#Polar

OSS 117 : Le sbire de Birmanie

Jean Bruce

OSS 117 ne pense pas qu'à ça ! A Rangoon, capitale de la Birmanie, dans le coffre-fort d'une ambassade, se trouve enfermé le dossier "Puppet". Connaître son contenu est d'une importance si cruciale que la CIA ne recule devant rien pour la réussite de cette opération. Pour accompagner son meilleur agent, le colonel Hubert Bonisseur de la Bath, on fera sortir de prison le grand spécialiste de l'ouverture de coffres. C'est le début des pires ennuis pour OSS 117, flanqué de cet homme fourbe et borné, qui ne pense qu'à l'argent - et aux femmes. Ce qui pourrait les rapprocher... Devenu culte depuis que Jean Dujardin l'a incarné avec humour dans les films de Michel Hazanavicius, l'agent OSS 117 est né en 1949 sous la plume de Jean Brochet, alias Jean Bruce (19211963), qui l'a fait vivre à cent à l'heure dans quatre-vingts romans d'espionnage. Il revient à l'écran en 2021 dans Alerte rouge en Afrique noire, de Nicolas Bedos.

Par Jean Bruce
Chez Archipoche

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Editeur

Archipoche

Genre

Romans d'espionnage

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1

Lily Lau se dressa sur l’avant ponté de la barque et plongea. Son corps harmonieux, long et plein, décrivit une courbe et revint à la surface. Elle s’ébroua, rejeta d’un mouvement sec ses cheveux noirs en arrière et pivota d’un coup de reins pour regarder Ho Wang.

— Elle est formidable !

Ho Wang, occupé à laisser couler au bout de sa chaîne la lourde pierre qui servait d’ancre, n’en doutait pas. La température des eaux du lac Inya descendait rarement au-dessous de 25 °C et, depuis deux ans qu’il vivait à Rangoon, il ne l’avait jamais connue simplement fraîche.

Presque immobile, se soutenant d’un léger mouvement continu des mains, Lily Lau observait son compagnon. À trente-cinq ans, Ho Wang était plus grand et plus fort que la majorité de ses compatriotes. Peut-être parce que, soldat depuis l’âge de vingt ans, il avait toujours mené une vie saine et sportive. Même depuis qu’il était entré dans la diplomatie en qualité d’attaché militaire, il continuait à se maintenir en forme.

Un bel homme, pensa la jeune femme. Puis, elle rectifia aussitôt : un bel adversaire.

Il plongea à son tour, impeccablement. Elle poussa une sorte de hululement au ras de l’eau, puis se renversa d’un mouvement souple et piqua vers le milieu du lac en nageant le crawl.

C’était devenu une sorte de rite. Chaque fois qu’elle l’accompagnait ainsi, en fin d’après-midi, pour venir se baigner, ils faisaient la course. Il était le plus fort et la rattrapait immanquablement, mais elle n’était pas vexée, au contraire. Il aimait cela et tirait de sa trop facile victoire un plaisir démesuré. Elle savait marquer ainsi des points à bon compte et cela seul importait…

Elle résista ce soir-là plus longtemps que d’habitude, mais elle l’entendit bientôt qui se rapprochait en trombe et cessa brusquement de lutter. Il la saisit par une cheville et tira. Elle s’enfonça et sentit le corps durci de l’homme frôler le sien, cependant que des mains indiscrètes touchaient sa chair nue…

Il ne manquait jamais d’en profiter. Cela faisait partie du jeu. Et elle ne manquait jamais de le laisser faire juste le temps qui convenait. Après quoi elle le repoussait, des bras et des jambes, en le grondant d’un ton mi-fâché mi-rieur :

— Voulez-vous bien être sage, monsieur l’attaché militaire !

Il tenait beaucoup, malgré ses sincères convictions communistes, à ce qu’on lui donnât ses titres. Ses subordonnés, à l’ambassade, l’appelaient « commandant », ce qui était son grade dans l’Armée rouge.

Ils nagèrent pendant une bonne demi-heure, ne pouvant se résoudre à quitter la fraîcheur relative du lac pour retrouver la lourde chaleur humide de l’extérieur.

Puis, Ho Wang donna le signal de la retraite. Il avait gardé de la vie militaire des habitudes d’ordre et de discipline, ainsi qu’un ton de commandement qui déplaisait parfois beaucoup à Lily Lau. Mais elle n’était pas là pour le contrarier. Elle ne lui refusait qu’une chose, une seule : il voulait qu’elle devînt sa maîtresse et elle ne voulait pas.

Pas encore.

