#Essais

On se calme ! Enfants agités, parents débordés

Olivier Revol, Josée Blanc Lapierre

Agités, incapables de fixer leur attention, insatisfaits chroniques, les jeunes tête-en-l'air sont d'autant plus difficiles à gérer que les adultes eux-mêmes participent à la frénésie ambiante : bouger, zapper, consommer, et plus que tout faire barrage à l'ennui. Tous hyperactifs ?. "Cette agitation n'est pas une maladie mais elle peut le devenir" et, dans les cas les plus sévères, pénaliser toute une vie et conduire à la spirale de l'échec. Sensible aux effets sur la santé des nouvelles technologies, hyperactif lui-même, le Dr Olivier Revol témoigne et appelle au calme. Résolument optimiste, il rassure cependant. Certains survoltés comme David Guetta, Maud Fontenoy, Florence Foresti ou le Dr Michel Cymes dont il analyse les cas, ont su faire de cette "hyperformance" l'atout de leur succès. A tous, enfants comme adultes, il propose des stratégies pour s'adapter aux diktats de l'urgence. Il livre un manuel de survie à l'intention des familles concernées et révèle les dernières hypothèses sur l'origine de cette pathologie qui touche une personne sur vingt !

Par Olivier Revol, Josée Blanc Lapierre
Chez Jean-Claude Lattès

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Genre

Couple, famille

Agités, impulsifs, peu concentrés. C'est ainsi que sont souvent étiquetés les enfants aujourd'hui. Face au phénomène, pédiatres et enseignants évoquent une épidémie. Les grands-parents, une fatalité : « Ils sont plus vifs et éveillés que nous à leur âge, nous on n'avait pas Internet ! » Les parents, quant à eux, ont de plus en plus de mal à gérer. Car eux-mêmes participent à la frénésie ambiante. Pression scolaire, stress à la maison et au travail, la société a donné un coup d'accélérateur. Imposé un rythme sans temps mort, et auquel presque plus personne n'échappe. Mères de famille débordées, cadres survoltés, politiques bousculés et « pipoles » surmenés.
Pas le temps de réfléchir. Prendre du recul, manquerait plus que ça ! Il y a plus urgent, faire barrage à l'ennui. L'ennemi public numéro 1. Ce qui motive, c'est le présent. Bouger, zapper, consommer. Un rythme d'enfer qui fait défiler les journées à toute vitesse. Peu importe, pourvu que les heures soient remplies à bloc. Et pour que l'emploi du temps tourne à plein régime, les idées ne manquent pas. Au travail, mise en place de nouvelles méthodes d'organisation qui accentuent la pression et le stress. À la maison, plus le temps de lever le nez, avec le petit dernier, les enfants du nouveau conjoint et ceux du premier mariage. Quant au temps libre, Internet se charge de le dévorer. Un clic suffit pour suivre un cours de yoga, faire une recette de grand chef ou écouter sa musique préférée. Cette nouvelle génération d'« hyper-agités » a fait du temps son pire ennemi. Pas le temps !
Et pour tuer le temps, cette déferlante du « Tout, tout de suite » a réussi un tour de force. Créer un nouvel espace, celui du Net et des réseaux sociaux. Un monde sur mesure pour les dispersés, agités et autres décalés de l'horloge biologique. Une planète numérique qui transforme les enfants impulsifs en héros et rend sages les plus turbulents. Un univers qui chasse l'ennui et sublime l'illusion.
Un monde façonné au besoin de changement. Avec sa palette de mobiles, tactiles et tablettes, sans cesse renou­velés. Une offre illimitée qui repousse les contraintes, calme l'impatience et nourrit les esprits voraces. Tout un arsenal adapté aux besoins des « proactifs» d'aujour­d'hui. À croire que Facebook ou Twitter ont été créés pour eux.
Alors pour nous médecins, ces nouveaux agités ont tout des « hyperactifs ». Le sont-ils vraiment ? Pas sûr... Dans une société de plus en plus programmée en mode accéléré, Phyperactivité fait le buzz. Le terme, parachuté dans le langage courant, est souvent employé à tort et à travers. Un « hyperprésident », une « hyperpdgère », un « hyperhéros » ne sont que des figures de style.
Au sens médical, hyperactivité, ce faux-ami, n'est qu'un symptôme parmi d'autres, comme les maux de tête ou les troubles du sommeil. Sa particularité est qu'il se voit davantage et surtout qu'il perturbe, l'enfant d'abord, puis son entourage. À nous d'en trouver rapi­dement l'origine pour proposer des solutions.
Dans certains cas, ce symptôme est lié à un dysfonc­tionnement neurologique, le Trouble Déficit d'Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) . Ce « handicap cognitif » touche 3 à 5 % des enfants, et au moins 5 % des adultes. Dans les cas sévères, il pénalise toute une vie et conduit d'un échec à l'autre. Difficultés scolaires dues au manque d'attention. Prises de risque chez les jeunes (toxiques, excès de vitesse). Manque de fiabilité et insta­bilité chronique qui entraînent les adultes dans un parcours chaotique. Chômage, divorce et accidents de la route, quatre à dix fois plus que dans la population stan­dard.

