monde, le médecin ne sera pas sur place avant plusieurs minutes. Et, sans soins immédiats, il va... Alors, je vous la raconte ou pas, cette suite ? Non. Je vais plutôt vous parler de moi. C'est ça, de moi seul. La mort est en moi. Là, dans ma tête. Elle y a toujours été comme chez elle.

Par Frédéric Mars

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Genre

Policiers

Dans deux ou trois heures tout au plus, ce garçon sera mort.

Raide comme une batte. Vidé ou presque de son sang, écrasé comme un insecte sur le carrelage immaculé de la cui- sine familiale. Petit cafard renvoyé au paradis des parasites. Sa mère glapira de détresse. Le chien aboiera son effroi. On appellera le médecin, les voisins, et bientôt les flics. Mais tout ce beau monde sera aussi impuissant que vous et moi. Un enfant de dix ans aura quitté ce monde. D’un coup de vent sec. Pfut.

Regardez-le, pourtant, sortir du stade, le sourire aux lèvres, bras dessus bras dessous avec son grand frère. C’est ce dernier qui lui a offert sa boisson multivitaminée, celle qu’on ne boit que les jours de match. Celle qu’ils achètent au petit stand ambulant qui stationne toujours à la porte B, pile en face de la grande statue de bronze qui glorifie les héros de Fenway Park. « Team Mates », dit la plaque. Les copains de l’équipe. Il lui a confié la monnaie nécessaire et l’a laissé s’approcher seul de la buvette, comme un grand.

Aussi loin qu’ils s’en souviennent tous les deux, et leur père et leur grand-père avant eux, cette roulotte a été là. Fidèle au rendez-vous. Déjà le jour du sacre historique de 2004, après quatre-vingt-six ans de disette, quand le petit n’était encore qu’un bébé hissé sur les épaules de son papa. Les jours de triomphe comme ceux, hélas plus nombreux, des cuisantes défaites.

Le gamin aux reflets roux sirote son jus frais et acidulé, ballotté par la foule qui se rue hors de l’arène. Ça lui fait tant de bien. L’automne a pris un peu de retard, cette année. Il faisait si chaud dans l’enceinte bourrée à craquer.

— T’en veux ?
Il tend l’emballage cartonné à son aîné.
— Non,merci...Après,j’auraitropenviedepisserdans

le métro.
De Fenway jusqu’à South Boston, ils en ont pour une

petite heure de transport, compressés entre des brochettes de supporters, dans les vieux wagons surélevés de la ligne D. Pas les plus confortables du réseau, loin de là, mais dont le bringuebalement familier leur est si doux, promesse des joies à venir dans un sens, souvenir des émotions passées dans l’autre.

Quand ils passent les portillons de la station, entièrement habillée aux couleurs des Red Sox, le petit est pris d’une sorte de hoquet. Comme un haut-le-cœur soudain.

— Ça va pas ? s’inquiète le plus grand.

— Si... Je crois juste que j’avale trop vite. Ça me gonfle le ventre.

— Vas-y mollo.
— Oui, mais j’ai tellement soif !
Alors il continue de boire. Il tire sur la paille avec avidité,

jusqu’à produire ce drôle de petit gargouillis au fond de la boîte qui signale qu’il est arrivé à la dernière goutte. À mesure que le métro progresse, ce bruit et les autres – cris- sements sur les rails, claquements des portes automatiques, beuglements des passagers enivrés par la victoire – se fondent dans un même bourdonnement continu. Un grondement qui emplit peu à peu tout l’espace.

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