Palais de l’Océan
Jeudi 23 octobre, 11h02
Youri Brodsky n’attendait personne. Aussi, lorsque son chien Belphégor aboya au coup de sonnette qui venait de retentir, le jeune homme s’interrogea. Qui cela pouvait-il être ? Il espérait que ce n’était pas la concierge, cette enquiquineuse de Marcelline Palace. La bougresse adorait lui casser les pieds. Elle avait toujours quelque chose à lui reprocher : son vélo qui traînait dans la cour de l’immeuble, ses godasses boueuses, voire puantes, qu’il abandonnait sur le palier, sa musique de singe qui dérangeait les habitants du Palais de l’Océan…
Il y eut une autre sonnerie et Belphégor recommença à aboyer. Youri lui fit signe de se taire et se dirigea vers la porte. C’était une belle porte blindée dont l’œilleton était cassé. À la lumière de ce qui allait arriver, ce détail se révélerait dramatique.
Un bref instant, le jeune homme rêva de se trouver nez à nez avec Noémie, sa petite amie chérie. Mais elle était en voyage, une croisière sur le Queen Elizabeth II avec sa maman. Un prix que Mme Klein avait gagné en jouant au Zingo, un jeu débile à la TV. Il y avait cependant très peu de chance que Noémie soit de retour avant la date prévue et puis, de toute façon, la jeune femme avait la clef puisqu’ils vivaient ici ensemble.
La main sur la poignée, Youri Brodsky pensa soudain à Arthur Morvan. Il imagina ses cheveux gras, ses dents jaunes, son nez pointu comme le Concorde et il fit la grimace. Non, ce ne pouvait pas être lui. Le rédacteur en chef du Fil d’Amar ne se serait pas déplacé en personne pour lui réclamer son article. Même si Youri était en retard, très en retard pour le lui rendre. D’ailleurs, Morvan aurait une belle surprise en le lisant, cet article. Parce que c’était vraiment de la dynamite ! Youri Brodsky se mit à rire. Il riait encore lorsqu’il ouvrit la porte de l’appartement.
Le Samovar
Vendredi 24 octobre, 16h09
Lou Kerval entra comme une rafale de vent dans la boutique d’antiquités de son oncle. Les joues rouges, le souffle court, elle avait l’air d’avoir bravé Jack l’Éventreur en personne. Constantin Pitakof, juché sur la petite échelle qui lui servait à ranger les livres en haut de la bibliothèque, jeta à sa nièce un regard interrogateur.
– Qu’est-ce qu’il t’arrive ? demanda-t-il avec le fort accent russe qui donnait à sa voix grave l’air de rouler sur les vagues de l’océan.
– Tu vois pas ? gémit Lou.
Constantin tortilla sa moustache en observant la jeune fille du haut de son perchoir. Un casque de cheveux châtains coiffés à la va-vite, des yeux marron étirés comme ceux d’un chat, un nez légèrement retroussé et couvert de taches de rousseur, des pommettes hautes teintées d’un rose qui ne devait rien au maquillage. C’était sa petite Lou, la fille de sa sœur Véra. Elle était telle qu’il l’avait laissée le matin même dans la cuisine de la Maison Jaune où habitait toute la famille. Rien de nouveau sous le soleil de Port d’Amar.
Extraits
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