Envoi
L’action de Michel Foucault visait au-delà de « la pensée ». Quel qu’en soit le terrain, ses interventions étaient indissociablement théoriques et politiques. La remarque, faite après bien d’autres, dont Gilles Deleuze, apparaît aujourd’hui simplement banale. Mais surtout ces interventions, affaire de style, étaient averties de leurs propres limites et proches en cela de celles du psychanalyste : pas question, par exemple, de parler au nom de ceux qui se trouvaient emprisonnés, ni même de leur indiquer comment agir ; en revanche, susciter leur action, cela, oui, était possible. En 1978, Foucault s’en explique :
Et si je ne dis pas ce qu’il faut faire, ce n’est pas parce que je crois qu’il n’y a rien à faire. Bien au contraire, je pense qu’il y a mille choses à faire, à inventer, à forger par ceux qui, reconnaissant les relations de pouvoir dans lesquelles ils sont impliqués, ont décidé de leur résister ou de leur échapper. De ce point de vue, toute ma recherche repose sur un postulat d’optimisme absolu. Je n’effectue pas mes analyses pour dire : voilà comment sont les choses, vous êtes piégés. Je ne dis ces choses que dans la mesure où je considère que cela permet de les transformer1.
Cette discrète, subtile et active abstention a fort bien été perçue. On n’en veut pour preuve qu’une étrange déclaration d’amour qui vous sautait au visage les 2-3 octobre 2004 en parcourant les salles du Palais de Tokyo à Paris lors desdites « 24 heures Foucault », déclaration modulée en diverses figures ici même reprises en couverture.
La psychanalyse aussi importait à Foucault. Lacan particulièrement, qu’il croise en plusieurs occasions2. Le 22 février 1969, Lacan assistait à la conférence « Qu’est-ce qu’un auteur3 ? » donnée à la Société française de philosophie. La psychanalyse s’y trouvait désignée et située comme « discours ». Dès la séance suivante de son séminaire, Lacan enchaînait sur ce qu’il avait entendu en produisant sa doctrine des quatre discours. Foucault ne lui avait pas dit ce qu’il fallait faire, mais il faisait à partir de ce que Foucault avait dit (ce que Foucault, réticent à toute formalisation des discours, n’allait pas avaliser). A-t-on remarqué l’inouï de ce jeu de jeu de ping-pong à ce moment-là ? En répliquant ainsi, Lacan acceptait, entérinait et même constituait (il y a lieu d’aller jusque-là) ce fait que la psychanalyse puisse recevoir son statut de quelqu’un qui n’était pas du sérail. Du jamais vu, de mémoire de psychanalyste ! Lacan réagissait aux propos de Foucault tel un des nombreux prisonniers qui se sont levés à l’appel du Groupe d’intervention sur les prisons (G IP). Prisonnier, d’ailleurs, cela lui sied. N’a-t-il pas fondé sa conception du « temps logique » sur la situation collective de trois prisonniers ?
Le 6 janvier 1982, nouvelle et non moins ambitieuse intervention de Foucault visant la psychanalyse. Lacan est décédé depuis quatre mois et Foucault a été amené à dire son avis sur Lacan à la suite de ce décès (il en sera question plus avant). De quoi s’agit-il cette fois ? Comme en 1969, du statut même de la psychanalyse. Mais la problématique est différente.
Extraits
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