Ils remontèrent dans la barque et se séchèrent avec les grandes serviettes-éponge couleur de sang, déposées là par Tam Kung, le « Maître-Jacques », l’homme à tout faire de Ho Wang. Puis, celui-ci remonta l’ancre et reprit les rames.

La maison de Ho Wang était située sur la rive ouest du lac. On y accédait par la route de Prome. C’était une très jolie maison blanche de style victorien, qui avait été construite par un Britannique. Un gazon anglais l’entourait, planté d’arbres magnifiques et odorants. Il n’y avait pas de machine à conditionner l’air, mais les ouvertures étaient disposées de façon à pouvoir établir un courant d’air permanent dès la tombée de la nuit et chaque pièce possédait son ventilateur suspendu au plafond.

Ils abordèrent au débarcadère de maçonnerie, qui s’enfonçait, comme un coin dans la pelouse. Ho Wang descendit le premier, attacha le léger bateau puis aida la jeune femme à mettre pied à terre.

Tam Kung sortit de la maison et vint à leur rencontre. C’était un garçon mince et musclé, qui n’avait pas encore vingt-cinq ans, d’humeur sombre et de caractère renfermé. Il avait une façon de regarder Lily Lau qui ne pouvait tromper celle-ci. Tam Kung la désirait, et la désirait follement. Elle le trouvait un peu inquiétant et pensait que cette passion silencieuse qu’il nourrissait pour elle était une vraie bénédiction. Les passions rendent aveugle. Indifférent, Tam Kung eût deviné les desseins de Lily Lau. Elle en était sûre…

Il portait une sortie de bain pour elle, et l’aida à enfiler les manches. Ses doigts effleurèrent les épaules nues. La femme ne put retenir un frisson, son regard vacilla. Ho Wang ne vit rien.

Elle entra la première dans le hall dallé et glissa ses pieds menus dans des socques afin de ne pas mouiller les marches en bois de teck de l’escalier.

Ils se rhabillaient au premier étage. Ho Wang dans sa chambre ; Lily Lau dans la chambre d’ami voisine

Elle était nue et finissait de sécher son corps magnifique et doré lorsque le téléphone sonna en bas. Elle cessa de se frotter pour écouter, mais Tam Kung ne parlait pas assez fort…

Quelques secondes plus tard, elle l’entendit monter et frapper à la porte de Ho Wang.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda celui-ci.

— C’est l’ambassadeur. Il demande où se trouve le dossier « Puppet ». Il en a besoin immédiatement.

Ho Wang laissa échapper un soupir excédé avant de répondre.

— Le dossier « Puppet » est dans le coffre de la salle du chiffre. Il devrait le savoir…

— Bien, commandant. Je vais le lui…

— Attendez, je vais le lui dire moi-même. C’est préférable… Prenez mon maillot et portez-le à sécher. Préparez aussi une chemise et un smoking. Je sors dans une heure…

— Bien, commandant.

Les pas de Ho Wang résonnèrent sur le palier, puis dans l’escalier. Ceux de Tam Kung, plus feutrés, pénétrèrent dans la chambre. Immobile, comme pétrifiée, Lily Lau essayait de comprimer, d’une main placée sous son sein ferme, les battements désordonnés de son cœur…

Le dossier « Puppet » ! S’être donné tant de mal depuis des semaines et des semaines pour gagner peu à peu la confiance de l’attaché militaire Ho Wang, et atteindre le but fixé, comme ça, le plus simplement du monde, par le plus naturel des hasards. Extraordinaire ! Elle savait maintenant qu’un exemplaire du dossier « Puppet » se trouvait à l’ambassade de la Chine populaire à Rangoon, et que ce dossier était conservé dans le coffre de la salle du chiffre. Elle avait fini son travail, ou presque… D’autres agents allaient maintenant entrer dans la danse.

Quelque chose d’indéfinissable l’alerta soudain. Elle se rendit compte que le bruit des pas de Tam Kung, dans la pièce voisine, avait cessé après s’être rapproché de la porte de communication. Il devait l’observer par le trou de la serrure, elle en était sûre. Elle sentit le poids de son regard sur sa peau nue qui se hérissa soudain…

Elle réussit à dominer le mouvement de panique qui la poussait à se cacher et recommença de frotter son corps avec la serviette, lentement, méthodiquement. Une bouffée de chaleur lui monta au visage à l’idée du garçon malade de désir, de l’autre côté de la porte. Il lui semblait entendre sa respiration haletante et, parce qu’elle était femme et Chinoise, double raison d’être perverse, elle prit plaisir à exploiter la situation…

Elle retrouva Ho Wang cinq minutes plus tard sur le gazon anglais, près de la table ronde, sous le grand palmier, où ils avaient accoutumé de prendre le thé. Bien installée dans un fauteuil de rotin garni de coussins de chintz, Lily Lau laissait son regard errer sur les splendeurs mauves déployées par le crépuscule au-dessus du lac. Des nuées de corbeaux criards emplissaient le ciel, venant de la ville où ils avaient charogné tout le jour et gagnant leurs quartiers nocturnes dans les îles boisées, d’où ils repartiraient à l’aube pour assumer leur travail de voirie dans les rues de Rangoon.

