#Roman francophone

L'aube le soir ou la nuit

Yasmina Reza

Un projet littéraire et audacieux. Yasmina Reza a suivi, dans des circonstances vraiment inouïes de liberté et d'indépendance, Nicolas Sarkozy pendant des mois. Ce sera donc là, vu par un grand écrivain, le portrait d'un homme parti à la conquête du pouvoir.

Par Yasmina Reza
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Littérature française

L’homme seul est un rêve. L’homme seul est une illusion. On les rêve dans une solitude embléma- tique mais les hommes font semblant d’être seuls. C’est un leurre. On les appelle des fauves, mais les fauves sont seuls. Sans doute sont-ils fauves dans leur arène, ailleurs ce sont des animaux domestiqués.

Dans le bureau de la place Beauvau où nous nous voyons pour la première fois, il écoute gentiment puis très vite je perçois, de façon infime, mais c’est une chose qui m’est familière, l’impatience.

Il a compris. Il est « honoré » que je veuille faire son portrait. Il dit, bref vous voulez être là. Je dis oui.

Plus tard, je parle avec mon ami Marc dans un café.
De toute façon vous l’inventerez. Les écrivains ont en commun avec les tyrans de plier le monde à leur désir.

Je dis oui.

Ni paysage. Ni ville. Longtemps je ne verrai rien. Ni lieu, ni lui.
Donc, ce jour, une route le long de rien. Panneaux, bifurcation. Hangars. Lieu du meeting. Engouffre- ment dans la loge. Il y a sans cesse des choses à picorer. Dans la salle de maquillage préfabriquée, des pruneaux, du chocolat, des pâtes de fruits. Lui picore sans cesse. Picore et engouffre à toute allure. J’avais déjà remarqué qu’il mangeait vite, comme j’avais déjà remarqué qu’il boitait.

En se rhabillant, après le meeting d’Agen, il répète, eux ils veulent diminuer le temps de travail, nous on veut augmenter le pouvoir d’achat. Il l’a déjà dit pendant le discours, devant six mille personnes. Il l’avait dit gravement la veille au soir, lors du dîner, chez lui au ministère (une gravité un peu ridicule, une sorte de test sérieux). Il répète la phrase devant ceux qui ne sont pas à convaincre, il est heureux, il répète les mots en changeant de chemise, encore incrédule et dans l’attente enfan- tine d’une énième approbation.

Pendant qu’André Glucksmann pose ses questions (chacune durant vingt-cinq minutes d’une voix lente et pédagogique) sur l’avenir de l’Europe, la politique énergétique commune ou le drame africain, il est de plus en plus affaissé dans son fauteuil, le haut du corps configuré pour la patience, les jambes affolées, s’écartant et se resser- rant dans un mouvement perpétuel.

À la fin de la garden party du 14 Juillet, il étreint Christian Clavier. Ils s’étreignent à la manière des acteurs. Fous de joie de s’aimer, de se désigner toi mon copain à la face du monde. C’est une étreinte que j’ai vue mille fois, sous toutes les latitudes, des acteurs qui ont à cœur de s’étreindre publique- ment, ivres de leur prestation, de cette surhumaine chaleur et ce rire démonstratif. Peu après, enfouis- sant sa cravate dans le sac noir qu’il emporte à Rome, il me dit, vous avez vu qui était là ? Vous avez vu?... Non... Les parents de Mathias. (Mathias ?...) Mathias, je crois me souvenir, est un petit garçon qui a été violé et tué dernièrement. La veille, avec Glucksmann et Bruckner, lors de l’entretien de politique étrangère, il avait réussi à glisser Mathias. Dont il m’avait déjà parlé je ne sais plus quand. Les parents de Mathias. Les parents de Mathias étaient là. Je hoche avec componction. Que peut-on faire d’autre ?

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21/08/2007 189 pages 18,30 €
Scannez le code barre 9782081209169
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