Premier épisode
– Où est Mek-Ouyes ?
La question à 1 000 k-ouyes était venue, pour la tordre, dans la plus belle bouche du Monde-Mondes, la bouche la plus ourlée, celle dont la lèvre supérieure ressemblait au déplacement d’un chameau sur les dunes.
– Où est Mek-Ouyes ?
La question à 10 000 k-ouyes était parvenue dans les paires d’oreilles les plus ordinaires du premier cercle de fidèles qui s’affairait autour d’Agatha de Win’theuil alors vice-présidente-directrice générale-factota du Monde-Mondes.
– Où est Mek-Ouyes ?
La question à 100 000 k-ouyes, embarrassante et patate chaude, se demandait si on allait l’étouffer en créant une commission d’enquête, si quelqu’un allait y répondre, si Agatha n’allait pas, de guerre lasse, la passer par pertes et profits.
– Où est Mek-Ouyes, à la in ?
Si la Lectrice avait eu, encore une fois, la parole, elle eût sans doute laissé son sang ne faire qu’un tour en s’agaçant du fait que la disparition de Mek-Ouyes, non ! c’était un effet usé dont il n’avait été que trop abusé. Elle était bien placée pour le savoir ! « Si Mek-Ouyes n’est pas retrouvé dans quatre à cinq épisodes tout au plus de cette Ve partie, je jure de ne plus lire une seule ligne de La République de Mek-Ouyes ! Et si je me parjure, oh ! que j’aille en enfer, qui est le pays du vrai malheur puisqu’il est le lieu sans livres et sans romans-feuilletons. »
Il reste que Mek-Ouyes n’était pas là, c’est-à-dire n’était pas au pied, à la présidence du Monde-Mondes qui s’était installée en Nouvelle-Turquie, à Foccia, non loin d’Izmir. Mek-Ouyes ne voulait toujours pas des charges les plus hautes que le suffrage universel truqué lui avait confiées. Mek-Ouyes vivait sa vie et exerçait sa liberté.
Ce n’était pas tant qu’on ne sût point où se trouvait Mek-Ouyes. Au contraire, on ne le savait que trop. Le directeur de cabinet d’Agatha de Win’theuil savait que Mek-Ouyes était à Kinshasa en voyage d’études ; la secrétaire générale de la présidence n’ignorait pas qu’il se dorait la pilule à Collioure entre mer et piscine ; les techniciennes de surface des locaux d’administration des services secrets savaient de source sûre qu’il se jouait à sa chatte incognito sur l’île Célèbes (Sulawesi) ; l’archiviste en chef du ministère de la Mémoire et des Grandes Causes Universelles affirmait qu’il assurait un enseignement à l’école des Hautes Études en Sciences politiques à 24 240 Mescoules, non loin de Bergerac et de Montbazillac, où se trouvait désormais délocalisée la Fondation Julius Watzki (on prêtait à Mek-Ouyes l’invention du concept de « gouvernaille », dont il détaillait les tenants et les aboutissants, nous y reviendrons) ; Agatha de Win’theuil en personne avait l’intuition qu’il était beaucoup plus près d’elle qu’il n’y paraissait, mais comme elle affirmait urbi et orbi qu’elle n’avait pas d’intuition, elle ne pouvait pas bénéficier des lumières de celle-ci ; John Flandrin, qui était alors bien en cour à la présidence pour ce qu’il commercialisait une machine de son invention qui transformait les kalachnikovs en socs de charrue, penchait, sans preuves, pour un monastère ladakhi ; la petite fille de Mek-Ouyes, Salimarnette la star, qui illuminait le feuilleton télévisé Annette aux cent visages, demandait qu’on voulût bien laisser son grand-père tranquille dans sa retraite genevoise : il se baignait tous les matins aux Paquis, et ce n’était pas difficile de l’y rejoindre si l’on voulait vraiment mettre la main dessus, mais à quoi bon ? ; Abdel VII, qui archivait à Sfax tout ce qu’il pouvait trouver de documents mek-ouyiens, laissait entendre que Mek-Ouyes était à Tunis en observation (cela voulait-il dire que des médecins l’observaient ou que lui-même observait le projet d’Abdel VII ?) ; Google interrogé disait qu’à la question il y avait mille deux cent vingt-deux réponses, et que toutes étaient excellentes.
Extraits
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