#Roman francophone

Je te retrouverai

John Irving

Seuls depuis la fuite de William, un organiste qui collectionne les conquêtes féminines et les tatouages, Alice et son fils partent pour l'Amérique. L'enfant grandit entre filles à matelots, chastes institutrices et imprésarios douteux. A vingt ans, Jack Burns brille au firmament de Hollywood et collectionne les femmes. Pour autant, rien ne remplace jamais le regard d'un père...

Par John Irving
Chez Points

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Editeur

Points

Genre

Poches Littérature internation

 

 

 

 

1

Aux bons soins des fidèles de la paroisse
et des anciennes de l’école

 

 

Selon sa mère, Jack Burns était comédien avant même de monter sur les planches, et pourtant ses plus vifs souvenirs d’enfance le renvoyaient aux moments où il avait ressenti l’urgence de saisir la main maternelle. Et dans ces moments-là, il ne jouait pas la comédie.

Certes, rares sont les souvenirs qui remontent avant l’âge de quatre ou cinq ans, et ces premiers souvenirs sont sélectifs, incomplets, voire faux. Le moment où Jack croyait avoir eu besoin de tendre la main vers celle de sa mère pour la première fois était peut-être la centième, la deux centième.

Des tests effectués avant l’école primaire avaient révélé qu’il possédait un vocabulaire très au-dessus de son âge, ce qui n’a rien d’insolite chez un enfant unique, habitué aux conversations des adultes, surtout lorsqu’il est élevé par un seul parent. Plus significatif, toujours selon les tests, il avait à trois ans une mémoire dite biographique comparable à celle d’un enfant de neuf et, à quatre ans, il retenait les détails (des choses insignifiantes comme le nom des rues, la couleur des vêtements) et comprenait le passage du temps comme un enfant de onze ans.

Le résultat de ces tests plongea Alice, sa mère, dans une grande perplexité : elle le tenait pour un enfant distrait, dont la tendance à rêvasser freinait la maturité.

Toujours est-il qu’à l’automne 1969, alors que Jack avait quatre ans et n’était pas encore au jardin d’enfants, sa mère l’avait emmené au carrefour de Pickthall street et de Hutchings Hill road, dans Forest Hill, quartier agréable de Toronto. Ils attendaient la sortie de l’école, lui expliqua-t-elle, pour qu’il voie les filles.

Sainte-Hilda, école paroissiale de filles, comme on disait alors, allait du jardin d’enfants à la propédeutique qui existait encore dans l’Ontario, à cette époque ; et la mère de Jack avait décidé qu’il y commencerait sa scolarité, bien qu’il fût un garçon.

Elle attendit, pour lui annoncer sa décision, que les portes s’ouvrent à deux battants, comme pour les accueillir, laissant se déverser le flot disparate des filles, les maussades et les allègres, les jolies et les désemparées qui traînaient les pieds.

– L’an prochain, annonça Alice, Sainte-Hilda accueillera des garçons, très peu seulement, et seulement jusqu’au cours moyen.

Jack était pétrifié ; il avait le souffle coupé. Des filles, là, qui passaient devant lui, de tous les côtés, des grandes filles parfois bruyantes, toutes en uniforme gris et marron – deux couleurs qu’il crut longtemps porter jusqu’à sa tombe. Elles arboraient des chandails gris ou des blazers marron sur leurs marinières blanches.

– Et toi, justement, ils vont te prendre. Je fais ce qu’il faut pour ça.

– Tu fais quoi ? demanda Jack.

– Pour le moment, je réfléchis à la question.

Les filles portaient des jupes plissées grises avec des chaussettes grises, que les Canadiens appelaient des « genouillères ». Jack n’avait jamais vu autant de jambes nues. Il se demandait bien quelle démangeaison intérieure poussait les filles à baisser leurs chaussettes jusqu’aux chevilles, ou en tout cas à mi-mollet, puisque le règlement de l’école spécifiait que les genouillères se portaient au genou.

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trad. Josée Kamoun
06/09/2007 1003 pages 10,00 €
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