PROLOGUE
L’esprit humain est prédisposé aux infections.
Je ne parle pas des fièvres brûlantes de la méningite ou des galeries sournoises creusées par les parasites dans la nourriture sale. De nos jours, on a tendance à employer les termes pathologiques pour évoquer les idées : mèmes viraux, contagion médiatique. Vecteurs et charges utiles.
Nous sommes tous marqués par des images qui nous empêchent de dormir la nuit. Beaucoup d’entre nous abritent des pensées susceptibles de corrompre petit à petit notre âme. Pour ma part, une simple vision a contaminé mes rêves depuis l’année dernière, et je suis certain qu’elle me hantera pour le reste de mon existence :
Le corps d’une jolie brune mutine, cheveux en épis et grands yeux noirs, repose sur un siège rudimentaire fait de vieilles planches. La partie supérieure d’une foreuse industrielle, inclinée sur le côté, est boulonnée derrière elle. Le mandrin pointé en direction du dossier plonge à l’arrière de son crâne.
Devant, sa robe de soie blanche est trempée de sang.
Le point d’entrée se situe juste sous la racine des premiers cheveux. Le menton est rabattu de force sur sa poitrine. La pointe du foret — une tige d’acier haute vélocité de cinq centimètres de diamètre couronnée de dents acérées — émerge de sa bouche.
Ses entraves sont discrètes, presque innocentes. Un mince fil de nylon sur son menton, un autre plus bas au niveau du cou.
Cependant, elles font partie du dispositif.
Les liens passent par une série de poulies le long du plafond en chêne massif pour finalement redescendre et aboutir à une grosse pierre couleur rouille suspendue. Au-dessous, on peut apercevoir les restes carbonisés d’un épais tube de carton. Une traînée de brûlé conduit à un briquet orange par terre, à faible distance de sa main gauche.
Ces vestiges content une histoire aussi violente que brève. Le Bic orange allume un liquide inflammable. La ligne de feu vient lécher le support cartonné sur lequel la pierre est placée. Quand le carton s’écroule, la pierre tombe et ramène d’un coup la tête en arrière sur le foret en action.
De toute évidence l’œuvre d’un esprit dérangé.
La première fois que j’ai été exposé à cette folie, ce fut par l’intermédiaire d’une courte vidéo. Un gros plan restreint du visage de la fille, en larmes, tandis qu’elle récitait un verset obscur. Une lueur tremblotante…
Puis le carnage.
Tout se termine avec la vrille interminable du foret sanguinolent en lieu et place de la bouche. Le sang gicle jusqu’à ce que la caméra s’arrête, faute de mémoire.
Cette vision, consignée dans un recoin ténébreux de ma psyché, commence à alimenter les informations stockées à proximité : photos d’enquête, rapports d’experts, anecdotes de proches. Le tout s’agrège en une représentation cauchemardesque semblable à ces kystes desquels les chirurgiens extraient parfois des cheveux, des ongles, des yeux morts et, bien entendu, des dents. Cette image grandit jusqu’à ce que le film surpasse tout ce que j’aurais souhaité ne jamais voir.
Extraits
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