#Essais

La Stasi à l'école. Surveiller pour éduquer en RDA (1950-1989)

Emmanuel Droit

Entre 1949 et 1989, la RDA fut une dictature politique dont l'ambition totalitaire était de diriger la société et de former l'homme socialiste nouveau. La police politique aux ordres du régime communiste, la Stasi, constituait l'un des fondements de la domination politique : le ministère pour la Sécurité de l'État était le " bouclier et le glaive " du Parti socialiste unifié, le SED. Cette institution conspirative ne doit pas être seulement imaginée comme une organisation secrète et répressive au-dessus de la population qui observe la " vie des autres " et s'abat sur eux de façon arbitraire. À partir des années 1960, la Stasi conçoit de plus en plus sa fonction comme une mission de protection de l'État et de la société de la RDA dans une perspective paternaliste. Elle se définit elle-même comme un acteur éducatif au même titre que l'école. En se présentant comme une instance de surveillance politique et de " disciplinarisation " de la société, elle cherche à contrôler le comportement des jeunes en les " invitant " à s'autodiscipliner, c'est-à-dire à intérioriser certaines règles de comportements. D'une certaine façon, cette police politique exerce les fonctions que s'attribuait la police ordinaire sous l'Ancien Régime, à savoir celle de gouverner les hommes.

Par Emmanuel Droit
Chez Nouveau Monde Editions

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Genre

Histoire internationale

 

 

 

 

LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES TERMES ALLEMANDS

 

 

La langue de la police politique est-allemande, et plus généralement la Lingua communista, mobilisent beaucoup les abréviations.

 

DSF

Gesellschaft für Deutsch-Sowjetische Freundschaft : Société pour l’amitié avec l’Union soviétique

EOS

Erweiterte Oberschule : Établissement secondaire, lycée

FDJ

Freie Deutsche Jugend : Jeunesse libre allemande

FDGB

Freier Deutscher Gewerkschaftsbund : Confédération syndi cale libre allemande

FIM

Führungs-Inoffizieller Mitarbeiter : Responsable de collabo rateurs officieux

GI

Geheimer Informator : Informateur secret

GMS

Gesellschaftlicher Mitarbeiter für Sicherheit : Collaborateur social pour la sécurité

HIM

Hauptamtliche Inoffizielle Mitarbeiter : Collaborateur offi cieux principal

IM

Inoffizieller Mitarbeiter: Collaborateur officieux

IMF

Inoffizieller Mitarbeiter mit Feindverbindung : Collaborateur officieux en relation avec des « ennemis »

IMK

Inoffizieller Mitarbeiter zur Sicherung der Konspiration : Collaborateur officieux chargé de la sécurité de la conspiration

KP

Kontaktpersonn : Personne de contact

MfS

Ministerium für Staatssicherheit : Ministère pour la Sécurité de l’État

NVA

Nationale Volksarmee : Armée nationale du peuple

OPK

Operative Personenkontrolle : Opération de contrôle de per sonnes

POS

Polytechnische Oberschule : École supérieure polytechnique qui correspond en France au cycle primaire et au collège

SED

Sozialistischer Einheitspartei Deutschlands : Parti socialiste unifié d’Allemagne

SMAD

Sowjetische militärische Administration: Administration mili taire soviétique en Allemagne

VP

Volkspolizei : Police du peuple

ZIJ

Zentralinstitut für Jugendforschung : Institut central de recherche sur la jeunesse

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

«Merde, il pleut ! »

 

 

À la mi-janvier, comme chaque année depuis sa naissance en 1949, la République démocratique allemande (RDA) célèbre la mémoire de deux « martyrs » communistes qui figurent au panthéon « national » du « premier État socialiste sur le sol allemand » : Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht1. À cette occasion, dans le cadre d’une manifestation obligatoire relevant de l’éducation antifasciste officielle, qui constitue l’un des piliers de la légitimité et de l’identité politique du régime socialiste, les élèves des lycées de Berlin-Est participent à une « marche du souvenir » qui les conduisent au monument des socialistes au cimetière de l’arrondissement de Friedrichsfelde, où reposent depuis 1926 R. Luxembourg et K. Liebknecht.

En ce 17 janvier 1989, T. S., élève du lycée Rudolf Seifert, âgé de dix-sept ans, participe sans grand enthousiasme à ce rituel antifasciste largement vide de sens pour cette seconde « génération du socialisme », née au début des années 1970. Il ne le sait pas encore, mais c’est la dernière fois qu’il se rend à ce monument commémoratif 2.

Au cours de la marche, il sort son parapluie noir pour se protéger de la pluie. Il a écrit dessus avec un feutre blanc une inscription en français «Merde, il pleut». T. S. sent qu’il est surveillé par deux hommes vêtus de parkas vertes et de chapeaux. Il les soupçonne d’être des agents travaillant pour le ministère pour la Sécurité de l’État (Ministerium für Staatssicherheit, MfS), la police politique de la RDA, plus connue sous l’abréviation Stasi. Ces soupçons sont rapidement confirmés lorsqu’il se voit interpeller par ces deux hommes qui le sortent du cortège pour le conduire dans une voiture blanche de la marque Lada. T. S. est désormais convaincu qu’il se trouve confronté pour la première fois de sa jeune existence à la Stasi. En effet, les deux hommes se présentent comme des officiers de la police politique est-allemande. L’interpellation et l’interrogatoire dans la voiture s’expliquent par le fait que ces agents ont été intrigués par l’inscription en langue étrangère sur le parapluie du lycéen. Ces derniers le questionnent une dizaine de minutes sur le sens des mots en français, sur ses parents, sur son école, son projet professionnel avant de le relâcher, non sans avoir cherché à l’intimider. Ils menacent clairement T. S. de l’empêcher de terminer ses études secondaires et donc de pouvoir entrer à l’université pour entamer des études d’ingénieur en thermodynamique. Au final, ils lui reprochent d’avoir inscrit quelque chose sur son parapluie qui aurait pu nuire à l’image de la RDA. Le moindre écart politique potentiel dans l’espace public est susceptible d’être pris en charge par la Stasi. Ce qui apparaît comme le geste innocent d’un adolescent a été interprété par les officiers du ministère pour la Sécurité de l’État comme l’expression d’une possible défiance, d’une possible déviance, voire d’une possible opposition déclarée au socialisme. Spontanément, le lecteur conclura tout à la fois à la paranoïa des services de surveillance de la RDA, à leur méconnaissance de la langue française et au caractère inutile, absurde voire ridicule de l’intervention.

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08/10/2009 242 pages 21,30 €
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