Introduction
UN PARRAIN ILLUSTRE
ET BIENVEILLANT1
On ne connaissait, des lettres de Céline à Henri Mondor, que quelques fragments cités par Mondor lui-même dans l’avant-propos qu’il rédigea à la fin de 1959 ou au tout début de 1960 pour présenter Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit dans la Bibliothèque de la Pléiade. La correspondance que l’écrivain lui a adressée, retrouvée dans le fonds Henri Mondor de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, permet d’avoir une vue beaucoup plus précise de ce que furent les rapports entre les deux hommes pendant une dizaine d’années. Du procès de 1950 au début de 1961, Céline a envoyé à Mondor une quarantaine de lettres au sujet de sa réinstallation en France, de son retour partiel à la pratique médicale et de la construction de sa légende en vue de son entrée dans la Pléiade.
Cette relation n’allait pas de soi. La toute première mention de Mondor dans la correspondance de Céline connue à ce jour date de 1947 et sonne comme un défi aux écrivains de tous bords : « et merde pour Mondor et Aragon2 ». Le chirurgien est alors, comme l’auteur des Communistes, membre du Comité national des écrivains qui, en 1944, a publié une liste noire des hommes de lettres collaborateurs sur laquelle figure le nom de Céline. En 1948 encore, Céline n’hésite pas, quand l’occasion se présente, à tourner en dérision la carrière de mandarin de Mondor, par exemple en écrivant à Jean Paulhan, à propos de l’avocat Maurice Garçon : « C’est un fat de la race Mondor… Des bêtes académiques comme on est faisan ou pintade3. » Mais les choses ne vont pas tarder à changer.
Un premier contact a sans doute été établi au début de février 1950. Céline, qui recherche alors des appuis dans le milieu médical, annonce le 4 février à son avocat Thorvald Mikkelsen4 : « Je viens de faire une nouvelle recrue — un défenseur très ardent — le chirurgien juif français illustre Mondor5 — de l’Académie française — je lui demande de se mettre en rapport avec Naud6. » Le 19 février, Mondor envoie au président de la Cour de Justice chargée de juger l’écrivain une lettre chaleureuse mais accompagnée d’un plaidoyer prudent dans lequel il use des arguments qu’il reprendra désormais systématiquement à propos de l’écrivain : il a tout ignoré de l’attitude de Céline pendant l’Occupation (ce qui est étrange pour un membre du C.N.É.), il insiste sur l’héroïsme du prévenu lors de la Première Guerre mondiale et surtout sur « l’influence universelle » de son œuvre. Il invite, comme le feront beaucoup de soutiens de Céline, à dissocier l’écrivain majeur de l’homme qui a « déraillé ». Contrairement à ce qu’il a affirmé ensuite, c’est bien en passionné de littérature et non en médecin défendant un confrère, ou même en humaniste, qu’il réagit d’abord, même si la lettre adressée à Albert Naud le même jour évoque un simple « mouvement du cœur » de sa part7.
Extraits
Commenter ce livre