L'hyperactif dans une société zappeuse
Hors de question donc de confondre un hyperactif gêné par un symptôme d'ordre neurologique et l'homme d'aujourd'hui, shooté à l'urgence dans une société de plus en plus speed. En revanche, la question est d'actualité. Comment l'hyperactif s'accommode-t-il de l'accélération du rythme de la société ? Lui est-elle favorable, ou à l'inverse, le pénalise-t-elle ?
On s'aperçoit que, d'un côté, ce mode de vie fréné­tique, peu rassurant, risque de le mettre en danger. Car, plus angoissé que jamais, il se jette dans une course qu'il maîtrise mal. Soit il va trop vite, soit il est dépassé. Décalé, recalé.
Mais que, de l'autre, il se sert utilement des outils qu'offre la société pour aller plus vite. Pour lui les nouvelles technologies sont un soutien de chaque instant. De l'ordinateur, une aide précieuse aux élèves en difficulté, aux réseaux sociaux qui captent l'atten­tion et apaisent l'angoisse. En passant par les alarmes téléphoniques qui permettent de ne rien oublier. Aujourd'hui, beaucoup d'hyperactifs surfent avec succès sur cette tendance du zapping ambiant.

Trouver le bon rythme
C'est pourquoi, notre rôle de médecins doit évoluer lui aussi. Il nous faut aider l'hyperactif, enfant ou adulte, à trouver le bon rythme dans la société. Et dans notre approche de l'hyperactivité, prendre en compte, plus que jamais, le facteur sociétal qui entoure cette pathologie. Évaluer, chez nos patients, comment envi­ronnement et pathologie sont imbriqués. Faire la part entre le poids d'une société stressée et les effets d'un trouble d'origine neurologique. Une voie globale, qui s'appuie sur une prise en charge adaptée (psychothérapies, psychotropes, groupes d'accompagnement...) afin que l'hyperactif maîtrise mieux ce qui le gêne et trouve un équilibre. Dans une société qui, de son côté, doit aussi apprendre à mieux accepter ces « hyperagités ». Ces distraits, tête en l'air et « oublie-tout » qui souffrent, souvent avec le sourire, d'être mis hors course. Des disqualifiés qu'il faut remettre en selle dans un monde qui a la bougeotte.

Sans les lacets
La journée de Dylan, dix ans, étiqueté « hyperactif » depuis toujours, commence à l'aube, et même un peu avant. En fait dès la veille, quand il faut penser à programmer son réveil pour éviter un lever en cata­strophe, dix minutes avant le départ, ambiance garantie... Une fois debout, le festival commence: retrouver la deuxième chaussette (si possible de la même couleur...), débusquer la seconde chaussure, finir de boutonner sa chemise, si possible dans le bon axe. Avant de partir sans ses lacets !
Personne n'imagine ce que l'habillage, à lui seul, représente comme épreuve pour ces enfants pas comme les autres. Tous les matins, un mini Fort Boyard, sanc­tions comprises. Certains préfèrent même se coucher tout habillés pour éviter le stress du matin et limiter ainsi les risques de conflit dès l'aurore. Après ce premier tour de force, c'est un Dylan impeccable, quoique ébouriffé, qui se présente au petit déjeuner où de nouvelles aventures l'attendent. Faire attention à ne pas renverser le bol de lait, se souvenir que parfois le couvercle du pot de Nutella est mal revissé. De toute façon, le risque de tacher ses habits propres est à son maximum, surtout si le temps presse. Et il presse toujours à cette heure-là. « Au fait, où est mon sac à dos ? Promis-juré, il était prêt et rangé, quelqu'un a dû le bouger. Ou le cacher, c'est sûr. Ah non, c'est vrai, je l'ai oublié à l'école... » C'est ballot, il y avait un papier de la maîtresse à faire signer par les parents avant ce matin, sous peine de punition. Au passage, le message de la maîtresse était simplement : « Dylan a encore oublié ses affaires de sport... »

