#Polar

Montmartre Mont des Martyrs

Chantal Pelletier

Maurice Laice, l'enquêteur daltonien au cœur tendre qui promenait ses pensées noires dans Éros et Thalasso, Le chant du bouc (Grand Prix du roman noir français de Cognac 2001) et More is less, effectue un spectaculaire retour... en arrière ! Le 10 mai 1981, soir de l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, alors que la fête bat son plein, une famille est massacrée à Paris. Trois ans plus tard, alors que d'exceptionnelles manifestations déferlent dans les rues des grandes villes de France, Maurice Laice, jeune recrue de police dans son Montmartre natal, fouille les poubelles de la Butte et nous donne à voir, outre les joies et tourments de son premier amour, les bouleversements qui agitent 1984, année charnière que crise économique et désillusions transforment en singulier miroir de notre époque. Des squats d'artistes montmartrois aux manoirs bourgeois du Mâconnais, des boîtes de travestis de Pigalle aux galeries d'art blotties à l'ombre du chantier du futur Opéra Bastille, Maurice découvre que vingt-quatre ans n'est pas forcément le plus bel âge de la vie.

Par Chantal Pelletier
Chez Editions Gallimard

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Genre

Policiers

10 mai 1981

La fille souriait, insupportable sourire mou. Qu’elle dégage, vite ! Benji avait envie de la cogner, que ça gicle de sa peau intacte, de son anatomie modèle, sans histoires. Le glacé laisse de glace, comment se branler sur un marbre de Michel-Angeþ? Il enfila son slip, debout, l’air con du type qui enfile son slip, une jambe puis l’autre.

La pluie tapotait le toit, des coups de klaxon montaient de la rue, c’était parti pour la fiestaþ! Tripes anesthésiées, tête dans un frigo, Benji se foutait de l’élection de Mitterrand, toute cette foire, il se gratta le coude, arrachant des croûtes sèches avec ses ongles, son index pressa le bouton de la chaîne, la musique se mit à battre, Know Your Rights, les Clash lui remettaient du cœur au ventre, l’emportaient loin de cette foutue piaule.

Jean aux hanches, sur les épaules son sweat avec la tronche et la tignasse de Bob Marley, il se sentit soulagé d’avoir planqué son corps poilu, sa peau grise. Une canette de Kro tiédissait entre le tabac à rouler et les miettes de chichon sur une des étagères en bordel bourrées de cassettes, il en but la dernière gorgée tiède. Œsophage et estomac semblaient en place, même s’il n’en était pas tout à fait sûr. You have theright not to be killed / Murder is a crimeþ! / Unless it was done by a Policeman or aristocrat. Il se revit à genoux dans les chiottes du bahut en train de pomper Maxime. Le flash l’électrisa. La fiche dans la prise et trois cents projos faisaient péter la lumière pleins feux.

La fille était couchée sur le lit, à poil, la tête appuyée sur un coude, boucles coulant sur ses seins, immobile dans son corps de Celluloïd à la con, d’un blanc tranquille, trop tranquille, juste deux tétines rose pâle qui encapsulaient ses nichons et un écusson fauve qui agrafait ses cuisses. Un sou- rire poisseux lui écartait toujours la bouche.

—C’est pas grave !

Benji se détourna, la haine lui éclatait au ventre, des four- mis lui couraient dans la main, lui donnaient envie de claquer sa bouille de laitière normande, pour laisser se déchaîner la foutue tempête qui frappait ses côtes, pour se délivrer du mec doux à gueule d’ange qui n’était pas lui. Cloison étanche entre le dedans et le dehors, la digue était prête à rompre. Il s’entendit gueuler :

—On se casse !

Les bruits de klaxon montaient de la rue, des pétards explosaient, ambiance 14þJuillet, un sacré bordel devait régner dehors pour que le vacarme éclate si net à travers la fenêtre sur cour. Mitterrand élu, Benji s’en battait, mais c’était fun d’imaginer des connards perdant leurs cheveux par poignées à l’idée de perdre beaucoup plusþ: leurs planques, leur fric, leur culotteþ!

Il roula un stick, assis sur une pile de bouquins, le matos posé sur des cassettes vidéo. La vacheþ! Se cramant les doigts à la flamme du briquet qui chauffait le reste de shit, il émietta le tout, écrasa la pâte granuleuse à la pulpe de sesdoigts. Une odeur méchamment bonne l’emporta dans les rues du Trastevere, à Rome, les quais de la Giudecca à Venise...

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04/09/2008 235 pages 16,75 €
Scannez le code barre 9782070120635
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