#Essais

NOUS LES MAITRES D'ECOLE. Autobiographies d'instituteurs de la Belle Epoque

Jacques Ozouf

Enquête exceptionnelle ! Soixante ans après, sur la demande de Jacques Ozouf, quatre mille instituteurs ont rassemblé leurs souvenirs. Ils ont fouillé leurs greniers, retrouvé leurs carnets de comptes jaunis, déterré dictées et " préparations ", déballé leurs lettres et ces journaux à l'encre violette. Ils se racontent. Et de ces archives qu'il aurait été bientôt trop tard de susciter, renaît la France qui a formé la France.

Par Jacques Ozouf
Chez Editions Gallimard

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Genre

Sciences historiques

C'est une évidence : on ne parle pas des instituteurs comme des employés des Postes ou de la S.N.C.F. Pour décrire ce groupe professionnel – si restreint pourtant : il y a 120000 instituteurs et institutrices en 1914 –, on dispose de bien des registres, de la hargne à l'attendrissement. Mais il n'y a pas de ton neutre.

A cette émotivité concourent bien des raisons. L'une d'elles est le sentiment de la toile d'araignée que, recouvrant exactement l'hexagone national, tisse la IIIe République. Dans chaque village, un instituteur au moins, et une maison d'école : répartition régulière, rassurante ou menaçante selon l'horizon dont on l'apprécie, jamais indifférente. Le surgissement de ces écoles neuves promet une révolution culturelle ; comme autrefois d'églises, la France, entre 1880 et 1914, se couvre d'écoles. L'avantage est même à l'école ; André Ferré, dans l'excellent livre qu'il a consacré aux instituteurs, note, satisfait, que l'école honore jusqu'au hameau chétif que nul clocher ne signale : le quadrillage, en chemin, s'est perfectionné.

Et puis, la domination spatiale se double d'une domination temporelle ; hommes de peu, les instituteurs illustrent une ascension sociale irrésistible. A petit bruit, par les chemins laborieux des grandes écoles, ils ont partout su placer leurs fils : dans les lettres, l'Université, la politique... A un récent colloque de la rue d'Ulm – on traitait de la culture populaire –, tel professeur de Faculté s'excusait amicalement auprès de ses collègues –  et s'étonnait – de n'être pas, lui aussi, fils d'instituteurs.

Enfin, les Français – tous héritiers sur ce point de la pédagogie des Lumières – ont mille peines à imaginer la résistance des hommes à l'enseignement qui leur est donné. Leur jugement sur la nation les entraîne invinciblement à un jugement sur l'école. Rares sont ceux qui mettent en doute l'efficacité de celle-ci à former celle-là. Criminelle, une nation est l'œuvre d'une école criminelle ; éclairée, d'une école éclairée. L'école est une répétition générale ; du métier, de la vie publique, de la guerre. Metteurs en scène de ce spectacle primitif que l'existence des hommes, ensuite, ne fait plus que reproduire, les instituteurs sont, du même coup, l'objet d'une attention passionnée. Qu'on veuille expliquer la vague de fond de l'opinion dans l'été 14, l'apathie de l'électorat devant la décolonisation, l'attachement populaire à l'Algérie française, c'est eux, toujours, qu'on fait comparaître.

Le grossissement est donc la règle des portraits d'instituteurs. Parcourons, dans les années qui précèdent 1914, leur galerie. Voici les anarchistes, qui voient dans les Français une masse veule, abêtie, soumise, indifférente. L'artisan de cette résignation lâche, c'est bien entendu l'instituteur, ce champion du conformisme, qui a remplacé et, même, « surpassé son rival religieux » (c'est Le Libertaire d'octobre 1909). Voici les modérés, que les progrès du syndicalisme menacent d'une nation insoumise, demain peut-être insurgée ; troupeau rétif dont le mauvais berger est l'instituteur laïque, qui dispense « un enseignement antipatriotique, malpropre et dégradant » (c'est La République française de décembre 1908). Voici enfin les socialistes, dans l'ivresse de leurs progrès, qui en font hommage aux instituteurs, « ces jeunes hommes, que la République bourgeoise croyait avoir à tout jamais, dans les écoles normales, assouplis à sa doctrine et pliés à ses fins, [et quiont senti la révolte monter en eux ; et non plus seulement la révolte contre les factions déchues, contre le cléricalisme, le royalisme, l'obscurantisme, mais aussi contre les dirigeants du présent, les rois de la houille et de la toile, les barons de la finance, les millionnaires qui prélèvent chaque jour une large part du travail des salariés » (c'est Le Socialiste de janvier 1906).

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01/01/1993 312 pages 11,50 €
Scannez le code barre 9782070327492
9782070327492
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