La boucle infernale démarre
Les heures d'école s'enchaînent péniblement : exil en fond de classe pour limiter la contagion de l'excita­tion, séjour dans le couloir pour cause de pitrerie, chute malencontreuse de la chaise après un balancement intempestif. Chaque ânerie, bien sûr, saluée par un éclat de rire collectif. Avec une maîtresse qui fulmine ou se décourage selon sa constitution (« Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Pourquoi suis-je donc incapable de l'aider... ? »). Il suffit souvent d'un conseil télépho­nique ou d'une réunion à l'école pour lever le malen­tendu : « Ce n'est ni de la faute de Dylan, ni de la vôtre. En revanche, voici ce que je vous conseille de faire... »
Passons sur la cantine. Cauchemar des cantinières, considéré comme arrogant parce que impulsif, il est là encore incompris. L'après-midi à l'école est de trop. À 14 heures, au plus bas de ses compétences attentionnelles, Dylan rêve, ou lutte contre la somnolence par son agitation. Il devient particulièrement pénible, même pour ses camarades, jusqu'à ce que son voisin de table entonne à son tour le refrain récurrent : « Arrête de bouger. »

Tous les clignotants sont au rouge
L'heure est grave. Même la récré ne suffit pas à évacuer le surplus d'excitation. Ou plutôt si, mais en mode extrême. Ballons shootés au-dessus des toits, choc tête contre tête avec le goal adverse, cartes Pokémon arrachées puis éparpillées, jusqu'à ce que la sonnerie retentisse, sifflant la fin du match. Mais après une telle éruption, il lui faudrait absolument un sas d'apaisement avant de rentrer dans la classe. Une sorte de palier de décompression. Juste quelques minutes, seul avec la maîtresse pour l'aider à reprendre ses marques. Malheureusement, on assiste plutôt à une entrée fracassante qui vient clore cette journée à haut risque. Inutile de rajouter que l'étude du soir est à pros­crire. Mieux vaut rentrer, se détendre, goûter, avant de se mettre à ses devoirs.
Car là commence un nouveau challenge. Rester assis alors que personne ne l'y oblige, travailler comme au XIXe siècle alors que résonne de toutes parts le chant des sirènes du XXI siècle : les écrans ! Si captivants que l'agitation disparaît comme par enchantement. La télé, l'ordinateur et bien sûr la console (la seule qui ne lui dit jamais non, toujours Wii !). Astucieux, les concepteurs de jeux ont rendu cet univers d'emblée attractif, en évitant les temps morts, et en éliminant tous détails superflus. Sans rien pour le distraire, l'enfant est enfin calme, tellement calme, à en devenir accro. De quoi tenir jusqu'au repas du soir, ultime avatar... À nouveau, rester assis, manger des légumes, ne pas faire tomber ses couverts, écouter les autres, couper sa viande plutôt que la parole, et justifier les mots sur le carnet. J'ai toujours été frappé par l'aspect rocambolesque mais authentique des débordements quotidiens. À l'évidence, Dylan et ses copains d'infortune sont des paratonnerres : même sans bouger, ils attirent la foudre. Un groupe d'enfants fait une bêtise, c'est lui qui se fait prendre. Normal, il n'a jamais eu l'intention de mal faire. Moins sournois que ses camarades, il est toujours le dernier à rester, et le seul à être sanctionné. À cause d'un handicap qu'il n'a pas choisi. Doublement puni donc, et peut-être définitivement blessé. Alors qu'un diagnostic aurait pu être posé beau­coup plus tôt.

Philéas et les grenouilles
Quand un médecin de famille et une pédiatre unis­sent leurs efforts pour décrocher un rendez-vous, c'est qu'il y a le feu... surtout pour un petit bonhomme de cinq ans. Les courriers de mes deux consœurs sont copies conformes.
« Je te remercie de voir en urgence Philéas qui pose depuis toujours des problèmes d'adaptation à l'école. Cette année de moyenne section de maternelle a été catastrophique : refus des règles et des consignes, absence de copains, Philéas est difficilement canalisable à l'école. L'instit s'en plaint car il dérange tout le monde, bouge sans cesse. Et cela retentit sur la famille, obligée de crier en permanence. Les parents et la grande sœur sont au bout du bout...
Ne serait-il pas nécessaire de le tester au niveau intellectuel et au niveau de l'attention... ?»
Derrière les mots, un appel au secours, tant le risque est grand. De violences sur l'enfant, cela arrive dans ces cas-là. Mais surtout d'un effondrement de sa confiance en lui, à traîner comme un boulet une vie entière...

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04/09/2013 265 pages 19,00 €
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