#Essais

Et ce sera justice... Les juges dans la cité

Roger Errera

On la dit toute-puissante, mais on la voit parfois désarmée ou dépassée. On la soupçonne de dépendre du pouvoir, mais on évoque le "gouvernement des juges". Les responsables politiques s'estiment dépossédés et sont tentés d'intervenir. Le corps judiciaire, profondément renouvelé, est tiraillé entre des exigences contradictoires. Dans cet essai original, Roger Errera examine avec rigueur les principaux problèmes qui se posent aujourd'hui à la justice. Il mesure aussi le chemin parcouru : depuis un demi-siècle, tout a changé, le métier de juge, ses pouvoirs, son statut, le droit applicable et notre société. Plus que jamais, le juge est dans la cité. La justice est l'affaire de chacun. Ce livre s'adresse donc aux citoyens, désormais plus exigeants et mieux informés de leurs droits, aux décideurs politiques, rappelés à leurs responsabilités, et aux membres de l'institution judiciaire.

Par Roger Errera
Chez Editions Gallimard

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Genre

Droit

Introduction

 

 

Cet essai est né d’une expérience et d’une réflexion. Mon activité professionnelle m’a conduit à m’intéresser de près à la justice et aux institutions judiciaires dans des situations et des contextes très divers. Membre du Conseil d’État jusqu’en 2001, j’ai participé à la préparation et à la discussion de beaucoup de textes concernant la justice et les magistrats et ai été témoin de la façon de faire des gouvernements. Au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), lieu de décision et d’observation, j’ai contribué, de 1998 à 2002, à l’application du statut des magistrats en matière de nominations et de discipline ainsi qu’aux réflexions de cet organisme et ai participé à ses débats. De 1988 à 1996, j’ai siégé au conseil d’administration de l’École nationale de la magistrature (ENM) et ai pu mesurer son rôle. J’y ai dirigé, durant quinze ans, une session de formation continue sur le droit des étrangers, ce qui m’a permis de rencontrer des centaines de magistrats et de les écouter. Au ministère de la Justice, j’ai fait partie de deux commissions créées par Robert Badinter, garde des Sceaux de 1981 à 1986 : la commission de réforme du statut de la magistrature et la commission presse-justice, que j’ai présidée. Deux années passées à Londres et une aux États-Unis, jointes à des contacts réguliers avec des magistrats étrangers, en Angleterre, en Europe centrale et orientale et en Israël, au cours de rencontres régulières et de missions officielles, m’ont incité à prendre quelque recul envers nos institutions judiciaires et à observer, ailleurs aussi, le poids des cultures juridiques et judiciaires. Chemin faisant, plusieurs écrits m’ont permis de faire le point sur quelques questions relatives à la justice.

Cette expérience nationale et internationale m’a conduit à suivre de près l’évolution de la justice française et à réfléchir sur son état.

La justice française est dans une situation grave du fait de la combinaison de plusieurs éléments :

— Une société dont les attentes et le niveau d’exigence sont accrus, qui recourt de plus en plus à elle, et qui exprime de plus en plus son insatisfaction devant son fonctionnement et la qualité insuffisante du service, notamment les délais de jugement.

— Des ressources humaines et matérielles dont l’insuffisance notoire atteint désormais l’institution. D’où des conditions de travail dont tous, magistrats, fonctionnaires, avocats et usagers, souffrent quotidiennement et qui l’empêchent de faire ce qui est attendu d’elle. Un communiqué de la conférence des présidents de tribunaux de grande instance relevait récemment « le désenchantement et la souffrance1 généralisée chez les acteurs de terrain, qu’ils soient magistrats ou fonctionnaires2 ».

— Des responsables politiques qui la connaissent mal et qui, au fond, se méfient d’elle. Depuis 2002, cette méfiance s’est transformée en hostilité et s’est exprimée, de la part du pouvoir exécutif, par un mépris à peine déguisé. En témoignent, d’une part, des tentatives de restriction du rôle du juge et d’entraves de plus en plus visibles au fonctionnement de la justice ; d’autre part, dans le domaine pénal, depuis 2002, le torrent ininterrompu de plus de deux douzaines de lois3. Que constate-t-on à cet égard ? Aucune évaluation de l’acquis ; des initiatives précipitées prises très souvent à la suite d’un drame activement mis en scène ; des textes préparés à la hâte ; le Parlement sommé de les adopter à marches forcées. La plupart de ces lois attestent, vis-à-vis de la justice et de tous ceux qui la font fonctionner, magistrats, fonctionnaires et avocats, d’un mélange d’ignorance et de mépris. Celui-ci ne se partageant pas, le mépris pour le Parlement se double de celui qui est dirigé contre l’institution judiciaire. Résultat : une institution maltraitée, un surcroît de travail souvent vain ; un ministère réduit à la production intensive de textes de tout genre4.

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07/02/2013 390 pages 22,50 €
Scannez le code barre 9782070134830
9782070134830
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