Ho Wang écrasa un moustique sur sa main et demanda d’une voix rauque, inhabituelle :

— Lily, voulez-vous m’épouser ?

Elle retint son souffle et pensa que c’était beaucoup d’émotions pour une seule soirée. Elle n’avait pas prévu que cela irait jusque-là. Elle chercha une parade dans le rire.

— Vous êtes adorable, commandant !

— C’est très sérieux, Lily.

Elle se pencha vers lui, posa une main sur le bras de son compagnon.

— Je vous aime beaucoup, mon ami. Vraiment beaucoup…

— J’ai compris, coupa-t-il amèrement en retirant son bras.

— Ne soyez pas comme ça. Ombrageux comme un cheval de course ! Je ne vous ai pas dit non.

Son visage buriné s’éclaira.

— Alors, c’est oui ?

Elle fit une moue et laissa tomber :

— Peut-être.

Il voulut répliquer, mais Tam Kung approchait sur la pelouse, avec le plateau. Le regard du garçon accrocha celui de la femme et une flamme sauvage éclaira les prunelles sombres. Lily Lau frissonna. Ho Wang s’inquiéta :

— Vous avez froid ?

Elle rit, un peu nerveusement.

— Avec cette chaleur ?

Puis elle décida de saisir la perche. Il lui fallait rentrer au plus tôt chez elle, Halpin Road, pour transmettre le renseignement recueilli.

— Je ne suis pas très bien, pour ne rien vous cacher. Je vais rentrer…

serviette, lentement, méthodiquement. Une bouffée de chaleur lui monta au visage à l’idée du garçon malade de désir, de l’autre côté de la porte. Il lui semblait entendre sa respiration haletante et, parce qu’elle était femme et Chinoise, double raison d’être perverse, elle prit plaisir à exploiter la situation…

Elle retrouva Ho Wang cinq minutes plus tard sur le gazon anglais, près de la table ronde, sous le grand palmier, où ils avaient accoutumé de prendre le thé. Bien installée dans un fauteuil de rotin garni de coussins de chintz, Lily Lau laissait son regard errer sur les splendeurs mauves déployées par le crépuscule au-dessus du lac. Des nuées de corbeaux criards emplissaient le ciel, venant de la ville où ils avaient charogné tout le jour et gagnant leurs quartiers nocturnes dans les îles boisées, d’où ils repartiraient à l’aube pour assumer leur travail de voirie dans les rues de Rangoon.

Ho Wang écrasa un moustique sur sa main et demanda d’une voix rauque, inhabituelle :

— Lily, voulez-vous m’épouser ?

Elle retint son souffle et pensa que c’était beaucoup d’émotions pour une seule soirée. Elle n’avait pas prévu que cela irait jusque-là. Elle chercha une parade dans le rire.

— Vous êtes adorable, commandant !

— C’est très sérieux, Lily.

Elle se pencha vers lui, posa une main sur le bras de son compagnon.

— Je vous aime beaucoup, mon ami. Vraiment beaucoup…

— J’ai compris, coupa-t-il amèrement en retirant son bras.

— Ne soyez pas comme ça. Ombrageux comme un cheval de course ! Je ne vous ai pas dit non.

Son visage buriné s’éclaira.

— Alors, c’est oui ?

Elle fit une moue et laissa tomber :

— Peut-être.

Il voulut répliquer, mais Tam Kung approchait sur la pelouse, avec le plateau. Le regard du garçon accrocha celui de la femme et une flamme sauvage éclaira les prunelles sombres. Lily Lau frissonna. Ho Wang s’inquiéta :

— Vous avez froid ?

Elle rit, un peu nerveusement.

— Avec cette chaleur ?

Puis elle décida de saisir la perche. Il lui fallait rentrer au plus tôt chez elle, Halpin Road, pour transmettre le renseignement recueilli.

— Je ne suis pas très bien, pour ne rien vous cacher. Je vais rentrer…

Elle releva les yeux, rencontra de nouveau l’inquiétant regard de Tam Kung et eut l’impression épouvantable que ce regard pénétrait jusqu’au plus profond d’elle-même et que ses pensées les plus secrètes se trouvaient soudain mises au jour…

La théière, qu’elle avait machinalement saisie, lui échappa des mains.

 

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08/07/2021 189 pages 6,00 €
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